Après la dissolution : le visage des citoyens cocus se dessine (3)
J’emprunte le chapeau de cet article au Courrier International de ce jour qui, analysant la presse internationale à propos du deuxième tour de cette élection législative, écrit : « Le front républicain s’est reformé face au RN, mais gare à la lassitude des électeurs. Le camp présidentiel et le Nouveau Front Populaire ont retiré plus de 210 de leurs candidats qualifiés pour le second tour des élections législatives, dans l’espoir d’empêcher le Rassemblement national (RN) de remporter la majorité absolue. Mais la presse internationale met en garde contre la lassitude des électeurs. »
Depuis 58 ans je m’intéresse, souvent passionnément, à la politique sous ces deux aspects conceptuels : la politique proprement dite c’est-à-dire les stratégies de conquête du pouvoir, et le politique c’est-à-dire la façon de gérer la société et le bien commun. Pour la première fois, signe de vieillesse ou de fatigue, une campagne électorale m’a réellement fait souffrir. Que de haine, que d’insultes, que de mépris durant cette campagne. Je passerai rapidement sur l’attitude des candidats qui, de quelque bord qu’ils soient, ont égrainé, durant des débats ou dans des interviews, plus d’insultes et de fausses informations sur leurs concurrents qu’ils n’ont développés et argumentés des idées fondamentales de leur programme de gouvernement. Certains diront qu’il s’agit là, soit d’une campagne de désinformation pour des raisons idéologiques : ensevelir les idées de l’adversaire sous un monceau de fausses informations pour réduire à néant ses idées, soit il s’agit d’une stratégie purement liée à la politique, la conquête du pouvoir où il s’agit de déstabiliser l’adversaire. Cette pratique n’est pas nouvelle mais durant cette campagne électorale elle a atteint des sommets de stupidité et d’abjection. Est-il concevable qu’un député Rassemblement National, Julien Odoul, s’adresse à une députée européenne, Manon Aubry, en la qualifiant de porte-parole du Hamas, de la même façon celle-ci ne pouvait pas renvoyer à son interlocuteur qu’il serait un descendant du nazisme. Mais, au-delà de cette campagne électorale, nous sommes bien obligés de constater que certains partis politiques représentés à l’Assemblée nationale que depuis 2017 une attitude qui n’étaient pas de nature à engendrer la sérénité dans les débats, bien au contraire les débats ont souvent été ramenés à un niveau d’abjection rare. N’oublions pas les insultes et le mépris adressés aux citoyens, notamment aux plus humbles, comme le fait Philippe Bolet, ancien candidat Renaissance défait au premier tour, qui explique que la montée de l’extrême droite, c’est tout sauf la faute de Macron : « Dans nos campagnes, il y a une paupérisation intellectuelle et matérielle ancienne qui fait que les gens se retournent vers l’extrême droite. Ça ne date pas de l’année dernière, c’est ancien. On ne peut pas mettre toute la faute sur Macron. » (Médiapart, « À Arras, un vote RN raciste et qui s’assume comme tel)
Je donne là une image, bien réduite, de la puanteur qui s’est installée dans cette campagne électorale. Les citoyens attendent autre chose que des invectives et des insultes. Ils s’attendaient à ce qu’on leur parle de leurs problèmes et qu’on leur propose des solutions. Certains, une partie de ceux qui votèrent Macron en 2017, sans doute une proportion non négligeable de ceux qui votèrent Macron en 2022, ont préparé leur bulletin de vote en adéquation avec leur surdité et leur cécité vis-à-vis de ce qui se passe « dans la France profonde ». J’emprunterais une fois encore à Courrier International pour illustrer mon propos : « Comme dans l’Argentine de Milei, “Le poison de la revanche sociale” fait basculer la France » […] « la similitude (avec l’Argentine) tient aussi au fait que les Français, comme les Argentins, ont vu échouer les principaux partis, que ce soit avec la présidence socialiste de François Hollande ou avec celle, libérale, Emmanuel Macron. » C’est donc bien sur des questions sociales que se sont prononcés les citoyens français choisissant celles et ceux qu’ils estimaient les plus capables de remédier à cette situation. Certains peu nombreux ont maintenu leur confiance dans quelques rares députés macronistes, la géographie électorale montre que cette situation n’existe pas n’importe où et qu’elle est essentiellement le fait des villes à fort niveau de vie. D’autres majoritairement parmi les plus défavorisés économiquement se sont tournés soit vers la Gauche (Nouveau Front Populaire), mais un peu plus d’un tiers des électeurs se sont tournés vers le Rassemblement National. Je ne referai pas ici l’analyse de l’électorat du Rassemblement National que j’ai faite dans mon précédent billet, et que d’autres ont développé dans de nombreux articles et livres ; je pense notamment à Félicien Faury et à Luc Rouban.
