Le juge de Nanterre Jacques Gazeaux, en charge de l’instruction de l’affaire des emplois fictifs dans laquelle Alain Juppé a été condamné en appel le 1er décembre 2004, a signé le 8 novembre 2010 l’ordonnance de renvoi en correctionnelle de Jacques Chirac pour prise illégale d’intérêts.
Cette affaire se distingue de celle pour laquelle l’ex-maire a été renvoyé en correctionnelle par la Juge Xavière Siméoni, le 30 octobre 2009, pour détournement de fonds et abus de confiance.
Toutefois les avocats du prévenu avaient demandé le report du jugement inhérent à la première ordonnance pour que les deux affaires soient jugées conjointement, au cas où le Juge Gazeaux déciderait, lui aussi, du renvoi de leur client en Correctionnelle. Cette faveur leur a été accordée. L’affaire est inscrite à la 11ème chambre correctionnelle de Paris du 7 mars au 8 avril 2011.
Selon l’information du Monde, le juge Gazeaux a précisé : “Il n’appartient pas au juge d’instruction de porter un préjugement en ne renvoyant devant le tribunal que les personnes dont la culpabilité est certaine, la condamnation inéluctable. Son seul devoir est de renvoyer toute personne contre laquelle les charges sont suffisamment avérées (…) pour que la question de sa culpabilité soit posée au seul juge compétent pour y répondre.
Ce débat public et contradictoire, poursuit le juge Gazeaux, est d’autant plus nécessaire que ce dossier touche au fonctionnement des institutions et au comportement d’un homme, dont renommée est internationale et qui a exercé les fonctions de président de la République pendant douze ans”.
Bien entendu, le Parquet peut faire appel de cette décision devant la Chambre des mises en accusations de Versailles. Le Procureur Philippe Courroye avait requis le 4 octobre courant un non-lieu dans cette affaire arguant : « qu’il n’existait pas un système connu de Jacques Chirac destiné à financer de façon occulte le RPR » et qu’il “n’a manifesté que peu d’intérêt pour la gestion de son parti et qu’aucun élément ne permet de montrer qu’il était informé du mode de rémunération des collaborateurs du parti “. Il remarquait pour motiver sa requête : “Aucun témoin n’a mentionné la connaissance de la prise en compte par la Mairie de Paris de collaborateurs du RPR »
Ce en quoi l’enquête du Procureur Courroye semble en contradiction :
1-avec la conclusion de la Juge Siméoni dans son ordonnance
« Jacques Chirac reconnaît de façon implicite que ces chargés de mission travaillaient directement pour lui : ainsi, en entretenant une sorte de confusion entre les fonctions de maire de Paris et les fonctions de Président d’un parti politique, il a mis à profit la possibilité que lui offraient ses fonctions de maire pour disposer d’une partie du budget de la Ville dans des perspectives électorales. » et « La connaissance de Jacques Chirac est démontrée par sa volonté d’instaurer ces contrats à la Ville de Paris puis par sa participation aux recrutements, par le nombre de contrats, leur caractère itératif sur une durée supérieure à dix années, mais aussi par ses propres déclarations. Il ressort que Jacques Chirac est en même temps le concepteur, l’auteur et le bénéficiaire du dispositif » ou encore : « Sa position de maire lui faisait tenir un rôle décisionnel et d’impulsion centrale que, par ailleurs, il revendique. Le maire d’une commune qui fait le choix et prend la décision d’engager des agents dans de telles conditions sans même être le signataire des contrats doit être retenu comme l’auteur principal des infractions de détournements et ce d’autant plus qu’il est le seul, en sa qualité d’ordonnateur, à détenir le pouvoir de disposer des fonds ou de le déléguer. »
et 2 - le communiqué de la Mairie de Paris à propos de l’affaire pour justifier la position du Maire Delanoé quant à la forte participation de L’UMP au remboursement de son préjudice :
« De façon convergente, la Chambre d’instruction de Versailles évoquait, sur le même sujet, des « financements illicites au profit d’une famille politique » (ordonnance du 6 janvier 2006). Cette participation de l’UMP est donc juridiquement fondée. »
La requête de Philippe Courroye n’a pas été considérée par le Juge Gazeaux.
Si les deux affaires sont jugées conjointement le parquet ne prononcera aucun réquisitoire contre Jacques Chirac, la Mairie de Paris n’étant plus partie civile, bien que l’association Anticor tente, dit-on, de se constituer partie civile, pour autant qu’elle fasse valoir un préjudice reconnu.
Il n’en demeure pas moins que la décision du Juge Gazeaux renforce celle de la Juge Siméoni et que la position du procureur Courroye va à l’encontre des conclusions des deux juges d’instruction.
Alain Juppé ayant été condamné dans l’affaire Instruite par le Juge Gazeaux, la Justice peut-elle se déconsidérer ? Peut-elle estimer que le prévenu Chirac qui, d’un côté, participe aux recrutements dont il revendique la décision d’engager des agents dans de telles conditions, et de l’autre ignore le mode de rémunération des collaborateurs du parti du fait que : "Aucun témoin n’a mentionné la connaissance de la prise en compte par la Mairie de Paris de collaborateurs du RPR" ? Elément d’autant plus plausible que tout cette affaire est le résultat d’une plainte déposée par un contribuable parisien en décembre 1998 pour faux en écritures publiques, prise illégale d’intérêts, détournement de fonds publics, recel, complicité et destruction de preuves.
Toutefois, dans ses conclusions le Procureur semble ignorer que l’instruction a révélé l’existence d’une lettre de décembre 1993 signée, Jacques Chirac, qui demande à son administration d’accorder une promotion à une employée, Madeleine Farrad , qui, rémunérée par la ville, travaille au siège du RPR.
Comment Monsieur le Maire, si occupé et si peu au fait du mode de rémunération des employés du RPR, se passionne-t-il pour la promotion de Madame Farrad, une personne qu’il n’a jamais vue à la Mairie ? Apparemment, le Procureur Courroye ne connaît pas ce détail ou l’occulte volontairement.
Au tribunal compétent d’en décider.