Après la dissolution la fin d’une illusion (7)
Bientôt les historiens parleront de « l’affaire de la dissolution » parce que la façon dont Emmanuel Macron a décidé, subrepticement, la dissolution de l’Assemblée nationale et la gestion de la crise subséquente notamment due à l’absence de majorité à l’issue des élections législatives, place cette dissolution entre Fin de partie de Samuel Beckett et Dom Juan de Molière.
La dissolution marque-t-elle la fin de quelque chose ou la fin de plusieurs choses de la vie politique de la France ? La fin du Macronisme, c’est assez évident : dans trois ans il ne restera qu’un tas de poussière de son passage à l’Élysée, plus de parti macroniste, plus de France sociale qu’il a détruit petit à petit, plus d’argent qu’il a su distribuer en masse aux entreprises (surtout les multinationales) et jeter comme autant d’aumônes à la population tel un roi qui jetait des pièces au passage son carrosse pour calmer la populace (chèque carburant, pass culture…) ; il restera une dette colossale et un pays financièrement exsangue. Mais, déjà on peut s’interroger sur ce qu’il reste de Macron : de Macron le superbe, le fier à bras qui renvoyait dos à dos les partis politiques en 2017, qui la même année prétendait transformer la France tout en déclarant qu’elle était composée de gaulois réfractaires, et qui voulait effacer « l’Ancien Monde »… Là, à l’Élysée se joue la fin de Dom Juan[1] qui prend la main de la Statue qui lui déclare que l’endurcissement au péché traîne une mort funeste, « et les grâces du Ciel que l’on renvoie ouvrent un chemin à sa foudre. » Dom Juan s’écrie : « O ciel ! Que sens-je ? Un feu invisible me brûle, je n’en puis plus, et tout mon corps devient un brasier ardent. Ah ! »
Déjà, se délite Macron qui définitivement, en 2027[2], disparaîtra de la vie politique et publique, entraînant avec lui dans les abîmes ceux qui l’auront suivi depuis 2017. Bien sûr, l’histoire se souviendra de lui comme elle se souvient de tous, même, peut-être surtout, des pires hommes que la terre a pu porter et des pires gouvernants que la société a pu engendrer. Parmi ces « pires » Macron est à classer au rang des séducteurs et des hérétiques qui ne croient ni au ciel ni à l’enfer (NDLR : ni aux Hommes), et qui traite de billevesées tout ce que nous croyions, ainsi écrivait un préfacier de l’œuvre de Molière pour expliquer l’athéisme de Dom Juan marquant que celui-ci est la conséquence logique du fait que le personnage est un séducteur. En effet, écrivait-il, le séducteur doit avoir une liberté d’action et aussi des avantages physiques que peuvent seules donner la naissance et la fortune ; en somme il ne fallait pas qu’il soit embarrassé par une quelconque morale qu’elle soit d’ordre générale ou religieuse. Ainsi, à l’aube de sa mort politique nous pourrions attribuer à Emmanuel Macron cette tirade de Dom Juan[3] : « Le personnage d’homme de bien est le meilleur de tous les personnages qu’on puisse jouer aujourd’hui, et la profession d’hypocrite a de merveilleux avantages. C’est un art de qui l’imposture est toujours respectée, et, quoiqu’on la découvre, on n’ose rien dire contre elle. Tous les autres vices des hommes sont exposés à la censure, et chacun a la liberté de les attaquer hautement ; mais l’hypocrisie est un vice privilégié, qui de sa main ferme la bouche à tout le monde et jouit en repos d’une impunité souveraine. […] C’est ainsi qu’il faut profiter des faiblesses des hommes, et qu’un sage esprit s’accommode aux vices de son siècle. »
