Après la dissolution : le retour de la monarchie (6)
Le bonapartisme ambiant a joué un rôle décisif dans l’élection de Louis-Napoléon en décembre 1848. Sans le renoncement de F. Hollande et la descente aux enfers de F. Fillon, qu’aurait été Emmanuel Macron en 2017 ? A défaut d’une aura personnelle l’un se raccrocha à l’image d’un glorieux aïeul, l’autre se montra en rédempteur. Le premier se mua en Empereur, le second se comporte en monarque !
Chacun construira à sa convenance une analogie entre Napoléon III et Emmanuel Macron, comme le fit jadis Jacques Duclos[1] dans son livre où il mettait en parallèle l’histoire de Napoléon III et celle du général De Gaulle. Mais, une analogie[2] n’est pas une similitude exacte ; Emmanuel Macron n’est pas Napoléon III, le 21e siècle n’est pas le 19e siècle. Et, en nous préservant du travers trop fréquent chez certains historiens qui consiste, comme le rappellent Jean-Pierre AZEMA, Michel WINOCK[3], « à considérer la mort des régimes politiques comme le résultat d’une nécessité : écrivant [les historiens] après l’événement, ainsi installés dans une certitude, ils n’ont plus qu’à répertorier les causes immanquables de l’inévitable. Pour les contemporains de l’événement, tout n’est pas aussi lumineux et, en politique, les mauvais devins ont toujours eu la majorité. » J’ai, dès la campagne électorale de 2017, écrit sur les analogies entre E. Macron et Napoléon III, et quand bien même serais-je tenté par ce travers que je ne pourrais pas y tomber totalement ne serait-ce que parce qu’Emmanuel Macron est toujours en exercice de sa fonction. Toutefois, dans le parcours de l’un comme de l’autre certaines situations accaparent le regard.
Le premier se voulait être le continuateur de l’œuvre de son aïeul Napoléon Ier, d’ailleurs il profita de ce que l’ambiance nationale était encore largement empruntée bonapartisme pour gagner les élections en 1848 et devenir le premier président de la République élu au suffrage universel[4] le 4 novembre 1848 après que la République a été instaurée six mois auparavant. Comme le rappelle Lucian BOIA[5] : « sans l’héritage napoléonien il n’aurait été qu’un anonyme ».
Sans le renoncement qui faisait figure d’une véritable volatilisation de François Hollande qui était arrivé à degré de détestation par les électeurs tout à fait exceptionnel, et sans la dégradation de la candidature et donc de la campagne électorale de François Fillon, sans l’un sans l’autre Emmanuel Macron n’aurait pas pu faire figure de rédempteur de la vie politique.
Voilà une première analogie : ni l’un ni l’autre n’étaient attendus sur la scène politique, moins encore sur la voie de la présidence de la République, même si certaines prémices avaient pu alerter plus les « politologues » (rares au 19e siècle) que les citoyens.
Concernant Napoléon III nous savons comment il a mis fin à la République par « le Coup d’État du 2 décembre 1851 ». Quant à Emmanuel Macron, il a institué en France système de gouvernance qui tend à saper les fondements de la démocratie au profit d’une gouvernance monarchique. Pour l’un comme pour l’autre le fond narcissique et mégalomaniaque de leur personnalité explique leur démarche. Comme l’écrit Patrick LAGOUEYTE[6] à propos de Napoléon III : « Pressé, imbu de sa mission historique, il n’a pas résisté à l’opportunité que lui offraient les conditions difficiles dans lesquelles il a dû s’imposer face au refus d’une partie des républicains. [...] Celui-ci s’est ainsi trouvé du jour au lendemain sans la moindre opposition. Loin de s’en contenter, il a voulu pousser plus loin son avantage et a mis en place le régime autoritaire plus dur que la France est connue en temps de paix. » En ce qui concerne Emmanuel Macron son premier quinquennat confortait son ego par la présence à l’Assemblée nationale une forte majorité de députés de son camp, le second s’annonçait mal avec les élections législatives en juillet 2022 qui avait toutes les formes et toutes les couleurs d’un désaveu massif de sa politique ce qui eut pour conséquence une Assemblée nationale difficile à soumettre aux volontés du président de la République.
Il fallait donc pour l’un comme pour l’autre dissoudre l’Assemblée nationale pour tenter de conquérir ou Napoléon III une majorité « soumise » et pour Emmanuel Macron il s’agissait de reconquérir une majorité absolue et docile.
