Avec Fessenheim, Ségolène Royal joue sa crédibilité, et son avenir politique
Fermera ? Fermera pas ?
Sur la foi de ses déclarations devant la commission d’enquête parlementaire le 21 mai, on pouvait avoir acquis la conviction que la décision de Ségolène Royal de fermer Fessenheim était prise, et que, conformément à son volontarisme coutumier, rien ne l’en détournerait. Et qu’elle le ferait en respectant attentivement les formes, et notamment les susceptibilités parlementaires. Ce qui rassurait tout le monde, car même le plus intransigeant des pro-nucléaires, en son for intérieur, et malgré toute la bonne volonté qu’il met à y résister, n’aspire in fine qu’à l’arrêt de cette folie nucléaire. Tellement sa charge dans les suites de Fukushima est devenue inhumaine.
Malheureusement aux lendemains de sa communication sur le projet de loi sur la transition énergétique suite au Conseil des ministres du 18 juin (date symbolique et nouvelle embrouille ?), chacun se retrouve désormais dans l’expectative. Le flou est majeur. Et les uns comme les autres, quelque soit son bord, celui des suicidaires de l’atome mus par la cupidité et/ou une foi religieuse en Logos et Technè (une conviction qui n’a de scientifique que le nom), de même que tout résistant au désastre nucléaire, en est à se rassurer comme il peut.
Supputations
Alors, Ségolène Royal trouvera-t-elle finalement le courage de fermer Fessenheim ? Puisque malgré Tchernobyl et Fukushima, soi-disant il en faut. A la question, Noël Mamère a répondu catégoriquement : « Face au lobby nucléaire, Ségolène Royal capitule en rase campagne, avec, en plus, l’approbation de certains élus écologistes ». Dont il ne précise pas les noms. Mais qu’on identifie sans grand effort.
Il est bien l’un des rares à avoir une certitude. Mais comme il est un redoutable analyste politique, son diagnostic n’en est que plus inquiétant. Au regard des seuls faits le quidam lambda, dont je suis, lui, n’en sait plus grand-chose. On en est réduit aux supputations. Ou à notre seule intuition.
En face comme on n’a pas encore la garantie que Fessenheim ne fermera pas, on tente de s’en convaincre. Et pour s’assurer d’un résultat hypothétiquement acquis, pour influer sur l’entourage de la ministre de l’écologie et incendier la moindre velléité de revirement, on fait feu de tout bois. C’est à un véritable bombardement médiatique, aux formes les plus diverses et pas toujours des plus honorables, auquel on assiste depuis quelques jours. Ici ce sont une cinquantaine de média qui en chœur commentent une publication catastrophiste de l’Insee sur les répercussions sur l’emploi de la fermeture de la centrale. Là, un titre inquiétant, frisant la déraison : « Qui veut tuer Fessenheim ? ». Ailleurs, la Une de l’Express fait polémique. Et il y a de quoi. Difficile de faire plus vulgaire : « L’emmerdeuse » !! Et le reste à l’avenant. Et à venir…
Ainsi, et comme toujours, d’un coté il y a la bonne volonté militante, et de l’autre les lourds et imposants moyens matériels de la propagande. Le déséquilibre est patent. Mais peut-être qu’à vouloir trop en faire, tant va la pompe de refroidissement à l’eau, qu’à la fin elle se casse….
Dans les faits, même si l’on sait que plus grand-chose n’a été laissé au hasard, que RTE (Réseau de Transport d’Electricité) s’est préparé, de longue date, à la fermeture de la centrale, et que les instances politiques régionales et départementales s’y mettent également (Le Haut-Rhin prépare l’après-Fessenheim), semblant démontrer que la fermeture de Fessenheim peut se faire en douceur, le scepticisme néanmoins grandit.
Et certains comportements, que leurs auteurs qualifieraient de « réactionnaires » s’ils n’étaient pas eux-mêmes en cause, n’y sont pas pour rien. Ainsi jusqu’à quel point la CGT et son secrétaire général Thierry Lepaon, mais aussi FO Energie sont-ils capables de s’opposer à la fermeture ? Ils devraient pourtant savoir qu’une fermeture en douceur vaut bien mieux que des arrêts intempestifs fragilisant terriblement cette vieille chaudière (A Fessenheim, les petites misères de la vieillesse).