Aujourd’hui, un coup de trop, une tromperie de trop, un enfumage de trop font, pour reprendre le discours du préfacier : « enfin le séducteur est démasqué. On le prenait seulement pour un enfant mal élevé, pour un jouisseur [NDLR : du pouvoir], pour un inconscient, pour un cynique, mais on lui croyait malgré tout un peu de race, un peu de courage, un peu de gaieté [NDLR : un peu d’intelligence]. Mais, acculé à mourir, il perd cette armure de clinquant, il se révèle tel qu’il est, telle que sa destinée de séducteur le condamnait à être : un lâche, un hypocrite. » Voilà Macron condamné à tripatouiller les tréfonds de la politique politicienne en essayant de se constituer de façon très artificielle une majorité ou pour le moins une minorité soumise qui pourrait lui garantir de pouvoir continuer à être Jupiter et à gouverner de façon verticale et solitaire comme il l’a fait depuis 2017. En ne voulant reconnaître ni gagnant ni perdant à l’issue des élections législatives (peut-être a-t-il raison), il ne veut pas confier ce qui pourtant aurait été la logique des choses[4] à un membre du groupe parlementaire qui a eu le plus de voix : en l’occurrence le Nouveau Front populaire, le soin de dégager la possibilité d’une coalition comme cela se fait dans d’autres pays dont on nous dit à tort que la coalition se fait avant la nomination du Premier ministre : pourquoi alors Angela Merkel a mis plusieurs mois après avoir été désignée comme chancelière pour constituer une coalition de gouvernement, mais les suppôts du président ne sont pas à une malhonnêteté intellectuelle près. Certains professeurs de droit constitutionnel[5] expliquent cette position présidentielle[6] par l’article 5 de la Constitution : « Le président de la République veille au respect de la Constitution. Il assure, par son arbitrage, le fonctionnement régulier des pouvoirs publics ainsi que la continuité de l'État. », il faudrait argumenter plus mais dont acte. Toutefois il ressort de cette stratégie, empreinte de beaucoup de narcissisme car Emmanuel Macron veut protéger sa « sphère de pouvoir », sa politique et les réformes qu’il a faites et qu’il veut continuer à faire (allant contre l’avis des citoyens, mais quel respect a-t-il jamais montré envers eux). Cette stratégie de « l’embrouille » s’explique plus par une approche psychologique que par une analyse stratégique rationnelle[7] notamment quand on constate à quel point il exècre les contradictions comme le souligne Jean-Michel Blanquer dans son dernier livre[8]. Alors que Macron lui proposait d’être la tête de liste de la majorité en Île-de-France aux régionales de 2021, Jean-Michel Blanquer a eu le mauvais goût de refuser ce qui mit le président dans une « colère gigantesque » et précipita la descente aux enfers du ministre. Lequel ministre, porte un jugement sévère sur Emmanuel Macron dont il dit « à propos de la dissolution : « un tempo hasardeux, aux conséquences graves, cela se voulait rusé et disruptif, c’était irrationnel et immoral. » Et il conclut que « tel un ange déchu de la politique, Emmanuel Macron s’est mis à porter une lumière noire. », c’est sans doute ce qui obscurcit sa vision stratégique.
Il a conduit sa quête d’un Premier ministre « non censurable » comme un jeu avec un jouet qu’il a cassé et des règles du jeu qu’il n’a jamais cessé d’organiser à son seul profit : dire qu’il y a encore des politiciens qui le suivent dans cette descente aux enfers… S’il s’était tourné vers Bernard Cazeneuve ou Xavier Bertrand cela aurait été, comme l’écrit Solenn Royer[9], implicitement acter le fait que le “nouveau monde” a échoué ». Est-ce différent avec un conservateur libéral comme Michel Barnier ?
