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Accueil du site > Actualités > Politique > Au Niger Lhomme areva. Et David terrassa goliath ?

Au Niger Lhomme areva. Et David terrassa goliath ?

Dans quel(s) but(s) AREVA offre-t-elle donc une telle publicité judiciaire à Stéphane Lhomme ?

Les formulations utilisées par Stéphane Lhomme dans son communiqué intitulé « Nucléaire/corruption : Areva offre un avion au Président du Niger... », publié le 11 décembre 2012 sur le site de l’Observatoire du nucléaire et faisant suite à celui publié le 3 décembre par le principal groupe nigérien d’opposition, l’Alliance pour la Réconciliation Nationale, sont-elles objectives, mais imprudentes, ou subjectives, et forcément imprudentes, ou en fait diffamatoires ?

C’est désormais à la Justice française qu’il conviendra de décider si les mots et phrases incriminés évoquant une corruption du Président nigérien portent injustement « atteinte à l’honneur et à la considération » de la société AREVA se jugeant « victime de diffamation  ».

 Les faits.

C’est 7 jours après la publication du communiqué, soit le 18 décembre 2012, qu’Areva par le biais de son avocate exige de Stéphane Lhomme qu’il le retire de son site dans les 24 heures.

 Dans l’intervalle Areva a en effet démenti à l’AFP le versement même d’une aide budgétaire de 17 milliards de Francs CFA, pourtant confirmé par Mr Zakari Oumarou, président du groupe parlementaire du parti majoritaire (PNDS) au pouvoir (AFP 12/12/12 : Le Niger veut s’acheter un avion présidentiel grâce à Areva, qui dément). Tandis que de son coté, le 17 décembre, le gouvernement nigérien apportait un démenti aux « allégations relatives à l’acquisition d’un avion affecté aux déplacements officiels » en ces termes : « Il n'existe pas de protocole d'accord de financement exceptionnel d'AREVA au profit du Niger. En aucun cas, des ressources éventuelles qui résulteraient d'un accord avec AREVA n'auraient d'affectation privilégiée ». Tout en reconnaissant dans le même communiqué que l’avion actuel, un « Boeing 737, ''le Mont Bagzane'', (…) arrive en fin de vie  ». Et avec cette utile précision : « En tout état de cause, il ne saurait y avoir des liens entre un effort exceptionnel d'AREVA et l'acquisition d'un avion affecté aux déplacements officiels. Le Niger demeure un Etat attaché à la transparence absolue des opérations financières de l'Etat  ». Le doute, on le comprend, n’est donc pas permis puisque l’Etat du Niger, apparemment, ne s’est jamais contenté seulement de transparence, mais, bien plus, de transparence « absolue ».

On imagine facilement la tension dans laquelle Stéphane Lhomme égraina les secondes au cours de ces 24 heures qui ont dû être bien longues. En face de lui rien de moins qu’un Président d’un Etat souverain et son gouvernement, et une transnationale du nucléaire à qui a été décoché le mot « corruption »…

Et finalement, au terme du délai imparti par le très puissant plaignant, Stéphane Lhomme choisit… de ne pas s’exécuter !

« Suicidaire ! » se sont exclamés certains. « « Couillu » ! » ou « Courageux ! » ont été les apostrophes entonnées par d’autres. Les avis sont forcément divergents à l’extrême, sous l’emprise du fort pouvoir de clivage de la figure imposée.

Et la réponse d’Areva cette fois-ci ne s’est pas faite attendre. L’avocate lui a fait parvenir dès le 19 décembre une assignation à comparaitre le 1er février 2013 à 13h 30, au Tribunal de Grande Instance de Paris (il va falloir songer à réserver sa place !).

