Après le printemps, vient l’été...
Dans le tumulte actuel de la campagne pour l’élection présidentielle, on tend à oublier que le 6 mai sera suivi par des élections législatives, au mois de juin, qui détermineront l’avenir de la France. Or, quel que soit le résultat du premier tour, l’équation risque d’être difficile pour Ségolène Royal.

Voici quelques mois, j’ai publié un article sur Agoravox qui s’intitulait "La gauche peut-elle encore gouverner la France". Nous étions alors au lendemain de la désignation de la candidate socialiste par le parti et l’inquiétude portait sur sa capacité à rassembler la gauche autour d’elle (Verts, communistes, altermondialistes, "nonistes"...). Quatre mois plus tard, et après une campagne embrouillée et insatisfaisante, une nouvelle difficulté s’est ajoutée aux précédentes : François Bayrou !
Personne n’avait prévu cette montée spectaculaire dans les sondages, qui pose aujourd’hui un réel problème aux socialistes. A un mois du premier tour, on peut déceler à présent les contours de ce scrutin au regard des expériences passées.
Premier rappel : les choses ne se passent jamais comme prévu.
Qu’il s’agisse des présidentielles de 1974, 1981, 1995 ou 2002, aucun sondage n’a donné de prévision parfaitement fiable à quatre semaines de l’échéance. En 1974, Chaban-Delmas était enore donné gagnant, sept ans plus tard, Giscard menait franchement la course en tête avec 29% d’intentions de vote, en 1995, Chirac, Balladur et Jospin étaient encore au coude à coude (mais Chirac commençait à prendre la tête, de très peu) et en 2002, Jospin était à deux points de Chirac, toujours donné largement gagnant au deuxième tour... Une seule élection s’est déroulée "normalement", celle de la réélection de Mitterrand en 1988.
Compte tenu de ces expériences diverses, il convient de mesurer la marge d’erreur entre les sondages et le résultat final. Généralement, cet écart est favorable à "l’outsider". 20% de voix au-dessus des estimations pour Mitterrand en 1981, 10% pour Jospin en 1995... Mais c’est encore plus marquant dans l’autre sens. Les sondages avantagent exagérément le "favori désigné" : une surestimation de 10% pour Mitterrand en 1988, 18% pour Raymond Barre en 1988, 23% pour Jospin en 2002, 24% pour Balladur en 1995, 35% pour Chaban-Delmas en 1974 !*
Quel sera le paysage final des élections 2007 ? Sarkozy, superfavori, obtiendra sans doute moins que les 28% dont il est crédité aujourd’hui. Son chiffre final peut se situer entre 23 et 28% si on écarte un désastre similaire à celui de Chaban (ce qui le mettrait à 19% !). Ségolène Royal est dans un cas similaire. Dans le meilleur des cas, elle devrait réaliser un score entre 18 et 26%. Bayrou restera une énigme jusqu’au bout. S’il conserve l’avantage aquis ces dernières semaines, il devrait réaliser entre 16 et 23% au premier tour. Quant à Le Pen, il est certain que son score réel devrait le placer entre 15 et 19% des suffrages.
Quelle conclusion politique pour la gauche, et comment le Parti socialiste pourra-t-il sortir de cette ornière pour les législatives ? Trois hypothèses se présentent.
Sarkozy au-dessus de 28% au premier tour.
Une victoire écrasante de Sarkozy au premier tour, Ségolène Royal devant Bayrou mais affaiblie (28 - 24 - 22, par exemple), obligerait la candidate à négocier avec le député centriste pour un accord de désistement au second tour (même si elle s’y refuse pour l’instant). L’accord électoral ne paraît pas réalisable sans un contrat de gouvernement clairement établi. On imagine bien, dans ce cas, une médiation des strauss-kahniens. Pour asseoir une majorité suffisante, le PS devrait céder d’autres circonscriptions pour les législatives, en plus de celles déjà accordées au PRG (contre le soutien de Taubira) et au MDC (pour Chevènement). Inévitablement, il faudra également garantir quelques sièges au PC et aux Verts, en vue des législatives et des municipales à venir. Combien de sièges restera-t-il au final, pour les sortants socialistes ? Si Ségolène Royal échoue au deuxième tour, malgré tous ces compromis, on verra un grand nombre d’élus locaux se présenter sans l’appui du parti pour sauver leur siège, quitte à rejoindre d’autres formations politiques ou risquer de dissoudre le Parti socialiste.
