Ariane, aidé par les ’souverainismes’ ? Non, bien au contraire ! (2)
Ariane, l'ambition spatiale européenne et tout le programme ESA (Galileo, Copernicus, ..., R&D), bénéficient du budget UE, et du Marché unique.
Et l'expérience montre que les démarches 'souverainistes' ne sont pas un facteur de succès, bien au contraire !
Certains partis, eurosceptiques ou europhobes, affirment, par exemple dans cette campagne européenne, que : "Ce qui a marché dans l'Union européenne (...) ça ne dépend pas de l'Union européenne, par exemple Airbus, Ariane : c'est exactement l'inverse de la construction de l'Union européenne", selon M Le Pen.
"C'est l’Europe que je veux, moi : c'est l'Europe des nations, l'Europe des États qui se mettent ensemble pour construire des projets librement décidés dont ils déterminent les périmètres de manière souveraine" [1].
Qu'en est-il exactement ? S'il est incontestable (voir la 1ère partie de l'article sur Airbus) :
- qu'Ariane a été lancée par la France, suite aux déboires des fusées Europa1 et 2 (6 échecs sur 6 !)
- et que, de même, certains Etats (France, Allemagne, UK, Espagne) ont joué un grand rôle dans le lancement des premiers Airbus (commandes significatives d'A300 par les compagnes nationales),
il est tout aussi clair que Airbus et Ariane ont bénéficié et bénéficient encore beaucoup de l'UE
4. Ariane, comme tout le programme spatial, bénéficie aussi du budget de l'UE, et du Marché unique
Contrairement à ce que laissent croire les 'souverainistes', l'UE contribue beaucoup à tout le programme spatial :
- le quart du budget de l'Agence Spatiale Européenne -ESA- est fourni par l'UE (donc aussi par des pays qui ne font pas partie de l'ESA)
- et les lanceurs européens (Ariane, etc.) sont aussi utilisées par d'autres pays que les principaux contributeurs à Ariane, dont la France et l'Allemagne, ce qui diminue le financement nécessaire par ces derniers pays (France, Allemagne, Royaume Uni, Italie, etc.).
Ariane bénéficie ainsi fortement du soutien de l'ESA, troisième agence spatiale dans le monde.
L'ESA est certes une agence intergouvernementale, mais, à 22 membres et dont le quart du budget est fourni par l'Union européenne et EUMETSAT pour le développement du segment spatial de ces programmes gérés par ces institutions (programme Galileo, satellites météorologiques, GMES/Copernicus,
l'ESA ne représente vraiment pas ce que voudraient Nicolas Dupont Aignan, ni Marine Le Pen.
Et les échanges entre les 13 pays qui contribuent à Ariane
- bénéficient de la fluidité de l'assemblage des différentes pièces à travers plusieurs sites européens, sans être entravé par les barrières douanières
- ainsi que des autres avantages du Marché unique sur les services, les personnes et les capitaux, comme Airbus. [2]
5. L’UE finance aussi Galileo, Copernicus et l’ambition spatiale européenne
L’Union Européenne et ses budgets financent aussi la constellation Galileo, le programme Copernicus et l’ambition spatiale européenne (16 milliards bientôt, sur 5 ans, vs 10 milliards actuellement)
“Ce que vous avez devant vous, ce n’est pas un moteur, c’est l’Europe”, dit Philippe Girard, responsable propulsion liquide d’ArianeGroup, devant le moteur Vulcain qui équipe la fusée Ariane 5 et qui, dans une version légèrement modifiée, enverra dès 2020 le nouveau lanceur Ariane 6 sur orbite.
Avant d’ajouter, à moins d’un mois des élections européennes du 26 mai : “Et c’est l’Europe qui marche.”
Dans l’immense domaine de Vernon (Eure), 130 hectares de zone boisée qui permettent notamment d’essayer les moteurs dans un bruit d’enfer pour éviter les mauvaises surprises au moment des lancements à Kourou (Guyane), Philippe Girard explique que la chambre de combustion du Vulcain est fabriquée en Allemagne et la turbo-pompe en France. “Nous n’avons jamais fait des chambres de combustion et les Allemands n’ont jamais fait des turbo-pompes”, a-t-il expliqué à quelques journalistes.
Le succès d’ArianeGroup, co-entreprise détenue à parts égales par Airbus et Safran, est souvent cité en exemple, tout comme celui d’Airbus, par les souverainistes dont la présidente du Front national Marine Le Pen, comme la preuve que la simple coopération intergouvernementale est aussi efficace que la grosse machine de l’Union européenne.