 

Une analyse des tenants et des aboutissants, des procédés de la procédure

 Suicidaire Stéphane Lhomme ? Mais s’il s’était résolu à retirer son communiqué, bien qu’il soit manifestement convaincu d’une très grave faute de la part d’Areva à l’encontre des habitants du Niger au travers de la corruption de leur Président, le geste n’aurait évidemment pas été interprété et présenté par Areva comme l’expression de sa seule crainte d’un procès long, épuisant, incertain et couteux face à une transnationale riche et surpuissante. Réaction que l’on aurait jugée bien humaine et communément banale chez tout autre protestataire indigné, et éventuellement imprudent, se sentant brutalement bien fragile et démuni face à ce Goliath industriel. Mais en Stéphane Lhomme ce que voient Luc Oursel et la transnationale qu’il dirige, c’est : et un symbole, et le redoutable contradicteur à l’égard duquel ils sont donc difficilement enclins à la tolérance puisqu’il est en fait indispensable de les neutraliser. Or en s’exécutant Stéphane Lhomme aurait fourni à Areva la preuve publique immédiate qu’il reconnaissait une faute. Et qu’est-ce qui aurait alors retenu le Président du Directoire de la transnationale du nucléaire de le faire facilement condamner grâce à un tel « aveu » ? 1) La clémence ou 2) le calcul que la sanction morale pourrait suffire, quand se présentait pourtant la possibilité de l’asphyxier financièrement ? L’observateur est en droit de douter de ces deux propositions, particulièrement dans cette période « post »Fukushima qui voit les projets d’expansion de l’entreprise gravement contrariés, et où tout adversaire, on l’imagine, doit désormais, au nom de l’efficacité économique, être impérativement, et si possible très efficacement, neutralisé, au moins sur le plan politique.

C’est avec à l’esprit ce qui est donc plus qu’un doute, que Stéphane Lhomme avait à prendre sa décision. En vérité avait-il encore le choix, sauf à prendre le risque de se « suicider » politiquement ? Et c’est pourquoi il n’avait plus d’autre alternative que de répondre à la façon de David au défit lancé par le Goliath nucléaire. Qui, lui, moins généreusement que le personnage biblique, ne lui octroyait pas 40 jours de réflexion, mais un seul.

Et ce n’est donc pas en craintif crédule, ni en fanfaron insensé mais bien en David courageux qu’il lui a fallu répondre. En David effectivement, car comme David il est déjà victorieux. Puisqu’il a, de fait, et d’entrée de jeu, propulsé sa pierre en plein front du géant. Et sa pierre à lui c’est son refus de céder. Ce à quoi Areva ne s’attendait pas forcément, pensant qu’en lui opposant le démenti redoutable du gouvernement nigérien, Stéphane Lhomme parasité par l’inquiétude, voire paralysé par la peur, allait peut-être baisser les bras. Un démenti objectivement très inquiétant bien qu’émanant du co-accusé de Stéphane Lhomme et que démentent très crument par ailleurs les propos du président du groupe parlementaire du parti majoritaire, rapportés par l’AFP.

Et de fait il a décidé de camper sur ses positions et de ne pas céder. Et de s’offrir à cette occasion une sacrée stature.

Peut-être Areva s’attendait-elle, au pire, à une réaction de mépris de Stéphane Lhomme. Du genre de l’abandon, certes éventuellement très couteux pour lui, mais fier, sans un regard et sans la moindre négociation. En tout cas peut-être ne s’attendaient-ils pas à un coup aussi radical ! Si c’est bien le cas Areva s’attendait néanmoins forcément à une possibilité de résistance de sa part. Peut-être même non seulement elle était attendue, mais encore - n’excluant pas cette inévitable issue - en réalité c’était ce qui était escompté. Entre autres raisons, que l’on abordera plus loin, pour le neutraliser financièrement. Résistance escomptée certes mais, probablement, sans cette radicalité, et sans la publicité inévitablement associée. Et cela bien qu’ils connaissent les capacités de jusqu’au-boutisme du célèbre et ombrageux antinucléaire. Mais sans doute pas son fatalisme lucide. Car avec ne serait-ce qu’un doute sur la capacité de clémence d’Areva avait-il un autre choix ? Mais en même temps en 24 heures offre-t-on vraiment le temps de négocier ?

