Au-delà de la crise financière : l’économie sociale et solidaire, un espoir
« Une certaine idée de la mondialisation s’achève avec la fin d’un capitalisme financier qui avait imposé sa logique à toute l’économie et avait contribué à la pervertir. L’idée de la toute-puissance du marché qui ne devait être contrarié par aucune règle, par aucune intervention politique, était une idée folle. (…) Ce système où celui qui est responsable d’un désastre peut partir avec un parachute doré, où un trader peut faire perdre cinq milliards d’euros à sa banque sans que personne ne s’en aperçoive, où l’on exige des entreprises des rendements trois ou quatre fois plus élevés que la croissance de l’économie réelle, ce système a creusé les inégalités, il a démoralisé les classes moyennes et alimenté la spéculation sur les marchés de l’immobilier, des matières premières et des produits agricoles. (…) Un nouveau rapport doit s’instaurer entre l’économie et la politique à travers la mise en chantier de nouvelles réglementations. »
Ces extraits du discours de Nicolas Sarkozy, le 25 septembre dernier à Toulon, symbolisent la prise de conscience (entamée sous la pression de la crise écologique) de l’ensemble de la classe politique et de l’opinion publique, de la nécessité de changer de paradigme en économie.
Alors, face à l’impasse des excès du capitalisme financier et du productivisme, comment agir au mieux ?
Pour certains, il n’y a plus vraiment de marges de manœuvre et il faut faire le dos rond en attendant des jours meilleurs… Pas vraiment mobilisateur comme perspective !
D’autres parlent d’un nouveau Grand Soir, d’un renversement d’un capitalisme à bout de souffle. Mais cette idée ne mobilise plus vraiment au-delà d’un cercle de militants, d’une minorité active, qui peine à s’élargir.
La société, dans son ensemble, n’attend plus et ne croit plus à un hypothétique autre système, qui se construirait à côté de l’économie de marché, contre elle et avec l’ambition de la remplacer. Ces lendemains qui chantent ne sont plus entendus par la majorité.
Alors comment faire renaître l’espoir, sans lequel aucune lutte, aucune émancipation, aucun progrès humain ne sont envisageables ? Comme le dit bien Edgar Morin, « la résurrection de l’espoir n’est pas la résurrection de la Grande Promesse, c’est la résurrection d’une possibilité ».
La Grande Promesse est caduque, mais cette idée de Possibilité est plus que jamais vivante. Elle s’incarne notamment dans l’économie sociale et solidaire.
Une réalité plurielle très actuelle
Ce champ, aux racines historiques profondes (XIXe siècle), mais aussi d’une ardente modernité, renvoie à une grande diversité d’initiatives entrepreneuriales, ne relevant ni du secteur public ni du champ capitaliste classique et ayant en commun des pratiques différentes de l’entreprise : plus solidaires, plus démocratiques, avec la volonté de remettre l’homme au cœur de l’économie.
En voici quelques exemples.
Les sociétés coopératives de production (Scop), comme Chèque Déjeuner, sont des entreprises dont les salariés sont associés majoritaires et mutualisent les risques et les grandes décisions (selon le principe « un homme - une voix ») : choix des dirigeants, orientations stratégiques, affectation des résultats. Ceux qui décident sont ceux qui travaillent, pas des actionnaires financiers strictement focalisés sur la rentabilité.
Les entreprises d’insertion par l’activité économique, comme Envie, créent elles de l’activité économique pour donner de l’emploi à des personnes en situation d’exclusion et les accompagner dans leur parcours d’insertion sociale et professionnelle. Elles contribuent à réparer et reconstruire ce que le capitalisme financier contribue à détruire (emploi, cohésion sociale).
Les entreprises mutualistes, comme la Macif, sont des sociétés de personnes qui font vivre de manière démocratique un système de solidarité, d’entraide et de prévoyance, au service de leurs adhérents, avec un principe de non-discrimination et d’égalité de traitement. A but non lucratif, elles n’ont pas d’actionnaires à rémunérer et réinvestissent leurs excédents dans le projet (nouveaux services, baisse des prix...), pas sur des marchés financiers dérivés, spéculatifs et déconnectés de l’économie réelle.
Les entreprises de commerce équitable comme Ethiquable, assurent un juste revenu aux petits producteurs et artisans du Sud et le respect de leurs droits fondamentaux. Elles leur garantissent notamment un prix minimum stable et un partenariat commercial et technique à long terme favorisant leur autonomie. Elles contribuent à rendre le commerce mondial plus juste, plus respectueux des pays en développement.
On pourrait multiplier les illustrations de ces entreprises sociales et solidaires, et de leur intérêt renouvelé en ces temps de crise financière.
On les retrouve, de fait, dans tous les secteurs, ceux liés à l’intérêt général (santé, social, services aux personnes, environnement, culture, éducation, sport…), mais aussi ceux plus classiques comme la banque, l’assurance, le BTP, le tourisme, l’industrie, les services, les technologies, l’agriculture ou le commerce.