Deuxième hypothèse : Sarkozy premier de justesse
Le pire n’étant jamais certain en politique, Sarkozy pourrait très bien obtenir un très mauvais score, malgré les sondages, avec une Ségolène au mieux et un Bayrou troisième (24-24-18, par exemple). Faute d’avoir mené une campagne de rassemblement à la gauche du parti, et avec des partis d’extrême gauche au plus bas, l’espace laissé libre à gauche paraît trop réduit pour que Ségolène Royal puisse gagner. Un apport massif des voix du centre lui serait absolument nécessaire. Des gestes "compréhensifs" devraient alors être envoyés aux électeurs bayrouistes pour les ramener à gauche. Schéma peu envisageable lorsqu’on étudie les reports de voix déclarés dans les études.
C’est alors François Bayrou qui détiendrait les clés du second tour.
Vraisemblablement, il ne se rallierait à aucun des deux
candidats, laissant le peuple trancher à sa place. Aux législatives, l’UDF aurait toutes les chances de profiter de la montée médiatique de son leader et obtiendrait de nombreux succès locaux, en retrouvant sa position de 1995 au moins (entre 15 et 20%). Dans cette lutte, Bayrou représenterait un obstacle autant pour Royal que pour Sarkozy. Son intérêt politique à moyen terme est de camper sur son rôle de "rebelle", ni droite, ni gauche. D’autres présidentielles se présenteront encore à l’horizon de ce jeune quinquagénaire.
Troisième hypothèse : Bayrou devant Royal.
Le scénario catastrophe pour le Parti socialiste. Les législatives seraient alors l’occasion rêvée pour le centriste de favoriser l’émergence d’un nouveau parti socialiste, plus social-démocrate que révolutionnaire. La voie réformatrice rocardienne, plutôt que la ligne dure du "rassemblement de la gauche". Mais sans doute le seul espoir, pour beaucoup d’élus ou de candidats, d’être élus ou réélus lors des législatives. Dans un duel Bayrou-Sarkozy, la capacité du Béarnais à rassembler les socialistes lui permettrait vraisemblablement de remporter la bataille. Mais, même en cas de défaite, cette poussée extraordinaire le placerait dans une dynamique très favorable pour les législatives. Le mot d’ordre des socialistes se réduirait alors à "sauve qui peut" et "chacun pour soi". Il est possible que le PS descende en-dessous de son niveau le plus bas historique aux législatives, c’est-à-dire 19% (1993). Si, parallèlement, l’UDF retrouvait son niveau maximum (29%, en 1973), un gouvernement centriste avec une alliance "rose et vert" s’imposerait de soi.
Le scénario catastrophe : Le Pen au 2e tour.
Ici, inutile d’hésiter, le Parti socialiste ne résisterait pas à un second "21 avril". La ligne, ou plutôt le manque de ligne, de la candidate socialiste, qui a tour à tour renié ses engagements, appelé les éléphants pour mieux les renvoyer ensuite, s’est drapée dans l’hymne national au lieu de chanter l’Internationale, menacé puis séduit, aura mené les socialistes dans cette impasse infernale : pactiser avec l’ennemi, en effaçant d’un seul coup tout le travail de Mitterrand depuis le congrès d’Epinay, ou disparaître pour longtemps.
Quelle solution ?
Et quel avenir pour le Parti socialiste, Ségolène Royal et François Hollande ? On le voit, aucun scénario n’est réellement favorable au PS à l’issue de ce scrutin. Même en cas de victoire, le nombre de sièges qu’il faudra abandonner aux alliés, anciens ou récents, coûtera cher au parti. Aucune solution ne paraît possible à ce stade de la campagne. Toutes les cartouches semblent avoir été utilisées. En se compromettant aux côtés de la candidate, nombreux sont ceux qui risquent d’être entraînés dans sa chute. Adieu Jospin et Mauroy. Bonne traversée du désert à Rebsamen, Montebourg et Dray. Où iront Strauss-Kahn, Fabius, Emmanuelli et Peillon ?
J’ignore ce que penseraient Blum, Jaurès ou Mendès-France des propositions de "Marseillaise" obligatoire, d’identité nationale affirmée par la présence d’un drapeau tricolore dans les armoires de chaque Français, mais où sont passés les idéaux internationalistes et européens du PS ?
Il ne suffit pas de copier les gestes et de marcher dans les pas de Mitterrand pour en acquérir le génie politique et l’expérience. Bianco et les autres anciens de l’Elysée auraient du s’en souvenir avant de lancer leur candidate dans cette course.
* comparaison des intentions de votes à J-30, chiffres des sondages sources TNS-Sofres, CSA, IFOP et IPSOS.
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