Coup de tonnerre dans des centaines de
milliers de familles ! En période de canicule, le gouvernement
arrose les familles d’une bonne douche froide. Qui, que, quoi ?
François Baroin, jadis anti-sarkozyste, qu’on présentait comme aux
antipodes du chef de l’État, décide de s’attaquer aux familles
d’étudiants. Une attaque oui, hélas, et nous verrons pourquoi.
Un petit rappel tout d’abord : il faut remonter à deux années en arrière. Fraichement élu, Nicolas Sarkozy décide de mandater Valérie Pécresse pour réformer le système des bourses, avec un objectif clair : faire des économies. Après plusieurs mois de négociations, il en résulte un compromis, défavorable pour les étudiants boursiers certes, mais ces derniers évitent le pire : ainsi, les points de charges pour les familles mono-parentales sont supprimés, et ceux qui dépendent de la distance entre le foyer familial et le lieu d’étude sont divisés par deux. In fine, il en résulte une réduction des bourses pour des dizaines de milliers d’étudiants. En effet, les points de charges, comme leur nom l’indique, sont censés prendre en compte certaines charges dans le calcul des bourses, qui dépend principalement des ressources du foyer familial : les points de charges permettent de faire remonter le plafond pour toucher tel ou tel échelon de bourses. Les échelons vont de 0 à 6, plus l’échelon est élevé, plus l’étudiant touche de l’argent. Le barème des plafonds de ressources requis en fonction des points de charges
est donné ici.
Pour calmer les ardeurs des familles qui n’étaient pas au courant de la réforme, le CROUS (le service public qui gère entre autres les bourses et le logement étudiant) a accordé un sursis d’un an aux familles. Le nouveau système n’est entré en vigueur qu’il y a un an.
Cet été maintenant, François Baroin veut donc frapper un grand coup. Pour économiser 423 millions d’euros par an (sur les 55 milliards requis pour revenir à l’équilibre), il décide de confronter les familles à un choix cornélien : renoncer aux APL pour le ou les enfants étudiants, ou bien renoncer à la demi-part fiscale qui prend en compte le fait qu’un étudiant est très rarement totalement indépendant, les parents aidant au maximum leur enfant dans la plupart des cas, en général pour la nourriture ou les transports, parfois pour les loyers, par de petites sommes régulières obtenues parfois, au prix de certains sacrifices.
Les APL sont versées aux propriétaires, et pas aux étudiants. Aussi, contrairement aux bourses, elles dépendent uniquement de la situation des étudiants (revenus, célibat, couple, colocation, boursier, loyer etc...) et pas des parents. Il s’agissait en quelque sorte d’un pivot, surtout pour les classes moyennes, qui permettaient à des centaines de milliers de familles de pouvoir assurer une vie étudiante décente à leurs enfants. Le travail d’été pour beaucoup d’entre eux, qui dégage en général aux alentours de 1500 € (plus pour les chanceux qui réussiraient à trouver un travail pour deux mois pleins) qui, ajoutés aux APL, en moyenne 1,500 €, permettaient d’avoir pour chaque étudiant environ 3,000 € de budget pour ceux qui travaillent l’été (beaucoup), et plus pour ceux qui ont une bourse. Avec cela, compte tenu d’un loyer de 350€ en moyenne (en province et en comptant les chambres universitaires), le budget est alors pour tout le monde en déficit, mais les bourses interviennent alors : pour les familles modestes, les bourses (1500€ au minimum par an et par étudiant) permettent de combler le trou et de se nourrir, et pour celles qui ne touchent pas les bourses, en règle générale, les parents sont suffisamment riches pour aider leurs enfants à combler le trou et à se nourrir.