Pour le nouveau PDG du groupe, André-Hubert Roussel, c’est méconnaître le fait que c’est l’Union européenne et ses budgets qui financent aussi la constellation Galileo de satellites de géo-positionnement et l’ambition spatiale européenne.
“Il y a une prise de conscience européenne”, dit-il dans ses installations des Mureaux (Yvelines), en évoquant le fait que la Commission européenne a proposé de consacrer à l’espace 16 milliards d’euros de 2021 à 2027, contre 10 milliards engagés dans les “perspectives financières” pluriannuelles en cours.
“Il y a un risque de décrochage si l’Europe ne se dote pas d’une ambition et de moyens pour servir cette ambition.” [3]
De plus, l'Union Européenne finance, avec l'Agence Spatiale Européenne, le programme Copernicus d'observation de la Terre, sans égal dans le monde entier, qui vise à doter l'Europe d'une capacité opérationnelle et autonome d'observation de la Terre en tant que « services d’intérêt général européen, à accès libre, plein et entier ».
La France s'y associe notamment via le « plan d’applications satellitaires » du ministère du développement durable, décidé en 2011.
L'information offerte par le programme Copernicus est regroupée autour de six thèmes :
- le sol
- les océans
- le traitement de l'urgence
- l'atmosphère
- la sécurité
- et le changement climatique.
Les services relatifs au sol, aux océans et au traitement de l'urgence et ceux relatifs à l'atmosphère et à la sécurité (aussi appelés « services pilotes ») ont été officiellement lancés à l'occasion du Forum Copernicus à Lille en septembre 2008. Ces services sont opérationnels depuis 2014.
6. L'UE finance aussi des programmes européens de Recherche et Développement
L’Union Européenne finance aussi de la Recherche et Développement, comme Clean Sky
Clean Sky est un exemple de R&D européenne, financé à 50% par l'UE. C'est un partenariat public privé, entre l'UE et les entreprises aéronautiques européennes, dont le but est de développer un ensemble de technologies nécessaires pour "un système aérien propre, innovant et concurrentiel".
Les technologies concernées sont :
- les avions de lignes à large fuselage ;
- les avions régionaux ;
- les aérogires rapides ;
- les fuselages ;
- les moteurs :
- les systèmes ;
- le transport aérien léger ;
- l'écoconception
Rappelons aussi que l'UE contribue de façon importante au budget de l'ESA,
et finance donc aussi les programmes de Recherche et Développement de l'Agence Spatiale Européenne.
7. Les démarches souverainistes ne sont pas un facteur de succès, bien au contraire !
Pour réussir des projets, il ne suffit pas de faire 'béatement' un accord entre pays 'souverains', et l'approche souverainiste montre au contraire très clairement ses limites, à en juger l'expérience européenne.
Commençons par revenir aux lanceurs Ariane, et aux essais européens infructueux de fusées qui les ont précédés.
Ces fusées Europa et Europa II (antérieures à Ariane), dont la conception jusqu'en 1971 résultait d'un compromis politique, étaient donc le fruit de " l'Europe des nations, l'Europe des États qui se mettent ensemble pour construire des projets librement décidés dont ils déterminent les périmètres de manière souveraine", sauf que 6 échecs sur 6 montrent que de tels projets ne fonctionnent pas automatiquement, c'est le moins qu'on puisse dire !
" La principale cause de l'échec de ce programme aura été le manque de coordination entre les pays y participant " [4] D'ailleurs n'est-il pas instructif de constater que les pages Wikipedia relatives à ce projet de lanceur ne contiennent que des photos (ci-contre) de chacun des 3 étages, chacun réalisés par un pays différent, et aucune du lanceur tout entier, ?
Ce qui a permis en revanche le succès du lanceur Ariane 1 (premier vol, une réussite, en 1979), c'est de définir en 1972 une maîtrise d'oeuvre unique (le CNES français en l'occurrence), tout en concevant cette fusée dans une perspective européenne : la France seule ne pourrait porter seule ce projet, et d'autres pays rejoindraient le projet plus tard.
Ce qui s'est concrétisé très rapidement, dès le 31 juillet 1973, avec un accord entre plusieurs pays européens, pour lequel "les responsables français acceptent "de prendre en charge 60 % du budget et s'engagent à payer tout dépassement de plus de 120 % du programme. En contrepartie, les établissements responsables du développement sont français : l'agence spatiale du CNES est maîtresse d'œuvre et l'Aérospatiale (alors membre français du GIE Airbus) est l'architecte industriel" [5].
