Anatomie du Parti Breton
Parmi les quelques vingt listes présentes sur la circonscriptions ouest aux dernières élections européennes seules cinq ou six avaient une chance raisonnable d’obtenir des députés. Une petite dizaine n’avaient pas imprimé de bulletins, ou en avaient imprimé en quantité si réduite que cela revenait au même. Qu’elles s’appellent Newropeans ou Alliance Royale, ces formations n’intéresseront que l’amateur de groupusculologie. Entre les deux on trouve un certain nombre de partis qui, s’ils ne jouent pas dans la cour des grands n’en sont pas pour autant ridicules. Le Front National, très faible dans l’Ouest, y côtoie l’Alliance Ecologiste Indépendante ou une Lutte Ouvrière en perte de vitesse. Un nouveau venu s’y est, à la surprise générale, ajouté : le Parti Breton.
Bien sûr, ce n’est pas la première fois qu’un parti régionaliste se présente aux élections européennes. Max Siméoni s’y était essayé en 1994, avec le soutien remarqué du chanteur Renaud, ainsi que l’écrivain Jean-Edern Hallier en 1979, dans un registre il est vrai très différent. Des nationalistes basques et occitans ont également présenté des listes dans la circonscription sud-ouest avec des résultats dérisoires. Avec prés de 3% des suffrages sur les cinq départements breton, le Parti Breton fait indéniablement beaucoup mieux que ses prédécesseurs. Il est donc plutôt surprenant qui si peu de commentateurs s’y soient intéressés. C’est tout juste si le site national-laiciste Riposte Laïque a publié un billet s’offusquant de l’existence d’une telle liste, sans d’ailleurs analyser son discours. Il est vrai que les bretons ne sont encore que marginalement musulmans et que le sujet se prête mal aux vociférations islamophobes.
Le Parti Breton a été créé en 2002 autour d’un ancien membre du Rassemblement pour la République : Gérard Ollieric. Ce n’était, naturellement pas la première tentative pour créer un parti autonomiste ou nationaliste de centre-droit en Bretagne. Le Mouvement pour l’Organisation de la Bretagne s’y était essayé dans les années 60, puis plus récemment le Parti pour l’Organisation d’une Bretagne Libre. Ils n’ont jamais dépassé le stade de gros groupuscule et ont été finalement infiltré par une extrême droite toujours très prompte à récupérer le thème de l’identité. Le POBL a ainsi largement disparu en 2000 lorsque ses cadres et une grande parti de ses adhérents ont fait scission pour créer un parti d’extrême-droite : Adsav. Cela a, d’ailleurs, probablement permis au Parti Breton de se maintenir hors des eaux troubles où avaient sombré ses prédécesseurs. Ceux que l’extrémisme tentait sont tous allé du côté d’Adsav ou des Identitaires et ont laissé tranquille la petit entreprise de Gérard Ollieric et Emile Grandville.
Le Parti Breton se présente comme modéré et social démocrate, à l’exemple du SNP écossais ou du Plaid Cymru gallois dont il a d’ailleurs repris le logo. C’est un fait que si le nationalisme des dominés peut être aussi intolérant que celui des dominants – il n’y a qu’a lire les éructation d’Adsav pour s’en convaincre – c’est loin d’être toujours le cas. Le nationalisme français ne peut être qu’oppresseur car il cherche à garantir la "pureté" d’une culture qui est largement dominante sur son territoire. Le nationalisme gallois ou écossais cherche à obtenir pour leur peuple et leur culture les droits dont jouissent les autres grands peuples d’Europe. On peut discuter de l’opportunité de la chose mais il est certain qu’une Catalogne ou une Ecosse indépendante ne serait ni moins ni plus démocratique que n’importe quel autre état européen. Je doute qu’on puisse en dire autant d’une France soumise au diktat du POI, du Front National ou de la rédaction de Riposte Laïque.
Ni le Parti Breton, ni son porte-parole Emile Grandville ne se sont fait remarquer par des déclarations à l’emporte-pièce du genre "Pas de Mosqués en Bretagne" et si leur programme ne dit rien sur les sans-papiers, il ne prévoit pas non plus de les renvoyer chez eux manu militari. Il n’y a pas non plus de sympathie pour le terrorisme ni même pour l’activisme. Il est néanmoins permis de se poser des questions sur le caractère modéré et social démocrate de son projet.
