2012 sera l'année de l'autisme, déclaré récemment « Grande Cause Nationale » par Mr Fillon. Mais cela fait déjà quelques mois que ce sujet brûlant s'est invité sur le devant de la scène et en particulier dans la campagne présidentielle et législative.
Ainsi ce jeudi 12 janvier ont eu lieu les premières rencontres parlementaires sur l'autisme, à l'initiative du Député Daniel Fasquelle, président du groupe « autisme » à l'Assemblée Nationale. Mais aussi et surtout, depuis quelques mois, les associations et collectifs de familles du monde de l'autisme multiplient les interpellations aux politiques, et notamment aux candidats à la présidentielle.
Bien avant les primaires du Parti Socialiste, notre Collectif « Egalited » interpellait les candidats sur les points les plus critiques :
– l'inadéquation des prises en charges, encore majoritairement d'inspiration psychanalytiques et inefficaces pour aider les autistes (l'autisme est un handicap neurodéveloppemental, pas une maladie psychique) ; voir à ce sujet notre article ici
– le scandale du packing (voir également notre article sur ce sujet, ici)
– la scolarisation des autistes, catastrophique malgré la loi de 2005 ; seuls 20% des autistes sont scolarisés en milieu ordinaire, alors que c'est une chance qui devrait être offerte à la majorité d'entre eux, comme en Espagne ou en Suède.
Avant les primaires du PS, le collectif Egalited avait reçu des réponses de François Hollande et de Martine Aubry (consultables ici). La réponse de Martine Aubry avait frappé par sa clarté et l'ampleur de son engagement, assez rare dans le monde politique où il faut bien le dire l'habitude est plus au consensus mou et à la langue de bois pour ne froisser personne. Ainsi pouvait-on lire dans son courrier : « En ce qui concerne la prise en charge des enfants, sachez que je m'oppose fermement à la pratique du packing, dont je souhaite l'interdiction en France ».
Dans le même temps, l'association « Vaincre l'Autisme » (ex-Léa pour Samy), connue pour ses prises de position sans concessions, recevait également de Mme Aubry un courrier (consultable ici) dans lequel elle écrivait : « C'est vous, parents, qui nous avez alertés sur les dérives liées à l'assimilation de l'autisme à une maladie mentale et à la terrible pratique du packing ». Cette lettre est de plus annotée manuellement par Mme Aubry avec sa signature, deux lignes écrites de sa main, ce qui authentifie son origine.
Cette prise de position tranchée de Martine Aubry en avait surpris plus d'un, car Mme Aubry avait intégré à son équipe de campagne le Pr Pierre Delion, en tant qu'expert sur le sujet de la violence des enfants. Mme Aubry déclarait d'ailleurs dans un article paru fin 2010 (voir ici) : “C'est un très grand professionnel. Un homme engagé qui ne reste pas dans son bureau, qui est ouvert sur la société, et qui apporte ses compétences avec un grand naturel”. Mme Aubry est Maire de Lille, le Pr Delion est quant à lui responsable du service de pédopsychiatrie au CHR de Lille et supervise également l'unité de diagnostic au Centre Ressource Autisme de Lille ; il s'agit donc d'une importante personnalité de cette ville, que Mme Aubry côtoie depuis des années, et semble-t'il qu'elle apprécie. Or, le Pr Delion a réintroduit en France la pratique du packing sur les enfants autistes qu'il considère comme utile pour leur permettre de se construire une image du corps censément déficiente, et il travaille depuis des années pour répandre l'utilisation du packing en milieu hospitalier pédopsychiatrique. La prise de position tranchée de Mme Aubry contre cette technique prônée par une personne dont elle est apparemment aussi proche avait donc de quoi surprendre agréablement les associations de familles d'autistes.
Les primaires sont passées, avec le résultat que l'on sait : François Hollande est le candidat désigné par le PS, Martine Aubry demeure responsable du Parti Socialiste. Or, fin décembre, apparait sur le site web d'un ami du Pr Delion un document pour le moins troublant (voir ici). Il s'agit d'une lettre de Mme Aubry au Pr Delion, non datée (ou dont la date a été effacée avant mise en ligne), dans laquelle elle nie tout jugement sur la pratique du packing. On peut y lire en particulier que dans son courrier aux associations “a été ajoutée, sans que j'en sois informée et que je donne mon accord, une critique de la pratique du packing. En aucun cas je ne souhaite prendre parti sur les pratiques thérapeutiques de l'autisme”. Elle ajoute plus loin qu'il s'agissait d'une “prise de position que je ne cautionne en aucun cas”, poursuit en assurant le Pr Delion de son admiration pour ses qualités de médecin et de scientifique, en termine la lettre en souhaitant que se dégage un “consensus sur les thérapies et l'accompagnement des enfants autistes et de leurs familles”. Cette lettre est confirmée par un court article paru début janvier (consultable ici).
