A quoi sert Mélenchon ?
A la veille de la grande marche du Front de Gauche dans Paris, il n’est pas incongru de se poser la question : « à quoi sert Jean-Luc Mélenchon ? » Depuis 2008, année où il a quitté avec fracas le parti socialiste à qui il doit pourtant l’essentiel de sa carrière de mandataire public, Jean-Luc Mélenchon essaie tant bien que mal de jouer sa propre partition à l’extrême gauche de l’échiquier politique. Je dis « tant bien que mal » non par jugement de valeur ou parti-pris politique négatif, mais bien parce qu’il y a des données objectives qui démontrent clairement que Jean-Luc Mélenchon peine à mobiliser les Français autour de sa personne.
Regardons les chiffres. Mélenchon stagne autour des 12% des intentions de vote comme l’atteste un sondage publié cette semaine. Ce résultat peut paraître intéressant. Il ne doit cependant pas faire illusion. En effet ce pourcentage est certes au-dessus des 9% représentant la somme exacte des suffrages communistes et trotskistes à l’élection présidentielle de 2007 mais il est quasiment identique aux 11,23 % que l’extrême gauche (PCF et chapelles trotskistes) a obtenus à la présidentielle de 1988. Il est en tout cas inférieur aux 13,94% de 1995 et aux 13,81% de 2002. Bref, je constate qu’il n’y a pas de progression électorale significative de la « gauche de la gauche » malgré le talent oratoire et les coups de gueule de Jean-Luc Mélenchon. Ce dernier ne parvient donc pas à ramener à gauche les voix de l’électorat ouvrier qui, depuis 1984, ont abandonné le PCF pour se reporter quasi-systématiquement sur le Front National. Ce retour était l’une des grandes ambitions politiques de Mélenchon et c’est en train de devenir l’un de ses échecs les plus cuisants. J’ai, en effet, le sentiment que plus Jean-Luc Mélenchon se manifeste médiatiquement avec sa verve, sa gouaille, son culot, son sens de la formule et de la répartie, plus Marine Le Pen progresse dans les intentions de vote. C’est comme si la présidente du FN récoltait sans effort les fruits de l’agitation permanente du coprésident du Parti de Gauche.
Il est donc normal dans ces conditions de s’interroger sur l’utilité politique de Jean-Luc Mélenchon. Je n’aurai évidemment pas le ridicule de lui contester sa place et son rôle dans la vie politique française même si je le critique beaucoup sur ce blog. Je reconnais que Mélenchon contribue incontestablement au débat public. Il rappelle avec force la prégnance des injustices, notamment sociales, et la nécessité de les réparer. Il dénonce avec véhémence la folie du système capitaliste et du monde de la finance. Il renoue avec les envolées lyriques des discours de la gauche traditionnelle, du temps où celle-ci n’était pas disposée à faire le moindre compromis avec un système qui imposait une servitude économique au plus grand nombre de gens en les condamnant irrémédiablement à la pauvreté. Par ses outrances verbales, il a aussi cassé les codes convenables de l’énarchie de gauche.
Cependant, tout ceci reste à la surface des choses. Tout ceci n’est que formel. Mélenchon, en dépit de ses efforts et de l’énergie déployée pour sortir du relatif anonymat qu’il a connu pendant 30 ans (car la notoriété de l’apparatchik Mélenchon ne dépassait pas le cadre somme toute étroit du parti socialiste), n’a aucune crédibilité en termes de gouvernement, abstraction faite d’une expérience ministérielle sans éclat particulier de deux ans dans le gouvernement Jospin. Son insistance répétée à vouloir devenir premier ministre démontre son besoin de crédibilité. Pourquoi n’y parvient-il pas ? On touche là, un point sensible de l’extrême gauche et les plaies de son identité. Si Mélenchon ne parvient pas à être crédible pour les Français, c’est que ces derniers ne croient pas à une rupture avec le capitalisme et qu’ils ne conceptualisent pas la « révolution citoyenne » proposée par le Front de Gauche. C’est aussi parce que l’extrême gauche française n’a jamais eu le courage et l’honnêteté intellectuelle de faire son aggiornamento et de dresser un bilan (économique, politique, social, humain) du communisme qui reste l’une des plus grandes tragédies du XXe siècle avec le fascisme et le nazisme. En refusant de voir son passé en face, en refusant même l’idée d’une responsabilité morale dans cette catastrophe et en refusant de réformer sa grille d’analyse doctrinale, l’extrême gauche se condamne elle-même non seulement à ne jamais séduire les Français mais aussi à ne pas pouvoir les rassurer sur ses intentions. C’est un autre des échecs cuisants de Mélenchon qui est incapable d’inciter le Front de Gauche à amorcer une révolution intellectuelle dans ses propres rangs.