Cette affaire – les suites de la dissolution – montre l’échec d’Emmanuel Macron dont le narcissisme pathologique l’a poussé pendant sept ans à gouverner seul et à mépriser les gens. Ce trait de caractère, le mépris des autres et un ego surdimensionné[10], a été documenté dans de très nombreux livres et articles comme le montre la présentation du livre de Roland Gori[11] : « Pour mettre en œuvre cette politique, Emmanuel Macron construit méthodiquement l’édifice d’un pouvoir vertical[12], Palais des Glaces où se reflète à tous les niveaux l’image hybride d’un Président autoritaire et séducteur, entouré d’une nouvelle aristocratie technico-financière dévouée corps et âme. Cette nouvelle « noblesse » manie la puissance des algorithmes et pratique les réseaux sociaux pour mieux en finir avec les « corps intermédiaires » (syndicats, presse, élus, partis…) ». Une noblesse que décrit J-M. Blanquer : « De sémillants trentenaires, technocrates ou intrigants, les yeux rivés sur les sondages et les écrans pour piloter à vue sans culture, sans vision et sans valeurs. » Que reste-t-il à Macron pour sortir de l’impasse : « La tentation d’un gouvernement « post-démocratique » n’a jamais été aussi forte.[13] »
En attendant, il faut jeter un voile sur une stratégie venue mollement, il faut cacher les impérities en jouant « la montre » comme en sport, il faut occuper les citoyens et pour cela des jeux olympiques ont été une manne dont Macron a su se servir. La Macronie a su communiquer, c’est peut-être là la principale de ses capacités politiques : fin de partie, la communication est devenue inopérante autant que, potentiellement, le sera le nouveau Premier ministre.
Ce moment politique illustre sans doute « la crise de la pensée » évoquée par Edgar Morin[14] à propos de laquelle il écrit qu’elle est le résultat « d’une réflexion disjonctive et unilatérale incapable de lier les connaissances pour comprendre les réalités du monde où interagissent les matières et activités. Figée dans des disciplines closes, elle est incapable de concevoir la multidimensionnalité et les contradictions inhérentes à un même événement[15]. », il ajoute qu’il s’agit en même temps d’une crise de la pensée politique. On peut alors penser qu’Emmanuel Macron, emporté et submergé par son narcissisme, ne dispose que d’une pensée politique faible, sans ambition pour le pays ou du moins que celle-ci n’existe qu’en tant quel sert son ego, une analyse qu’illustrent les propos de Jean-Michel Blanquer qui aurait dit à Macron que « La simplicité d’une ligne droite est plus efficace qu’un machiavélisme à la petite semaine ».
On voit combien l’idée de Emmanuel Macron d’aller vers une logique de coalition est stupide autant que déraisonnable alors que, comme le rappelait Dominique de Villepin (11 juillet) : « Jupiter est mort, il a été battu dans les urnes. Les Français veulent un gouvernement qui puisse tenir tête au président. » Pour être encore président peut-être lui reste-t-il le recours à l’article 16 de la Constitution : ce sont les pleins pouvoirs. Si Macron mettait en œuvre cet article 16[16] (si c’est techniquement et juridiquement possible) nous serions proche d’une situation politique sinon analogue mais du moins proche de celle voulue par Napoléon III en décembre 1851. Cela signerait comme en 1851 la fin de la République.
Pour l’instant la France joue « Fin de partie » de Samuel Becket où les personnages se trouvent dans un huis-clos « apocalyptique », gris et révélant une lumière triste. L’histoire entière repose sur la fin, la fin des personnages, la fin du monde, la fin du temps. La fin gouverne même la première réplique : « Fini, c’est fini, ça va finir, ça va peut-être finir. » Nous pourrions voir les partis politiques dans la figure des parents de Hamm culs-de-jatte condamnés à l’inertie dans des poubelles, Macron dans le rôle de Hamm, un aveugle paralysé despote toujours agité qui ne peut se tenir debout, et les « ministrables » dans celui de Clov, fils adoptif et victime de Hamm ne pouvant s’asseoir à cause de sérieuses douleurs. Hamm (Macron) et Clov (les ministrables) parlent du monde apocalyptique qui les entoure, un monde dénué de nature ; Clov doit aller observer le mur (de l’Elysée) pour voir sa « lumière qui meurt » jusqu’à ce qu’il semble perdre la tête, effectue un incessant manège : il monte sur l’escabeau, en descend, le déplace, remonte, redescend, va chercher une lunette, regarde par la fenêtre, redescend, remonte, regarde à nouveau par la fenêtre… jusqu’à que quelqu’un apparaisse à l’extérieur. Hamm lui ordonne d’aller l’exterminer, car il s’agit forcément d’un « créateur en puissance ».
