Affrontement Villepin/Sarkozy : la foi, l’ennui ou le dilemme
Face au choc de titans que se livrent depuis le 21 septembre par déclarations médiatiques interposées Dominique de Villepin et Nicolas Sarkozy, le citoyen français moyen mais averti a le choix entre au moins 4 attitudes différentes.
Voici pour chacune d’entre elles une proposition de définition :
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Le villepiniste convaincu. Pour lui, Dominique de Villepin est au-dessus de tout soupçon : le procès Clearstream en devient ainsi une machination dont Nicolas Sarkozy - adversaire légendaire de Villepin - est aux commandes dans le but de réduire à néant les espoirs du seul adversaire politique susceptible de lui confisquer la prochaine mandature présidentielle. L’ancien Premier ministre reste pour sa part l’exemple même d’une intégrité qui fait tache au sein d’une UMP corrompue. L’issue du procès, qu’elle innocente ou condamne Villepin, le confortera dans cette conclusion.
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Le sarkozyste convaincu. Pour lui, Nicolas Sarkozy est au-dessus de tout soupçon : Le Président est victime une fois de plus d’un TSS sournois, car ses adversaires politiques - dont est depuis longtemps, et de notoriété commune, Dominique de Villepin - ne pouvant l’arrêter à la régulière se sont employés à stopper son avancée politique par la calomnie. Villepin, dont chacun sait qu’il est resté de longues années l’éminence grise de Jacques Chirac, l’homme de l’ombre, le stratège invisible, maîtrise à merveille les arcanes du pouvoir et sait tirer les fils des renseignements et services secrets divers. Il est forcément coupable, et l’issue du procès, qu’elle l’innocente ou le condamne, ne parviendra pas à le blanchir complètement à ses yeux.
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Le sceptique absolutiste. Pour lui, Villepin et Sarkozy, c’est bonnet blanc et blanc bonnet : tous deux sont des arrivistes sans scrupule dont le parcours témoigne d’une unique volonté, celle de se hisser au pouvoir suprême, à n’importe quel prix. Que Sarkozy soit responsable d’une machination anti Villepin, ou que Villepin ait fomenté un complot anti Sarkozy, cela ne lui inspire qu’un ennui mêlé de mépris pour ces deux maniganceurs qui, s’ils sont innocentés, passeront une fois de plus entre les mailles du filet, et s’ils sont condamnés (même à tort), paieront - toujours trop peu - pour un passé tumulteux dont de toute manière personne n’arrivera jamais à mesurer la profondeur ignominieuse.
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Le réaliste partagé. Pour lui, ni Villepin ni Sarkozy ne sont haïssables : Dominique de Villepin reste à ses yeux un grand ministre des Affaires étrangères, puis de l’Intérieur, puis un Premier ministre besogneux doublé d’un écrivain talentueux, quand Nicolas Sarkozy représente un homme politique hors du commun par son génie stratégique et sa capacité d’initiative. Certes, Villepin est souvent plus grandiloquent que nécessaire, et Sarkozy manque parfois de hauteur dans l’accomplissement de sa tâche : l’homme politique parfait serait donc peut-être le fils caché qu’ils n’auront par définition jamais. Mais leurs défauts respectifs démontrent tout au plus leur humanité, de même que leur propension éventuelle à être prêts à tout pour accéder au pouvoir. Chacun d’eux étant ainsi susceptible d’avoir cédé aux sirènes du complot, lui ne sait pas qui absoudre, et doit donc se résoudre à s’en remettre à la Justice pour éclairer sa lanterne.
Les trois premières attitudes décrites ci-dessus ont ceci en commun que, sauf élément nouveau et révolutionnaire, le procès en cours ne parviendra pas à les modifier : tout au plus les nuancera-t-il sur tel ou tel point de détail relatif à l’un des protagonistes. Il s’agit donc d’attitudes bénéficiant d’un relatif confort, celui des certitudes, quand bien même celles-ci ne seraient pas des plus réjouissantes (je pense au sceptique absolutiste).
La quatrième attitude reste donc la seule susceptible d’évoluer dans le temps notamment vers l’une des trois autres, en fonction des conclusions du procès. Elle a ceci d’inconfortable qu’elle s’appuie sur des certitudes qui n’en sont pas, puisqu’au-delà de la valeur certaine qu’elle reconnaît à Villepin ou Sarkozy, elle n’est pas capable de trancher quant à leur culpabilité éventuelle. Pis, il lui arrive de fluctuer. Lorsque Dominique de Villepin arrive en compagnie de sa famille au procès, le réaliste partagé se demande avec Jean-Michel Aphatie s’il est réellement possible qu’un père de famille à la probité si évidente puisse s’être perdu les sombres manoeuvres de Clearstream. Puis il repense, référence hautement culturelle à l’appui, aux précédents en la matière.
Là-dessus surgit un mot (de trop) du Président plaignant, qui quatre semaines avant la fin du procès déclare dans le cadre d’un entretien solennel que son adversaire est "coupable". Qu’à cela ne tienne : ledit Président se voit immédiatement assigné en justice pour ce motif. Ce n’est plus un combat judiciaire, c’est un match de ping-pong médiatico-politique qui prend la République française pour table de jeu, les avocats pour raquettes et la Constitution pour filet. Et voilà notre réaliste qui se sent devenir sceptique.
C’est qu’il oublie le caractère naturel, pour ne pas dire biologique, de ce à quoi il assiste. L’affrontement méritocratique est certainement l’exemple le plus civilisé de la loi de la jungle, qui prône une sélection naturelle en tout. Le problème du réaliste partagé, c’est que tel une lionne lascive, la fécondation de son esprit d’analyse dépend de l’issue du combat de fauves qu’il observe - quand ses trois congénères sont déjà porteurs de leurs propres germes de certitudes. Nicolas Sarkozy et Dominique de Villepin, en s’empoignant de la sorte, obéissent ainsi sans doute à leur instinct incontournable, celui qui commande à leur ego d’aller jusqu’au bout de la logique d’excellence.
Que le spectateur citoyen ne s’y trompe pas, lui qui oscille alors entre admiration et mépris, et qui lorsqu’on lui confie que c’est pour lui, parce qu’il a droit à la vérité, que ce combat a lieu, s’insurge immédiatement : "Que nenni, ils se battent pour eux-mêmes, leur carrière, leur honneur... Je n’ai que faire pour moi de leurs simagrées affligeantes !" Quelle insouciance, que ce détachement artificiel ! Les lions ne se battent pas pour couvrir des hyènes, et les lionnes n’attendent pas les faveurs des chacals. Si les fauves livrent bataille, c’est parce qu’ils veulent gagner le droit au prolongement de leur lignée et à la conservation de leur territoire, et chaque spectateur, quelle que soit son attitude envers le vainqueur, en sera prochainement partie prenante.
Le procès Clearstream est certainement parmi les combats judiciaires de la République l’un des plus symptomatiques de la nature humaine. Il nous rappelle que l’homme politique est avant tout un homme, et que la République a été conçue pour empêcher le déchaînement d’une tendance propre à tout être humain, celle qui consiste à s’affranchir des obstacles légitimes que soulève son ambition. Croire qu’un tel déchaînement est impossible, c’est nier la raison d’être de la République. Croire qu’il est inévitable et universel, c’est en nier la portée. Croire qu’il m’est totalement étranger, c’est nier ma propre humanité. Hourra.
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