« La constitution empêche l’exercice d’un double mandat présidentiel consécutif. Il devra attendre quatre ans pour se représenter… »[7] ; au bout de son deuxième quinquennat Emmanuel Macron se trouvera dans la même situation d’impossibilité d’être réélu. Pour Jean-Pierre AZEMA et Michel WINOCK[8] « la véritable question était bel et bien la question dynastique, Napoléon III demandait au peuple de confirmer son trône, et le droit pour ses descendants d’y accéder, comme il le dit explicitement dans sa proclamation du 23 avril 1870 : “Donnez-moi une nouvelle preuve de confiance. […] et vous rendrez plus facile, dans l’avenir la transmission de la couronne à mon fils.” » Bien sûr, peut-être de toute évidence, Emmanuel Macron n’est pas dans cette démarche dynastique mais il se comporte bien en monarque. Rappelons ici la façon de gouverner en lieu et place du Premier ministre, le mépris (aujourd’hui signalé) dans lequel il tient les députés de sa majorité, la façon qu’il a de parler avec beaucoup de condescendance aux gens quand ils ne les méprisent pas sans fioritures (chacun se rappelle « les petites phrases »), l’habitude d’être partout y compris là il n’a rien à faire sinon se montrer allant jusqu’à sauter, tel un bambin, au cou des athlètes aux jeux olympiques ou encore de se mêler de l’organisation de l’équipe de France de football en mettant en avant « son copain », de sauter dans un avion au moindre incident à l’autre bout du monde… Nous ne pouvons pas arrêter cette énumération sans rappeler la volonté qu’il avait eue 2017 d’offrir « un trône » à son épouse en l’élevant au grade de « première dame » rôle qui n’existe pas dans la constitution de notre pays mais qui marque bien le désir monarchique d’Emmanuel Macron. Si ce dernier, porteur de traits de caractère monarchistes, n’est pas dans une démarche dynastique il n’en demeure pas moins que sa volonté clairement édictée, et souvent rappelée dans ces discours, dans son livre programme Révolution de réformer et de transformer la France l’oblige à faire un autre mandat ou à transformer le quinquennat en septennat (ou plus…) de façon à lui donner le temps de terminer sa tâche. Le 19 septembre 1845 Louis-Napoléon[9], alors prisonnier politique en Angleterre, écrivait à Hortense Cornu, son amie d’enfance et sa principale confidente : « Je crois qu’il y a certains hommes qui naissent pour servir de moyen à la marche du genre humain, comme ces animaux qui naissent, soit pour détruire d’autres animaux plus nuisibles qu’eux, soit pour servir de germes quand ils seront morts à d’autres êtres plus perfectionnés. Je me considère comme un de ces animaux, et j’attends avec résignation, mais avec confiance, le moment, ou de vivre de ma vie providentielle ou de mourir de ma mort fatale, persuadé que des deux manières je serai utile à la France d’abord, à l’humanité ensuite. » Ces quelques lignes montrent bien le côté narcissique et mégalomaniaque de Napoléon III, Emmanuel Macron n’en a pas écrit de semblables (à ma connaissance) mais il aurait pu le faire tant il se sent au-dessus de l’humanité et seul capable de faire progresser la France.
Malgré la destruction de la démocratie et de la République au profit d’un régime autoritaire, on peut écrire que Napoléon III trouve sa place parmi les bâtisseurs de la France et de l’Europe modernes. Il ne me semble pas qu’on puisse écrire la même chose à propos d’Emmanuel Macron qui n’aura in fine que le résultat de la réussite d’autres (athlètes des JO, ouvriers du chantier de Notre-Dame de Paris…) comme grand œuvre à montrer à la postérité. Le Second Empire fut une période d’amélioration des conditions sociales (toutes proportions gardées) alors que la période Emmanuel Macron est essentiellement marquée par une casse sociale. Sur le plan du rapport entre l’État et les citoyens les deux périodes sont marquées par la violence étatique et l’omniprésence de la police dans le règlement des conflits sociaux, l’une et l’autre des périodes font ressortir un taux d’incarcérations préventives élevées et par une violence « policière[10] » inconnues depuis de longues années[11].