Avec cette modification liée aux APL, le budget étudiant sera nécessairement amputé pour les familles payant des impôts. Les familles auront alors à faire ce choix cruel : APL pour les enfants ou impôts supplémentaires pour les parents. Non seulement cette mesure risque de déchirer certaines familles, amenant certaines à des situations rocambolesques : si chacun veut garder sa part de gâteau, enfants contre parents, que se passe-t-il ? Mais en plus, le trou dans les budgets de centaines de milliers d’étudiants risque de ne pas être comblé. Les loyers les plus bas que l’on puisse trouver sur le marché (un 9m² lit + lavabo, sans toilettes, ni douche, ni frigo dite « chambre traditionelle » au CROUS) sont de 150€/mois environ, selon les académies. Pour les familles non-boursières (donc soumises aux frais d’inscription, à la cotisation pour sécurité sociale étudiante et en général bannies des logements universitaires), la facture risque d’être salée. Pour les familles boursières qui pourraient se loger à bas prix au CROUS, là encore cela va amener d’importantes dépenses. Seules les familles trop modestes pour payer des impôts seront épargnées, tandis que les plus opulentes pourront toujours se débrouiller pour retomber sur leurs pieds : les classes moyennes semblent donc une nouvelle fois la cible de cette réforme.
Un coup de maître du gouvernement
Mais ce n’est pas tout, car le principal vice de cette réforme est caché : heureusement pour beaucoup d’étudiants, les parents ne sont pas égoïstes, et choisiront les impôts supplémentaires (de 600 € pour un enfant à plus de 1,000 € pour plusieurs enfants) face aux APL qui rapportent souvent plus, surtout pour les familles avec plusieurs enfants à charge. Les parents devront donc faire valoir que les enfants qui font des études, ne sont plus à charge. Et c’est là le coup de maître du gouvernement. Souvenez vous des fameux points de charges : même s’ils ont été modifiés voire supprimés, il en reste quelques uns : 2 points par enfant à charge (autre que l’étudiant faisant la demande de bourses), et 4 points si cet autre enfant à charge fait des études dans l’enseignement supérieur. Quatre points de charges, c’est un plafond relevé de 4,000 € à 15,000 € selon les échelons. En obligeant les parents à renoncer à leur enfants à charges, non-seulement ils pourront moins aider leurs enfants du fait des impôts, mais en plus pour les plus modestes des classes moyennes qui touchent encore des bourses, celles-ci pourraient être supprimées, ou tout du moins réduites.
Au final, les principales familles touchées seront celles des classes moyennes qui ont plusieurs enfants dans l’enseignement supérieur : en plus de l’augmentation des impôts de plus de 1,000 €, celles-ci devront faire face à une réduction voire une suppression des bourses pour chaque enfant (3,000 € par an au minimum pour deux enfants boursiers par exemple).
La seule solution pour beaucoup d’étudiants sera alors de cumuler un emploi l’été et un emploi à temps partiel pendant les cours. Hélas, l’UNEF avait lancée une étude qui avait aboutie à la conclusion cinglante que 50% des étudiants qui travaillaient en même temps que leurs études échouaient dans leur quête d’une Licence. Autre élément, dans les études scientifiques par exemple, les cours occupent au bas mot 25 heures dans la semaine, auxquelles il faut ajouter le fait que les cours obligatoires sont très présents (Travaux Pratiques) et que les emplois du temps sont en général extrêmement irréguliers, changeant chaque semaine. Au final, on ne voit pas très bien où le gouvernement veut en venir.
Cette décision est avant tout inexplicable, d’où le ton partisan de cet article. En effet, même en étant le plus objectif possible, cette mesure n’a aucun sens. Des centaines de milliers de familles vont être touchées, certaines pourront même se déchirer face au dilemme impôts/APL, des étudiants vont devoir sacrifier leurs résultats au nom de la survie de leurs études. Les Universités ne sont pas adaptées à ces nouvelles données, beaucoup d’universités ne proposent rien pour les étudiants salariés, souvent obligés de sécher des cours, souvent bannis des mentions dans les résultats, faute d’avoir pu ingurgiter le programme correctement.
A deux ans des élections présidentielles, la rentrée universitaire s’annonce chaude. Et la fronde est là, la colère se réveille, chez toutes les familles touchées par cette réforme. Même celles plutôt à droite crient à l’injustice flagrante. Cette réforme pourrait bien être la plus impopulaire du quinquennat, touchant presque 1 million de personnes. La question est sur beaucoup de lèvres : à quoi joue le gouvernement ?
Sources utilisées pour cet article :