André Lajoinie, l’incarnation de la branche agricole du parti communiste français
« Il y a André Lajoinie : la cinquantaine, épais, la poignée de main ferme, placide, il a été l'un des principaux orateurs communistes pendant la campagne des législatives en 1978. » (Michèle Cotta, 8 janvier 1980).
Il aurait eu 95 ans dans exactement un mois. André Lajoinie est mort ce mardi 26 novembre 2024. Qu'il repose en paix. Son importance politique a été telle qu'à l'Assemblée Nationale, la séance des questions au gouvernement a été brièvement interrompue par la Présidente de l'Assemblée, Yaël Braun-Pivet, juste avant de donner la parole à l'oratrice communiste : « Avant de donner la parole à Mme Elsa Faucillon, qui va intervenir au nom du groupe GDR [PCF], je souhaitais rendre hommage à André Lajoinie, qui nous a quittés aujourd’hui. Député de l’Allier pendant près de vingt ans, président du groupe communiste de 1981 à 1993, président de la commission de la production et des échanges de 1997 à 2002, André Lajoinie fut une figure de notre vie politique et je voulais saluer sa mémoire avec vous. ». Elsa Faucillon elle-même, avant de poser sa question, a rajouté : « Merci, madame la Présidente : le groupe GDR, en particulier ses membres communistes, est très sensible à votre hommage. ».
Oui, les mandats électifs d'André Lajoinie, dirigeant du parti communiste français (PCF) à partir de 1957, étaient effectivement bien énumérés par la présidente de séance : député de la troisième circonscription de l'Allier de mars 1978 à mars 1993 (il a échoué en mars 1993) et de juin 1997 à juin 2002, il était le très important président du groupe communiste à l'Assemblée de juin 1981 à mars 1993, notamment pendant les deux législatures où la gauche était au pouvoir (1981-1986 et 1988-1993), dont la dernière où il manquait la majorité absolue, ce qui a conduit les gouvernements socialistes à s'unir dans les votes soit avec les députés communistes, soit avec les députés centristes (de l'UDC). Dans sa vie parlementaire, André Lajoinie a reçu son bâton de maréchal lors de la troisième législature où la gauche était au pouvoir (la fameuse gauche plurielle menée par Lionel Jospin), en se faisant élire président de la commission de la production et des échanges de juin 1997 à juin 2002 (la commission s'appelle désormais des affaires économiques). André Lajoinie a pris sa retraite en 2002. Il a été par ailleurs élu conseiller régional d'Auvergne de 1978 à 1988 et de 1992 à 1998.
À ce titre de parlementaire, André Lajoinie a défendu les positions habituelles des communistes, en particulier en s'opposant à l'apartheid en Afrique du Sud, en s'opposant systématiquement à la construction européenne, mais aussi à la politique agricole commune. Il a fermement soutenu la loi n°90-615 du 13 juillet 1990 tendant à réprimer tout acte raciste, antisémite ou xénophobe (dite loi Gayssot, du nom de son rapporteur communiste Jean-Claude Gayssot, qui réprime notamment la contestation de l'existence des crimes contre l'humanité).
André Lajoinie s'est aussi opposé (très mollement) à la loi d'auto-amnistie déposée par les socialistes pour s'autoblanchir. À la journaliste Michèle Cotta, il confia le 25 avril 1990 : « Tous les partis sont certes responsables de leur "auto-amnistie", mais la faute en revient en premier lieu aux socialistes. Les hommes politiques seront amnistiés s'ils ont mis la main sur des fonds publics. Il y a là-dedans une complicité totale de toute le monde avec tout le monde... à l'exception du parti communiste qui n'a jamais trempé dans des magouilles de ce genre. S'il ne tenait qu'au PC, personne ne serait amnistié pour avoir mis la main dans la caisse. ». Mais il y a les paroles et il y a les actes : le 9 mai 1990, la droite a déposé une motion de censure contre le gouvernement de Michel Rocard pour s'opposer à ce texte scandaleux d'auto-amnistie et les communistes auraient pu ajouter leurs voix et renverser le gouvernement (alors que Michel Rocard était opposé à cette amnistie, mais il était sous la pression des autres éléphants du PS dont Pierre Mauroy). Résultat, par peur d'une dissolution, les communistes ont condamné l'initiative de la droite et ont sauvé le gouvernement... et la loi d'auto-amnistie !
Mais ces mandats, principalement parlementaires, étaient la face la moins exposée au grand public de la vie politique d'André Lajoinie car il était surtout connu pour avoir été le candidat du PCF à l'élection présidentielle de 1988. Au premier tour du 24 avril 1988, il n'a réuni que 6,8% des voix, incapable d'enrayer la chute du PCF depuis une dizaine d'années (une chute de plus de 8 points par rapport au score de Georges Marchais en 1981). Il s'agit du plus mauvais score depuis la victoire du Cartel des gauches en mai 1924 ! À sa décharge, André Lajoinie a pâti de la concurrence d'un autre candidat communiste dissident Pierre Juquin, exclu du PCF le 13 octobre 1987, soutenu par l'ancien ministre communiste Marcel Rigout, qui a recueilli 2,1% des voix. Lors de sa première candidature en 1995, Robert Hue, qui a succédé à Georges Marchais à la tête du PCF, allait faire 8,6% (mais ce fut le désastre en 2002 avec 3,4%).