C’est ce théâtre de l’absurde que Macron, de l’intérieur de sa folie, fait vivre à la France avec la complicité (voulue, d’habitude ou de soumission) des hommes et des femmes politiques. Comme dans le théâtre de l’absurde la situation créée et entretenue par Macron réfute toute logique, cohérence et rationalité. Sans doute[17] Macron et ses courtisans adhèrent à la réplique que Nell, la mère de Hamm, adresse à Nagg (le père), c’est le dialogue de sourds que mènent les partis politiques : « Rien n’est plus drôle que le malheur. » Et elle précise plus loin : « Si, si, c’est la chose la plus comique au monde. Et nous en rions, nous en rions, de bon cœur, les premiers temps. Mais c’est toujours la même chose. Oui, c’est comme la bonne histoire qu’on nous raconte trop souvent, nous la trouvons toujours bonne, mais nous n’en rions plus. »
Comme cette pièce qui met en exergue l’échec : l’échec du langage, l’échec de la vie, l’échec de la condition humaine, la situation politique de la France marque l’échec du « roi » qui se retrouve nu, l’échec de la V° République, l’échec de la Démocratie, et la fin des illusions !
[1] Molière : Dom Juan ou Le Festin de Pierre.
[2] Ou avant en cas de démission ou de destitution.
[3] Dom Juan, Acte cinq, scène 2.
[4] Même si ce n’est pas inscrit dans la constitution : mais la vie surtout celle politique ne se limite pas à la constitution.
[5] Comme Dominique Rousseau sur BFMTV dans l’émission « Tout le monde veut savoir » du 28 août 2024.
[6] Le président Macron étant devenu subitement prudent et respectueux de la République.
[7] Reçu par Apolline de Malherbe, le 3 septembre, Alain Duhamel disait ne pas se référer aux analyses psychanalytiques et s’en tenir à ce que Macron est un individu singulier et particulier. Comme toute « sciences » la psychanalyse comme la psychologie et la psychiatrie, à l’aide de concepts généraux, ne font que s’intéresser à des individus particuliers et singuliers.
L’analyse stratégique par Michel Crozier et Erhard Friedberg sert à expliquer le fonctionnement d’une organisation en prenant en compte le fait que chaque individu possède une stratégie personnelle, cherche à augmenter son pouvoir et sa zone d'influence.
[8] Jean-Michel Blanquer, La Citadelle, Albin Michel.
[9] Solenn Royer Le Monde 2 09 2024.
[10] Ça ressemble bien au narcissisme.
[12] C’est de la « stratégie rationnelle » au sens de Crozier et Friedberg.
[13] Roland Gori, La nudité du pouvoir, Les Liens qui Libèrent.
[14] https://www.lemonde.fr/idees/article/2023/07/28/edgar-morin-la-crise-francaise-doit-etre-situee-dans-la-complexite-d-une-polycrise-mondiale-et-dans-le-contexte-d-un-recul-des-democraties_6183657_3232.html
[15] Empêchant, par exemple, de confronter une analyse stratégique à propos d'un acteur et une analyse « psy » à propos du même acteur.
[16] A ma connaissance, à ce jour aucun constitutionnaliste ou politologue n’a envisagé cette hypothèse.
[17] Mais comme le veulent certains l’apport de la psychanalyse serait à rejeter. Voir la note 6.
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