Un projet nationaliste
Le Parti Breton ne se réclame ni du nationalisme ni du souverainisme et il est certain que vis à vis de l’Union Européenne il n’est ni l’un ni l’autre. Il se situe dans le cadre d’une fédération européenne à construire. Les contours qu’il entend donner à cette fédération sont assez flous mais il la dote dans son programme d’un pouvoir législatif bicaméral et d’un gouvernement. On est donc loin de "L’Europe de Patries" ou de "L’Union Libre des Peuples Européens" que mettent en avants nationalistes et souverainistes en tous genres.
Nationaliste et souverainiste, le Parti Breton l’est cependant vis-à-vis de la France. Son programme, adopté en 2008, considère la Bretagne comme une nation. Or, si le fait de se définir comme un peuple n’implique pas nécessairement que l’on souhaite disposer d’institutions souveraines, la nation, dans la tradition, européenne a vocation à s’incarner dans un état souverain, même si elle peut décider de ne pas le faire dans l’immédiat pour telle ou telle raison.
Le Parti Breton admet d’ailleurs pleinement cette logique puisqu’il se donne pour objectif de créer un état breton souverain, membre direct de l’Union Européenne. Cet état souverain, contrairement à celui que souhaiterait un groupe comme Adsav, serait sûrement démocratique et compte tenu de l’ambiance politique locale il est probable que les musulmans, les immigrés et les classes populaires y vivraient mieux que dans la France de Sarkozy. Il n’en reste pas moins qu’il s’agit d’un projet séparatiste, éminemment respectable, mais qu’on peut difficilement qualifier de modéré.
Un projet libéral
A sa création le Parti Breton s’est réclamé du blairisme, or si le New Labour se situe à gauche sur l’échiquier politique britannique c’est essentiellement parce que celui-ci s’est déplacé vers la droite pendant les années Tatcher. Sur de nombreux point, d’ailleurs, le parti de Gordon Brown se situe à droite des Libéraux-Démocrates, pourtant originellement situé au centre. Le fait est que si le Parti Breton prone une "démocratie sociale" il n’en prétend pas moins vouloir lutter contre "l’étatisme" français qui détournerait les ressources des entreprises au profit de l’administration. Son modèle est l’Irlande dont il souhaite, ou plutôt souhaitait en 2008, reproduire les performances en matière de croissance.
La politique économique prônée par le Parti Breton, toujours selon son programme officiel, est basée sur les clusters – un thème assez universel – mais aussi sur "l’équilibre optimal entre, d’une part le financement des services et administrations publiques, et d’autre part la solidarité et la compétitivité des entreprises bretonnes" et "l’équilibre optimal entre le développement des entreprises et le respect des équilibres éthiques et sociaux". Dans les deux cas cela signifie que l’équilibre actuel n’est pas optimal et que l’on entend diminuer les impôts – du moins ceux pesant sur les entreprises – et dérèglementer l’économie.
Même si le Parti Breton ne le détaille pas plus, en français, cela s’appelle un programme libéral. En breton aussi, d’ailleurs.
Des alliances à droite
Le parti Breton prétend être indépendant des états-majors parisiens et donc ne pas avoir de politique d’alliance préférentielle. Il est certain qu’il est allé seul aux élections européennes, ce qui n’est pas un mince exploit. Il n’est pas le seul, cependant, à s’être lancé dans ce genre d’aventure. L’UDB l’a fait à plusieurs reprises aux régionales, et naturellement aux cantonales et aux législatives.
Force est de constater que lors des scrutins municipaux c’est toujours avec la droite et le centre que le Parti Breton s’allie et obtient des élus. Son porte-parole s’est fait élire au conseil municipal de Redon sur une liste clairement marqué à droite et son représentant à Rennes à été élu sur la liste du Modem. Lors de l’élection cantonale partielle de Redon, gagnée par la gauche, il a appelé à voter pour le candidat de la droite.
S’il maintient encore une position ambiguë quant à son positionnement politique c’est en grande partie parce qu’il se situe dans une tradition nationaliste qui refuse le clivage gauche-droite et prétend, d’une manière assez irréaliste, parler pour l’ensemble de la population bretonne. Il n’est pas certain que cette posture soit à son avantage, tous les partis équivalents en Europe ayant un positionnement au moins implicite sur l’échelle gauche-droite. A défaut de devenir l’équivalent breton de la CDC catalane – ambition qu’il ne peut avoir que dans un avenir relativement lointain – il peut se positionner au sein de la droite face à une gauche bretonne qui, dans toutes ses composantes, a largement intégré l’élément identitaire. Encore faut-il pour cela qu’il assume son rôle et fasse sa nécessaire mue idéologique.
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