Allemagne, Pays-Bas, Luxembourg sous perspective négative mais pas la Finlande : Moody’s condamne par avance le MES
En plaçant sous "perspective négative" l'Allemagne, les Pays-Bas et le Luxembourg, mais pas la Finlande, l'agence de notation récompense la politique de prêts sur gages d'Helsinki et donne un nouvel argument de poids au tribunal de Karlsruhe pour rejeter le MES.
Dans le courant de la nuit, l'agence de notation Moody's - la plus écoutée des marchés financiers mondiaux, à égalité avec l'agence Standard & Poor's - a jeté une petite bombe supplémentaire sur l'incendie qui ravage la zone euro.
Moody's a en effet annoncé :
1)- qu'elle jugeait « la probabilité de plus en plus forte d'une sortie de la Grèce de l'euro ».
En quoi on ne saurait lui donner tort ! Je renvoie à mes articles antérieurs récents sur la question, notamment :
- sur les résultats de la mission secrète de la troïka à Athènes qui juge le cas grec irrécupérable
- et sur l'article de dimanche du Spiegel qui a annoncé que le FMI avait décidé de ne plus financer la Grèce à partir de septembre (ce qui a été vaguement démenti par d'autres sources, probablement sur instruction de Mme Lagarde, sans doute furieuse de la "fuite" prématurée de l'information)
http://www.u-p-r.fr/actualite/france-europe/sortie-grece-euro
2)- qu'elle abaissait de « stable » à « négative » la perspective de la dette publique de l'Allemagne, des Pays-Bas et du Luxembourg.
Moody's justifie cette décision sans précédent pour ces 3 pays, en raison de « l'incertitude croissante » sur l'issue de la crise de la zone euro et en particulier « parce qu'il existe une probabilité de plus en plus forte qu'une aide à d'autres États de la zone euro, notamment l'Espagne et l'Italie, soit requise. »
LA FINLANDE MONTRÉE IMPLICITEMENT EN EXEMPLE
Sous un aspect apparemment technique et relativement anodin, cette annonce constitue une véritable bombe.
Pourquoi ? Parce que ce qui est le plus important est ce qui n'a pas été dit : à savoir que, sur les 4 derniers États de la zone euro qui bénéficient encore de la meilleure note "AAA" (Allemagne, Pays Bas, Luxembourg et Finlande), l'agence Moody's fait la distinction entre les 3 premiers, qu'elle place sous perspective négative, et le 4ème (la Finlande) qu'elle ne cite pas et auquel elle laisse donc une perspective stable.
Même si les agences de presse et les journaux n'en parlent pas (sauf Les Échos de ce matin, qui souligne le fait sans l'expliquer), les experts ne peuvent que "tilter" devant ce distinguo.
Car si la Finlande reste seule plébiscitée, cela ne peut découler que d'une seule chose : du fait que le gouvernement d'Helsinki a continuellement refusé de prêter de l'argent (via le FESF ou le futur MES) aux autres États de la zone euro sans prendre des garanties solides de remboursement (des "sûretés réelles" comme disent les prêteurs sur gages).
Comme le savent les lecteurs fidèles de mes articles, j'ai déjà souligné plusieurs fois cette politique du gouvernement finlandais. Seul dans son cas au sein de la zone euro (!), il estime que son premier devoir est de protéger le patrimoine du peuple finlandais, avant que de voler au secours des banquiers grecs ou espagnols.
Je renvoie notamment à mes articles récents sur le sujet :
- du 10 juillet : http://www.u-p-r.fr/actualite/france-europe/finlande-eurogroupe-espagne
- et du 18 juillet : http://www.u-p-r.fr/actualite/france-europe/euro-finlande-espagne
BERLIN ET LUXEMBOURG PIQUÉS AU VIF
En d'autres termes, ce que vient de dire Moody's, et tel que cela va être interprété par les marchés financiers, c'est tout simplement que le gouvernement finlandais est le seul à préserver la solidité de son endettement, tandis que les 3 autres pays sont en train de se laisser couler dans le Titanic financier de l'euro.
Ou encore, pour prendre une métaphore un peu scabreuse mais parlante, les Allemands, les Néerlandais et les Luxembourgeois sont en train d'attraper une vérole financière parce qu'ils n'ont pas la précaution, comme les Finlandais, de se munir de préservatifs.
Merveilles de l'Inconscient, cette double métaphore, de la contamination virale et du naufrage maritime, sont d'ailleurs celles qu'ont aussitôt eues à l'esprit les dirigeants des pays visés par Moody's, bien entendu pour s'en défendre.