Comment se fait-il donc que l’extrême droite progresse alors que son idéologie rappelle aussi des heures sombres de notre histoire ? Comment se fait-il qu’elle soit forte alors qu’elle manque aussi de crédibilité ? Tout simplement parce qu’elle s’est apparemment assagie alors que Mélenchon s’est objectivement durci. Cependant, que l’on ne me fasse pas dire ce que je n’ai pas dit : il y a toujours bien entendu à l’extrême droite des crânes rasés, des adeptes de la barre de fer ou de la batte de baseball, des agités des sacristies ou des nostalgiques de l’Etat pétainiste qui, tous, représentent un danger pour la République et la démocratie. C’est incontestable. Mais ces éléments les plus extrémistes sont cependant marginalisés par la figure de Marine Le Pen qui est parvenue à faire oublier les excès verbaux de son propre père et de ses propres troupes. Autrement dit, la puissance de l’extrême droite résulte de la relative bonhommie de Marine Le Pen tandis que l’impuissance de l’extrême gauche provient de l’agressivité permanente de Jean-Luc Mélenchon. Pour le dire autrement, Marine Le Pen réussit un tour de force, celui de rassurer alors que Jean-Luc Mélenchon inquiète. Ce constat est encore un échec cuisant pour Mélenchon.
Et puis enfin, s’interroger sur l’utilité politique de Mélenchon, c’est aussi relever l’extraordinaire faiblesse de l’extrême gauche. Celle-ci a beau être très active dans les mouvements sociaux, elle demeure cependant totalement tributaire des personnalités qui la représentent. Il est important de rappeler à cet égard que l’extrême gauche a toujours été dans la détestation d’une personnalisation de pouvoir. Or que constate-t-on ? Que sans le clown Georges Marchais, le PCF s’est effondré (phénomène également favorisé par l’effondrement du bloc communiste). Que sans le beau gosse Olivier Besancenot, le NPA est redevenu un groupuscule trotskiste. Que sans la passionaria Arlette Laguiller, Lutte Ouvrière ne suscite plus la sympathie amusée des électeurs. On sent donc bien que sans l’agité Jean-Luc Mélenchon, ce qui reste de l’extrême gauche végéterait dans les profondeurs de la marginalité.
Je n’aime pas beaucoup faire de la politique fiction. Mais je ne serais pas étonné de constater dans les prochains mois un étiolement rapide de Jean-Luc Mélenchon qui risque de s’enfoncer inexorablement dans les excès comme un promeneur imprudent dans des sables mouvants. La manifestation du 5 mai dont l’extrême droite entend bien profiter, les appels tonitruants et grotesques à une constituante pour jeter les bases du VIe République, les attaques répétées contre François Hollande et le gouvernement de Jean-Marc Ayrault, l’incapacité de l’extrême gauche à être mesurée à l’égard de la majorité et donc du PS, font que tout ceci participe à relativiser fortement l’intérêt politique de Jean-Luc Mélenchon. Car la politique, ce ne sont pas que des mots, des belles phrases, des one men shows sur les estrades de meetings. Ce sont aussi et surtout des actes, des décisions, des réformes, bref du concret nécessitant du temps et de la patience. Ce qui implique l’exercice du pouvoir !
A quoi sert vraiment Mélenchon ? Il est temps de répondre à cette question. Moralement, Mélenchon sert à incarner les scrupules de conscience de cette extrême gauche qui aimerait changer la vie le plus vite possible sans concession, mais qui se heurte aussi à la réalité des choses tout en refusant paradoxalement de la voir. Politiquement, il sert surtout à Marine Le Pen et au FN. Ce qui est finalement plutôt triste et inquiétant pour la société française.
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(Billet initialement publié sur Le Blog de Gabale)
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