Souhaiter un consensus sur un problème aussi polarisé que le débat sur la prise en charge de l'autisme et le packing, c'est typiquement un voeu pieux forgé dans la langue de bois, et dans le débat en cours cette seconde lettre de Mme Aubry fait clairement pencher la balance du côté de son “admiration”.
Que faut-il comprendre de tout cela ? La lettre de Mme Aubry à Mr Delion n'est pas un faux, puisqu'elle est confirmée par ses propos dans l'article paru ensuite. Donc, soit la lettre envoyée aux associations a en effet été falsifiée comme elle le dit, ce qui est très grave car un faussaire est alors à l'oeuvre au PS et il faut le démasquer d'urgence pour qu'il cesse de nuire, soit Mme Aubry a délibérément menti aux associations pour gagner des voix juste avant les primaires, ce qui est encore plus grave compte tenu de sa position de premier plan sur l'échiquier politique. L'annotation manuelle de la lettre envoyée à “Vaincre l'Autisme” plaide contre l'hypothèse du faussaire, à moins que Mme Aubry ne relise pas ce qu'elle signe...
Un fin connaisseur du marigot politique socialiste avec qui nous avons été en contact (et qui tient à ne pas être nommé) émet pour sa part une hypothèse digne de Machiavel : Mme Aubry pourrait avoir en effet tenté de récupérer les voix des familles d'autistes avant les primaires, et après les avoir perdues, se renie publiquement afin de détourner ces mêmes familles du vote Hollande. Elle jouerait donc Hollande perdant aux présidentielles, espérant remporter les législatives afin d'être ensuite nommée Premier Ministre, ce qui lui serait impossible avec Hollande comme président de la République... Cette hypothèse n'engage que son auteur mais permet d'expliquer tous les faits.
Quoi qu'il en soit, cette déplorable volte-face a généré chez les associations de familles une profonde méfiance vis à vis des engagements des candidats en présence, beaucoup trop vagues et faussement consensuels sur le sujet de l'autisme, à l'exception notable de Mr Dupont-Aignan (voir ici) qui a cependant peu de chances d'être élu cette fois-ci. Ces mêmes associations, dont notre Collectif, sont en train d'interpeller de nouveau les candidats en lice, espérant enfin de leur part un engagement ferme et très clair sur ce sujet, en cette année de l'autisme “grande cause nationale”.
Saluons à cet égard l'extraordinaire espoir suscité par les propos tenus lors de la “Journée Parlementaire de l'Autisme” ce jeudi 12 janvier, ainsi que la teneur du rapport remis par Mme la Sénatrice Valérie Létard à la Ministre Roselyne Bachelot. Enfin, a-t'on entendu les plus hautes instances politiques françaises se saisir du drame de l'autisme, expliquer qu'il faut tourner le dos aux pratiques psychanalytiques obsolètes et inutiles, qu'il faut appliquer les mêmes pratiques qu'en Belgique ou ailleurs en Europe du Nord pour reproduire leurs succès obtenus avec TEACCH, ABA, PECS. On lira par exemple l'entretien accordé au journal “La Croix” du Député Daniel Fasquelle (UMP), président du groupe d'études Autisme de l'Assemblée, ici, et une intervention à l'Assemblée Nationale du Député Gwendal Rouillard (PS), secrétaire du même groupe d'étude, ici. Leur courage et leur détermination ont beaucoup impressionné ceux qui ont eu la chance d'assister à cet journée parlementaire, qui restera un exemple de ce que peut être un travail politique constructif, dépassant les clivages traditionnels, pour le bien commun.
Il est donc maintenant plus que temps que cessent l'hypocrisie des décideurs, l'incompétence de nombreux professionnels, et les souffrances des autistes et de leurs familles. Les candidats et partis politiques en lice pour les présidentielles et législatives doivent se saisir de la question avec le même courage que les Députés lors de cette journée, et prendre tous clairement l'engagement de poursuivre ce travail dans la même direction et avec la même détermination, quels que soient les résultats des urnes. Il faut en finir avec les prises en charge psychanalytiques inutiles, avec le packing, avec l'exclusion scolaire et sociale qu'on impose à nos enfants.
Au moment de déposer son bulletin dans l'urne, les autistes et leurs familles y réfléchiront à deux fois.