Et Areva offre-t-elle l’image d’une transnationale clémente ? Au Niger a-t-elle la réputation d’être clémente à l’égard de la santé des populations vivant à proximité de ses mines d’extraction de l’uranium ?

Résultats…

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Non, on ne peut pas imaginer qu’Areva n’avait imaginé que son abandon et pas sa résistance, forcément. Mais une telle résistance ! Qui lui offre désormais une nouvelle stature. Un comble ! On peut même se demander si Luc Oursel avait seulement envisagé une telle publicité alors qu’il avait certainement dû envisager le scénario inverse. Et en cherchant à soumettre Stéphane Lhomme, c’est évidemment aussi l’ensemble du mouvement antinucléaire dont il visait la « décapitation ». Et bien c’est raté ! 

Et pourquoi ne pas imaginer qu’au travers de Stéphane Lhomme, Luc Oursel et Areva avaient visé bien d’autres buts ?

Ne sommes-nous pas en période de grande instabilité économique et environnementale à l’échelle planétaire ?

 Y aurait-il un intérêt pour une transnationale de la puissance désormais incertaine d’Areva de chercher par exemple à déstabiliser EELV, parti antinucléaire de gouvernement, sans viser cependant l’ensemble du gouvernement français ?

On ne peut exclure une telle hypothèse puisque s’attaquer à Stéphane Lhomme, alors qu’ils auraient pu tout à fait l’ignorer et tabler plus sûrement sur l’indifférence médiatique, très en vogue en France dès qu’il est question de contestation nucléaire, c’est vouloir créer à coup sûr une situation potentiellement sismique. A condition que ce soit un séisme limité. Pas un tremblement de terre du genre de ceux générant des tsunamis. Il y a en effet des antécédents récents fort fâcheux ! (Entendons-nous bien : fâcheux seulement pour l’industrie nucléaire bien sûr...)

Luc Oursel a-t-il - tout - mal mesuré ? Parce qu’il voulait d’une seule pierre faire bien trop de coups ? Et qu’il se la reçoit finalement en boomerang sur le front ?

 

Car qui est « David » ?

Stéphane Lhomme a été l’un des quatre candidats lors des primaires présidentielles d’EELV de juin 2011. Les 1172 adhérents ayant voté en sa faveur sont des antinucléaires irréductibles. Quelle sera leur réaction ? L’immobilisme, la paralysie, la résignation face aux difficultés de leur héros ? Surement pas. Ils vont donc faire une énorme pression sur leurs dirigeants qui vont devoir se positionner. José Bové, désormais soutien particulièrement radical des opposants à Notre-Dame-Des-Landes, lui non plus ne devrait pas rester muet.

Pascal Canfin, ministre du développement, est à ce titre, comme à celui d’écologiste, concerné par l’affaire. Or dès le départ il a été interpellé par Stéphane Lhomme. Il est pour le moment resté silencieux, mais pourra-t-il le rester longtemps ?

EELV sera donc contraint de réagir. Et que ce soit dans un sens ou dans l’autre cela va créer… un séisme politique ! Qu’EELV choisisse l’indifférence feinte comme ils savent parfois si bien le faire et le parti pourrait, à l’extrême (déjà bien proche), la payer d’une scission ; et c’est le Parti de Gauche nouvellement écosocialiste qui en profitera (serait-ce le curieux pari d’Oursel et d’Areva ?). Qu’EELV décide de soutenir Stéphane Lhomme, et c’est Oursel qui va très furieusement tanguer. Donc pour EELV cette alternative est la seule possible, et la plus dangereuse pour Oursel. Ce qui rend cette stratégie choisit par lui apparemment absurde. Mais encore une fois il devait ne pas s’attendre à une telle radicalité de Stéphane Lhomme. (Il tentera sans doute de faire en sorte que la vague atteigne le gouvernement déjà gravement secoué par l’affaire de NDDL. Mais Cécile Duflot, aidée en cela par son patron-yme, tiendra bon !).