Je retiendrai que le vote en faveur du Rassemblement National s’organise autour de deux grandes polarités : les problèmes économiques et sociaux rencontrés par les gens, et, moins qu’une adhésion idéologique, la tentation d’essayer autre chose. Concernant ce deuxième pôle je renverrai le lecteur à l’analyse que Manuel Perez fait dans le journal La Vanguardia dont Courrier International rend compte, où le journaliste expose notamment que malgré leurs réticences les milieux d’affaires peuvent être attirés par le Rassemblement National au fait « qu’ils restent convaincus que l’extrême droite est plus à même de garantir la rigueur budgétaire que le Nouveau Front Populaire. » Peut-on parler d’un vote assis sur du pragmatisme ? Concernant le premier pôle, l’histoire autour de la réforme de la loi sur les retraites malgré un recul du leader du rassemblement national très net par rapport aux promesses qu’il avait faites, laisse à penser que l’électorat qui lui est favorable s’organise essentiellement autour de l’idée que là où les autres ont échoué pourquoi ne pas essayer avec quelqu’un qui n’a jamais eu les rênes du pays en main. Schématiquement, mieux vaut la poudre aux yeux lancée par un nouveau venu que par quelqu’un d’installé qui a tant et tant échoué à régler nos problèmes.
Cette analyse est sommaire, schématique doit être vue comme une image, fugace, qui n’a pour but que de situer la position des différents acteurs.
Concernant les électeurs qui se sont tournés vers la gauche peut-on dire sans risquer de trop se tromper qu’ils sont mus par les mêmes intentions que ceux qui se sont tournés vers le Rassemblement National mais qu’ils ne cherchent pas à mettre un nouveau venu à la tête de l’État, au contraire, idéologiquement, par habitude ou quelques fois par rejet idéologique du Rassemblement National, ils maintiennent leur confiance dans la Gauche.
Dès lors, le camp macroniste est quasiment éliminé de la course (et sans doute prochainement du paysage politique) à l’issue du premier tour de cette élection. Quant à la droite classique a-t-on encore quelque chose à en dire. Les citoyens sont donc face à deux blocs : le Rassemblement National et le Nouveau Front Populaire. L’analyse des résultats montrait au soir du 30 juin un nombre inhabituel de circonscriptions dans lesquelles les électeurs auront à choisir entre trois candidats : c’est ce que l’on appelle les triangulaires. Alors, a resurgi avec force l’idée de faire barrage à l’extrême droite, sus au Rassemblement National. Tout à coup le monde de la macronie qui hier disait pis que pendre à propos de la France Insoumise lui trouve parfois des vertus, bien peu à vrai dire mais il tait son acrimonie du moment où le Nouveau Front Populaire est la composante indispensable pour mettre en place un front républicain face au Rassemblement National. L’objectif du deuxième tour de l’élection n’est plus tellement de faire valoir ses idées que d’abattre le Rassemblement National, coûte que coûte ou comme aurait dit Macron « quoi qu’il en coûte ». Mais, gare à la lassitude des électeurs.
La libre Belgique souligne que « l’effort consenti pour tenter d’ériger un barrage républicain est légèrement plus important à gauche » […] « la macronie peut la remercier, car ces retraits devraient lui permettre de sauver nombre de ces candidats ». Toutefois El Païs souligne « Il n’est pas certain que les électeurs suivent les consignes des partis pour lesquels ils ont voté au premier tour ». Effectivement comment peut-on penser que la grande majorité des gens qui ont voté pour la gauche, dont certains ont été « Gilets Jaunes », ont manifesté contre la réforme des retraites voulue par Macron puissent aller voter pour un candidat macroniste à l’idéologie et à la politique si éloignée de ce dont ils ont besoin, de ce qu’ils pensent alors que le candidat Rassemblement National et sans doute plus proche d’eux ? Par exemple, le retrait du candidat LFI pour soutenir Élisabeth Borne est incompréhensible pour la plupart des électeurs de gauche. Le Soir, en Belgique, partage cette analyse : « Les électeurs de gauche se reporteront-ils sur les macronistes après avoir dénoncé pendant sept ans la politique libérale d’Emmanuel Macron, sa très impopulaire réforme des retraites et sa récente loi sur l’immigration, votée avec le concours du Rassemblement National ? Et, à l’inverse, les électeurs centristes, après avoir entendu pis que pendre du Nouveau Front Populaire avant le premier tour mangeront-ils leur chapeau dans le seul espoir de conjurer le pire ? »
Voteront-ils pour le Rassemblement National, sans doute pas. On voit là se dessiner un scrutin où les abstentions risquent d’être nombreuses autant que les votes blancs ; c’est ainsi que le Corriere della Sera résume la situation en prédisant que le chiffre le plus important, le 7 juillet, sera « le taux de participation : plus il est faible, plus il favorisera Bardella. »
On voit autour des tractations pour des désistements au deuxième tour à la fois se dessiner la figure du cocu politique, et que ce cocu lassé par ces situations risque de se rebiffer et de délaisser les urnes. Certains verront là la concrétisation d’une fin de cycle politique : la Ve République serait morte (Macron sans l’avoir tué à lui seul aura donné le coup de grâce), et les prémices d’une recomposition politique avec l’émergence d’une extrême droite forte comme l’Europe a pu en connaître par le passé. Mesdames et Messieurs les politiciennes et les politiciens que n’avez-vous pas fait et qu’avez-vous fait pour que la France en arrive à cette situation calamiteuse ?
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