Elles sont également de toutes tailles, certaines comme le Crédit coopératif ou le Groupe SOS, pouvant même avoir plusieurs milliers de salariés.
Des fondamentaux humanistes
Plurielles dans leurs réalités, ces entreprises partagent néanmoins les mêmes fondamentaux.
Entreprises à part entière, elles ne considèrent pas pour autant le profit comme une fin en soi, mais bien comme un moyen au service de leur projet. Pour mettre en œuvre ce projet, elles gèrent une tension permanente entre des impératifs d’apparence contradictoire : l’efficacité économique et l’utilité sociale, l’intérêt individuel et l’intérêt collectif (ou général), la dynamique de croissance et la préservation de l’environnement, la culture de résistance et celle de coopération. Elles cherchent ainsi à donner un sens concret à l’idée de développement durable.
Projets collectifs par essence, elles sont également attachées à un partage équitable du pouvoir et des richesses créées, à leur ancrage dans le tissu local et à une vision de long terme. Elles font pour cela souvent (pas exclusivement) le choix des statuts associatif, coopératif ou mutualiste. Sur les territoires, elles œuvrent, à l’instar par exemple des Jardins de Cocagne, à réconcilier puissance publique stratège, marché responsable et société civile solidaire.
L’économie sociale et solidaire prend donc aujourd’hui toute sa pertinence, car elle réinjecte de la solidarité et de la démocratie dans l’économie, deux valeurs qu’une finance folle, focalisée sur la maximisation court-termiste du profit et déconnectée du politique, a cherché à évacuer.
Cette pertinence est une espérance, portée par les centaines de milliers d’hommes et de femmes, salariés, bénévoles, entrepreneurs de l’économie sociale et solidaire qui font vivre au quotidien un message simple, mais aujourd’hui essentiel : il n’y a pas qu’une seule façon d’entreprendre, de travailler, de produire, de consommer, d’épargner, d’investir. Il est possible de vivre autrement son rapport à l’économie et à l’entreprise, de manière plus solidaire, plus démocratique, plus humaniste.
Ce message de l’économie sociale et solidaire est crédibilisé par son poids économique : 210 000 employeurs, 2,6 millions d’emplois (+ 10 % par rapport à 2000), soit 14 % de l’emploi dans le secteur privé, 57 milliards d’euros de masse salariale. Qui plus est, loin d’être une exception française, cette économie sociale et solidaire se développe partout dans le monde, notamment en Europe et en Amérique latine.
Ouvrir le champ des possibles
Pourtant, à la notable exception des collectivités territoriales qui la soutiennent de plus en plus, ayant compris son intérêt pour un développement local durable, les acteurs de la res publica ne veulent pas la voir et la reconnaître (même si les choses évoluent progressivement).
Sa seule représentation institutionnelle (la DIIESES, délégation interministérielle) agonise. Les partis politiques ne la prennent pas en compte. Les écoles et universités ne l’enseignent pas ou peu. Les organisations patronales la snobent ou la combattent. Les principaux médias l’ignorent ou la caricaturent. Ils gagneraient tous pourtant à lui faire une place plus importante, à mieux la connaître, à mieux la comprendre.
L’économie sociale et solidaire de son côté doit aussi évoluer, pour être davantage audible de ces acteurs.
En mesurant et en rendant mieux compte de ses impacts sociaux, écologiques et économiques. En nouant aussi de nouvelles alliances avec des acteurs publics et privés (collectivités, entreprises socialement responsables, syndicats, ONG), qui partagent son projet de démocratiser et de réhumaniser l’économie. En développant sa capacité entrepreneuriale, pour changer d’échelle… tout en veillant à ne pas changer de valeurs. En se donnant les moyens financiers d’agir plus fortement, notamment au niveau politique.
Dans notre monde contemporain, complexe et interdépendant, la question n’est plus d’être pour ou contre l’entreprise, pour ou contre le marché, pour ou contre la finance, questions stériles et polémiques, mais pourtant si appréciées sur le théâtre des postures politiques françaises.
Le véritable enjeu dont devrait se saisir avec force le débat démocratique et citoyen consiste plutôt à en discuter les modalités : quelle entreprise voulons-nous ? Quel marché ? Quelle finance ? Pour faire quelle économie ? Avec quelles finalités ? Avec quelles régulations ?
L’économie sociale et solidaire apporte des réponses concrètes, partielles, mais réelles, à ces questions fondamentales. Dans le contexte actuel, elle ne demande qu’à les faire entendre davantage, pour les partager, les enrichir, les améliorer, les amplifier.
A l’ensemble de la collectivité - société civile, pouvoirs publics, entreprises - de s’en saisir, pour faire vivre à grande échelle un véritable humanisme économique, à la hauteur des enjeux du XXIe siècle et des attentes de la société, qui n’a jamais été autant en quête d’un autre mode de développement.
La fronde économique
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