Et comment vont réagir les milliers de militants antinucléaires non adhérents de EELV ? Et qui ne sont pas les moins radicaux ni les moins irréductiblement antinucléaires ? Il y a tout à penser qu’ils vont eux aussi s’identifier à un « berger » (David l’était) qui brave une transnationale, et généreront ainsi un second « kyste » national. Il n’y a guère plus de doute, nul besoin d’être grand devin : Luc Oursel sera probablement le fusible de l’affaire. Ne serait-ce pas d’ailleurs le but ultime de la stratégie d’AREVA ?

Ou alors, si l’on veut bien exclure comme impensable cette hypothèse de stratégie de défense et d’attaque à l’énergie si mal calculée, quel autre but inavoué Luc Oursel et Areva recherchaient-ils au travers de cette déstabilisation politique ? L’impunité judiciaire affichée aux yeux du Monde, proclamée aux oreilles de tous, que s’arrogerait une transnationale dans le cas où le démenti du gouvernement nigérien serait un mensonge ? Ou autre chose encore ?

A moins, tout simplement, qu’ils soient dans les suites ingérables de la catastrophe de Fukushima dans une totale confusion.

There are other questions !

 

Au final :

Mais en attendant l’hypothétique réponse, reste à savoir si Stéphane Lhomme sera ou non condamné pour diffamation. Et c’est ce qui nous importe dans l’immédiat. Or on connait déjà en partie la réponse (dont l’entièreté reste néanmoins du ressort exclusif de la Justice) car la question se résume finalement au fait de savoir si les propos du président du groupe parlementaire du PNDS sont exacts.

Enfin quand on écrit « finalement » c’est bien sûr de la rhétorique improvisée… Car en cas d’un toujours possible futur démenti de Mr Oumarou, un démenti se calquant sur celui d’un Président qu’un dignitaire de son camp ne peut généralement pas démentir, cela se résumera à la question de savoir alors si… les propos de l’AFP sont exacts.

Et en cas de démenti ultérieur de l’AFP, savoir si… le communiqué de l’AFP est un faux.

Et si au terme hypothétique de ces hypothèses successives il est finalement prouvé que ce communiqué est un faux alors il sera logique, normal et tout à fait légitime que Stéphane Lhomme soit condamné pour avoir diffamé Areva par l’accusation de corruption d’un Président qui a démenti l’avoir été. Ce qui est quand même la moindre des choses. De démentir.

A moins bien sûr que la Justice considère à juste titre qu’il a donc été abusé par un faux.

C’est pourquoi je conseillerais bien à Stéphane Lhomme de démentir avoir diffamé. Des fois qu’on pourrait croire que dans certains cas un démenti puisse suffire pour gagner un procès…

Et si c’est le président du groupe parlementaire du parti majoritaire qui a menti, alors dans ce cas Stéphane Lhomme aura été abusé par un haut responsable politique et là aussi ne pourra donc à priori en être reconnu coupable.

Alors :

-quelles sont les chances pour David Lhomme de gagner ? Grandes.

-et celles de Goliath Oursel ? Finalement bien faibles…

 


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2 réactions à cet article    


  • yvesduc 3 janvier 2013 21:41

    Merci pour cet article. Le virage de la judiciarisation du contre-militantisme se poursuit, hélas…


    • Rémi Manso Manso 4 janvier 2013 10:02

      Et pendant ce temps, le Niger continue sa course (folle) en tête du taux de fécondité mondiale (avec 7 enfants en moyenne par femme !), creusant par la-même sa propre tombe...
      Bien entendu, notre pays joue son rôle dans cette histoire en achetant directement (ou indirectement ?) les « élites » de ce pays afin de pérenniser notre approvisionnement en uranium et surtout en s’abstenant d’intervenir sur ce sujet de la natalité (hyper) galopante de son partenaire, afin de ne surtout pas le facher.
      La tragédie de l’humanité se joue en miniature au Niger, et ce dans l’indifférence quasi générale de nos concitoyens, mis à part l’association Démographie Responsable qui tente de sensibiliser l’opinion sur cette question de la surpopulation.

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