D'ailleurs les programmes européens qui ne fonctionnent pas bien ou avec des retards et des surcoûts importants (Eurofighter, A400M) sont ceux justement qui sont réalisés 'entre pairs', sans désigner un pays leader.
N'est-ce donc pas le 'souverainisme' qui empêche justement le plein succès de ces projets européens ?
De même, l'hélicoptère européen NH90, qui est une réussite technique et commerciale (543 exemplaires avaient été commandés, en mars 2018), hérite aussi de la fâcheuse tendance 'souveraine' de chaque pays européen à définir son propre cahier des charges... Ce qui a créé 23 versions et sous-versions !, et qui ne facilite pas la production,ni la maintenance.
Un autre exemple de coopération ayant occasionné des retards et surcoûts importants est le programme GALILEO. Les raisons de ces difficultés ont fait l'objet de plusieurs rapports, dont une étude réalisée par la Cour des comptes européenne. "Ces retards sont extrêmement liés à :
- une gouvernance en difficulté, à des insuffisances de budget provenant des institutions européennes, des retards et des problèmes d'organisation des responsabilités, causés principalement par un déficit de pouvoir décisionnel de la part des différents intervenants ;
- une complexité organisationnelle liée à la règle du « juste retour » et à des financements inappropriés : exclusivement privés au démarrage du programme, dans la foulée des financements de start-ups de la fin des années 1990, avant l'explosion de la bulle internet." [6]
Une partie de ces difficultés (gouvernance, budget, organisation des responsabilités) est donc directement liée au fait que la construction européenne est loin d'être terminée, surtout pour un projet ...
- aussi complexe (à la fois civil et militaire, positionnement particulièrement précis, interopérabilité avec les GPS états-unien et GLONASS russe)
- et novateur (cahier des charges très étendu, largement plus que le GPS, essai de repenser les façons de faire, avec l'explosion des services internet et des start-ups)
- avec d'énomes dimensions géopolitiques (freins dûs aux Etats-Unis et au Royaume Uni notamment).
Mais une autre série de difficultés est donc liée à la règle du « juste retour » qui est justement très logique dans une approche 'souverainiste' !
Bref, ce n'est pas le nombre de pays qui est un problème, ni l'approche 'souverainiste' qui serait une solution, mais c'est la façon de gérer un projet donné qui en fait un succès ou un échec.
Par exemple, certains projets particulièrement ambitieux de l'Agence Spatiale Européenne font participer des entreprises ou des organismes de recherche de nombreux pays européens, mais ils débouchent généralement sur des réussites. Comme :.
- le projet Rosetta / Philae , la mission spaiale qui enchaîne les premières mondiales Rosetta : s’approcher à 30 km d’une comète afin de l’escorter et de l’étudier en détail pendant plus d’un an. Une grande première mondiale qui place l’Europe et la France aux avant-postes de l’exploration du système solaire, Philae : se poser sur le noyau cométaire !
- le satellite Planck pour lequel l'équipe a reçu le prix Peter Gruber de cosmologie en 2018
En revanche, le nombre de personnes intervenant sur un projet donné est un facteur important de complexité, et tout ce qui peut permettre de limiter ce nombre est a priori favorable. Ce qui incite à découper un projet en plusieurs sous-projets (tout en tenant compte des interactions entre ces sous-projets), et aussi (et surtout) à le décomposer en phases successives ; en utilisant les "approches agiles", qui se diffusent à juste titre très rapidement depuis ces dernières années, et non un démarche 'souverainiste'.
Et a contrario, l'expérience montre que les approches souverainistes sont un facteur qui favorise... les échecs !
De plus, le souhait des 'souverainistes' de ne pas avoir affaire à des techniciens, vus par eux comme des 'technocrates', se heurte au principe de réalité. Le monde moderne est de plus en plus complexe, et il ne peut être géré sans faire appel à une expertise sophistiquée.
Conclusion : ceux qui se prétendent 'souveranistes' ont une vision bien théorique des projets, et des facteurs de leur réussite, qui ne correspond pas du tout aux impératifs pratiques,
[1] Marine Le Pen : "ce qui a marché dans l'UE ne dépend pas de l'UE" La croix, 19 avril 2019
[2] Le Marché unique (depuis 1992) et les "quatre libertés fondamentales"
[3] Le lanceur Ariane, ou l'Europe qui marche, Reuters, 30 avril 2019,
[4] L'échec du programme Europa, Wikipedia
[5] Le lancement du programme Ariane, Wilipedia
[6] Rapports sur les retards de Galileo Wikipedia
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