Piqué au vif, le Premier ministre du Luxembourg Jean-Claude Juncker, qui est aussi le président de l'Eurogroupe, a ainsi utilisé spontanément un langage médical en protestant avec véhémence, par un communiqué officiel, que les « fondamentaux » des 3 pays menacés de rétrogradation sont « sains ».
http://www.romandie.com/news/n/Zone_euro_Juncker_affirme_son_engagement_a_
assurer_la_stabilite36240720120915.asp
Encore plus piqué au vif, le ministère allemand des finances a quant à lui lancé une étrange formule maritime, explicitement reliée à l'idée de naufrage : « L'Allemagne va continuer d'exercer son rôle d'ancre de stabilité dans la zone euro ».
Les gouvernements de Berlin et de Luxembourg, et probablement celui de La Haye dans la journée, insistent bien entendu sur leur « ferme engagement pour assurer la stabilité de la zone euro dans son ensemble ». Ils se récrient que cette décision de Moody's « met surtout en avant les risques à court terme, alors que les perspectives de stabilisation à long terme restent non mentionnées (...) La zone euro a mis sur les rails une série de mesures qui doivent conduire à une stabilisation durable de la zone ».
Mais qui ces protestations trompent-elles ?
Qui peut croire vraiment que les perspectives à long terme sont plus réjouissantes que celles à court terme, alors que cela fait maintenant 13 ans que l'euro a été officiellement lancé et que toutes les prévisions optimistes de long terme ont justement toujours été démenties de façon cinglante ?
En réalité, le degré d'énervement et de déni dont témoignent les réactions des autorités allemandes et luxembourgeoises est la meilleure preuve que l'analyse de Moody's vise terriblement juste et fait terriblement mal.
DU PAIN BÉNIT POUR LES OPPOSANTS ALLEMANDS AUX EUROBONDS ET AU MES
Si le ministère allemand des finances a également réagi avec une vigueur inhabituelle, c'est aussi parce que cette annonce de Moody's, si elle est parfaitement justifiée d'un point de vue financier, n'en est pas moins calamiteuse du point de vue politique pour le gouvernement de Berlin.
Car, en confirmant que les dispositifs de soutien à l'euro sont en train de gangréner la stabilité financière de l'Allemagne elle-même, - et en osant implicitement donner la Finlande en modèle de gestion à l'Allemagne ! - l'agence Moody's apporte une confirmation éclatante :
- aux mises en garde continuelles des responsables de la Bundesbank,
- à la récente et spectaculaire mise en garde du très officiel Conseil des experts économiques du gouvernement allemand (cf. mon article http://www.u-p-r.fr/actualite/france-europe/5-experts-economiques-allemands-evoquent-le-risque-dune-crise-systemique-menacant-leuro-et-leconomie-de-lallemagne)
- à la montée en puissance d'un très fort sentiment anti-euro chez nos voisins d'outre-Rhin.
Ce qu'il faut bien comprendre, c'est que cette annonce de Moody's représente en fait une condamnation théorique du principe même du MES, et aussi du projet mort-né d'eurobonds. Et Moody's a raison puisque tous ces dispositifs reviennent à étendre le problème des dettes irrécouvrables à l'ensemble du continent, sans aucune solution réelle derrière puisqu'il ne s'agit que de creuser des dettes pour en rembourser d'autres.
UN NOUVEL ARGUMENT POUR LE TRIBUNAL DE KARLSRUHE
Enfin, "last but not least", cette annonce de Moody's va fournir un argument de poids aux opposants allemands au MES, qui ont saisi la Cour Constitutionnelle de Karlruhe.
(cf. mon article http://www.u-p-r.fr/actualite/france-europe/coup-de-theatre-en-allemagne-le-mes-et-le-pacte-budgetaire-constitution).
Je rappelle en effet que la Constitution allemande ("Bundesverfassung") de 1949 :
a)- pose le principe de la règle d'or budgétaire, qui implique que les recettes et les dépenses doivent s'équilibrer.
b)- précise, dans son article 115, que « le produit des emprunts ne doit pas dépasser le montant des crédits d’investissements inscrits au budget et qu'il ne peut être dérogé à cette règle que pour lutter contre une perturbation de l'équilibre économique global. »
c)- ajoute, dans son article 109, alinéa 3, qu'à partir de 2016, le déficit du budget de l'État ne devra pas dépasser 0,35 % du Produit Intérieur Brut (PIB) (contre 3 % pour l'actuel Pacte de stabilité européen).
Sans compter tous les autres motifs qui pourraient conduire les juges de Karlsruhe à déclarer l'inconstitutionnalité du MES (notamment la mise à l'écart des parlemente et le processus non démocratique de prise de décision), cette mise en garde de Moody's est un nouvel argument de poids pour que le Tribunal constitutionnel juge le MES contraire aussi aux principes fixés par les articles 109 et 115 de la Constitution fédérale.
Réponse le 12 septembre.
François ASSELINEAU
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