C'est Georges Marchais, secrétaire général du PCF, qui a annoncé à la télévision, le 14 janvier 1987, qu'il ne se représenterait pas à l'élection présidentielle (déjà annoncé en 1986) et qu'il laisserait cette démarche à André Lajoinie dont le comité central du PCF a approuvé la candidature le 20 mai 1987. Les Français ont alors découvert un candidat communiste bonhomme, placide, souriant et parlant avec un accent chantant du Sud, laissant entendre les cigales.
Il faut dire qu'André Lajoinie, né en Corrèze, était assez particulier, une sorte de nouveau Jacques Duclos. Il était à l'origine agriculteur, comme sa famille, n'ayant pas pu faire d'études car il devait reprendre l'exploitation familiale. À ce titre, il a pris des responsabilités à la FNSEA tout en adhérant en 1946 au PCF. À partir de 1957, il a gravi les marches des responsabilités, d'abord locales puis nationales, introduit par Gaston Plissionnier qui lui a proposé en 1963 d'être permanent et responsable des questions agricoles. C'était un peu une originalité au PCF qui s'occupait plutôt des ouvriers et des habitants des zones urbaines. André Lajoinie est devenu membre du comité central en 1976 (suppléant en 1972), membre du bureau politique en 1979 (suppléant en 1976) et membre du secrétariat en 1982. Dans les années 1960, il avait fait quelques tentatives électorales infructueuses en Corrèze et a commencé à connaître le succès électif en changeant de département et en s'implantant dans l'Allier.
Si la campagne présidentielle d'André Lajoinie a eu si peu d'échos populaires, c'est aussi parce qu'il ressassait des arguments simplistes et démagogiques classiques, très utilisés du PCF, sans beaucoup d'originalité, des faukon et des yaka à la pelle. On peut s'en faire une idée avec les deux vidéos mises en fin d'article, qui correspondent à des spots de la campagne officielle diffusés respectivement le 12 avril 1988 et le 20 avril 1988.
Dans son document de campagne de 1988 (tract électoral), on peut lire entre autres : « Tout au long de ma campagne, je vous ai rencontrés par milliers. Je vous ai écoutés. Je connais bien vos problèmes : chômage, baisse du pouvoir d'achat, insécurité de l'emploi, de la vie, de l'avenir des enfants, discriminations, injustices de toutes sortes. Et pour beaucoup, la pauvreté. Pendant ce temps, tout va toujours mieux pour les grandes fortunes, mais c'est le déclin de la France, son "américanisation", la mainmise de l'argent sur l'école, la santé, le logement, la télévision, la recherche, la culture. Je vous le redis : rien de tout cela n'est dû à la fatalité. C'est le résultat des choix faits par ceux qui ont dirigé le pays depuis près de vingt ans. ». C'est curieux car entre 1969 et 1988, il y a la période de 1981 à 1984 où quatre ministres communistes officiait au gouvernement !
La tactique électorale était d'ailleurs très simple : laissez le choix du Président au seul second tour de l'élection et faites pression au premier tour pour se faire entendre. Un argument qui montrait que le candidat communiste partait battu à l'avance : « Au premier tour, vous pouvez dire ce que vous avez sur le cœur, vous faire entendre, en votant pour le candidat du parti communiste. Tout autre vote, lors de ce premier tour, reviendrait à approuver ce qui s'est passé ces dernières années et ce qui se prépare. ».
Le programme est un catalogue de surenchères démagogiques et d'incantations dans le vide : « Nous voulons le SMIC à 6 000 francs, le revenu minimum de 3 000 francs, l'augmentation des salaires, des retraites et des revenus paysans, la défense de la Sécurité sociale. Nous voulons des emplois stables pour les jeunes, la baisse des loyers, 40 milliards de moins pour les bombes et davantage d'argent pour l'école et pour l'amélioration de la vie des gens, la justice et l'égalité dans les DOM, le respect des libertés. ».
Et en regardant plus en détails les mesures, c'était on-rase-gratis ou l'utopie naïve : « Toutes les prestations sociales doivent progresser ; les loyers et charges diminuer. (…) Interdiction des saisies, coupures EDF et expulsions pour les familles en détresse. (…) Plus aucun licenciement sans reclassement préalable, transformation des emplois précaires et des "TUC" en emplois stables. (…) Moins d'argent pour le budget militaire, et davantage pour la formation. (…) Suppression des droits d'inscription à l'université. (…) Une radio et une télévision de qualité (pas de coupure des films par la publicité !) et pluraliste. (…) La France doit soutenir les initiatives en cours pour le désarmement, œuvrer pour la disparition de toutes les armes nucléaires d'ici l'an 2000 ; refuser l'armement de l'espace et toute armée européenne. ».
Le pire, c'est qu'en 2024, on en est encore là dans certains partis...
Aussi sur le blog.
Sylvain Rakotoarison (26 novembre 2024)
http://www.rakotoarison.eu
Pour aller plus loin :
André Lajoinie.
Huguette Bello.
Mélinée et Missak Manouchian.
Henri Krasucki.
Louis Aragon.
Jean Jaurès.
Léon Blum.
Staline.
Fabien Roussel.
Programme 2022 du candidat Fabien Roussel.
Robert Hue.
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