Aujourd’hui, après l’échec tardivement et difficilement reconnu par Emmanuel Macron aux élections législatives de 2024 et à la suite de la démission du gouvernement de Gabriel Attal, Emmanuel Macron prétend reprendre en main le pays en lui imposant une majorité dite de coalition mais dont il dessine le contour, ce qui l’amène à refuser toute candidature qui ne viendrait pas de lui au poste de Premier ministre : il attend que les partis politiques désignent un candidat à sa convenance, quasiment le candidat qu’il aura sinon choisit du moins fléché. Les Français et les Françaises se sont prononcées et ont composé une Assemblée nationale avec trois tiers inégaux dont le plus petit est composé par les députés de la mouvance présidentielle. L’attitude d’Emmanuel Macron outre qu’elle est antidémocratique puisqu’il ne respecte pas le vote du peuple, est très éloignée de l’esprit de la constitution qui ne donne aucun rôle au président de la République si ce n’est de nommer le Premier ministre pas d’exiger des parlementaires qu’ils adoubent le « choix du prince ».
On ne peut pas dès lors s’empêcher d’envisager soit qu’Emmanuel Macron impose un Premier ministre de son bord ce que les Françaises et les Français ne veulent pas comme l’a montré un sondage publié par le Huffington Post sous le titre « les Français ne savent pas ce qu’ils veulent mais ils savent ce qu’ils ne veulent pas », soit, deuxième hypothèse, qu’il dissolve à nouveau en juillet 2025, comme la constitution l’y autorise, l’Assemblée nationale créant ainsi un nouveau champ d’incertitude qu’il pourrait combler par une réforme constitutionnelle bien qu’on voit mal avec quelle majorité il la ferait passer, qui lui donnerait les pleins pouvoirs. Personne ne veut croire à ce dernier scénario, mais qui aurait cru au coup d’État de 1851 ? Napoléon III voulait comme Emmanuel Macron gouverner au centre mais où chacun emprunte à la droite la plus extrême les principes de l’ordre et de l’autorité avec sa cohorte de police et de justice administratives, l’instauration plus ou moins visible la censure de la presse et la restriction de la liberté d’expression (les restrictions opposées au soutien de la cause palestinienne et celle imposée aux manifestations écologistes en sont la preuve quotidienne : a‑t‑on jamais vu que préventivement on mette en garde à vue voire en prison et des militants écologistes)
Pour l’heure les Français se détendent avec les jeux olympiques de Paris qui par bonheur voient briller les athlètes français, et oublient la lourdeur du quotidien politique et les incertitudes sur leur avenir que celui-ci fait peser. Là encore, Emmanuel Macron s’est cru obligé d’en appeler à la trêve olympique pour la flétrir de sa marque alors que cette trêve est tout à fait naturelle et habituelle ; espérant que les citoyens oublient le marasme politique actuel il veut être l’initiateur et le dirigeant de cette trêve, qu’il bafoue quotidiennement, à la seule fin de rester maître du jeu et de se donner les moyens d’écarter une fois de plus les citoyens de la décision sur leur avenir.
[1] Jacques DUCLOS, De Napoléon III à de Gaulle, ed. Editions Sociales, 1964.
[2] Analogie : Rapport de ressemblance, d'identité partielle entre des réalités différentes préalablement soumises à comparaison ; trait(s) commun(s) aux réalités ainsi comparées, ressemblance bien établie, correspondance. (CNRTL)
Similitude : Fait pour une ou des entités d'être semblable(s) à une ou plusieurs autres, ou pour deux ou plusieurs entités d'être semblables entre elles. (CNRTL)
[3] Jean-Pierre AZEMA, Michel WINOCK, La IIIe République, ed. Pluriel, p13.
[4] Le 4 novembre 1848, la Constitution est adoptée. Elle prévoit l’élection d’un président de la République au suffrage universel masculin pour un mandat de quatre ans (il n’est pas immédiatement rééligible).
[5] Lucian BOIA, Napoléon III – le mal aimé, Ed Les Belles Lettres, 2008.
[6] Patrick LAGOUEYTE, Le coup d’Etat du 2 décembre 1851, Ed CNRS, 2016.
[7] ibd
[8] Jean-Pierre AZEMA, Michel WINOCK, La IIIe République, ed. Pluriel.
[9] Lucian BOIA, Napoléon III – le mal aimé, Ed Les Belles Lettres, 2008.
[10] Sous Napoléon III l'armée était omniprésente dans les opérations de maintien de l'ordre.
[11] La France a été plusieurs fois rappelée à l'ordre par l'ONU à ce sujet notamment au moment des manifestations des Gilets Jaunes…
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