Mais quoi qu’il en soit il reste une certitude, toute cette gesticulation médiatique et ces menaces syndicales ne parviendront pas à modifier une donnée essentielle : le destin de Fessenheim n’est plus jamais absent des questions posées par les journalistes, ou de leurs commentaires. Le travail de conviction auprès des média a porté ses fruits. Nous ne sommes plus en 2012. Et désormais, comme un automatisme, et à chaque fois, dans un camp comme dans l’autre, sous la forme d’un inévitable reproche (« Pas encore fermée ? » ou « Vous n’allez tout de même pas la fermer ? »), le mot Fessenheim est toujours prononcé. Aujourd’hui ; comme il le sera aussi demain. Et Ségolène Royal n’aura plus de répit.
De telle sorte que ne pas fermer la centrale s’avèrerait pour elle impossible. Elle jouerait sa crédibilité. Et donc son avenir politique. A 60 ans se contenterait-elle d’une présidence régionale et d’un ministère de l’écologie ? Si elle veut continuer à espérer un avenir plus prestigieux encore, il lui faut parvenir à se faire une place dans cet espace politique que Valls et Montebourg s’acharnent à occuper et ne partageront pas. Au sein du désormais vieux PS, vieux certes, mais riche et influent. Ou encore entre le PS et ce nouvel espace en cours d’élaboration, le futur « Front du peuple » (ou « Front écososialiste », ou « Union écosocialiste », ou…), composé par les frondeurs du PS, Nouvelle Donne, EELV, avec ou sans la Firme, et le Front de Gauche ; voire le NPA.
Or renoncer à la fermeture de Fessenheim, désormais devenue un symbole, pourrait sonner pour elle le glas de son désir d’avenir. Et ce n’est pas l’arrêt de deux réacteurs ailleurs qu’à Fessenheim, proposé comme un plan B, qui résoudrait son problème. Trop illisible.
Les scénarios de son possible échec
En fixant dans la loi le plafond de la production d’électricité nucléaire à son niveau actuel (63 gigawatt) le gouvernement semble vouloir imposer un choix à EDF : soit l’ouverture de l’EPR de Flamanville, soit la prolongation de la centrale de Fessenheim, mais pas les deux. Quand en réalité il offre à EDF l’alibi rêvé pour s’auto-justifier un retard plus grand encore dans la construction émaillée d’ennuis de cet EPR dont la mise en service initialement prévue en 2012 a été annoncée pour fin 2016 (date butoir de la fermeture de Fessenheim) ; et dont le coût à ce jour est pratiquement multiplié… par trois ! Ainsi EDF aura obtenu ce qu’elle veut : prolonger Fessenheim tant qu’elle n’a pas démarré l’EPR. Et comme il est peu probable qu’il le soit à cette date…
Dans les faits le seul résultat auquel devrait aboutir cette contrainte, c’est la zizanie qu’elle fera naitre chez les antinucléaires, encouragés à se positionner sur une priorité : Fessenheim ou l’EPR ?
Alors, fermera ? Fermera pas ?
Et si elle doit fermer (avant la catastrophe) : à quelle date ?
Pas avant la fin du mandat de Ségolène Royal selon Noël Mamère. Et pas avant dix ans pour tous les irresponsables pro-nuc.
Tout le monde sait par ailleurs qu’une fermeture fin 2016-début 2017 est impossible. Fessenheim aurait été rafistolé pour 380 millions d’euros afin de durer dix ans de plus, malgré l’annonce par Hollande de sa fermeture ! Proglio, le PdG d’EDF, a certainement jugé qu’une telle dépense était le meilleur investissement pour interdire le déclenchement du processus de dénucléarisation. Quelle double preuve d’inconséquence il y aurait en effet pour un candidat à l’Elysée à vouloir l’envoyer à la casse quand elle vient d’être« rénovée », et en pleine crise économique ! Et ne parlons même pas du dédommagement en milliards des actionnaires. Il est facile d’imaginer l’intensité de la canonnade médiatique à l’aune de ce qu’elle est déjà aujourd’hui.
Il existe une autre date avec laquelle le gouvernement va devoir composer. Celle de la COP 21 (ou 21è « COnférence des Parties », la conférence-climat annuelle) qui se déroulera en 2015 en France. Ça la foutrait mal d’être le pays organisateur de ce rendez-vous international écolo, et être infoutu de fermer sa première centrale ! Il y en a parmi les invités qui se mettraient joyeusement à rigoler sous cape, et Hollande n’a vraiment pas besoin de ça, et la France de Sarkozy non plus…
Alors à quelle date ? Forcément donc avant 2015. Peut-être avant le 22 novembre 2014. Car si à cette date de fin de contrat, Henri Proglio n’a pas fermé Fessenheim, parviendra-t-il s’il le souhaite à être reconduit dans ses fonctions ?
Et si elle ne parvient pas à fermer Fessenheim, Ségolène Royal ne se destine-t-elle pas à une possible mort politique ?
Beaucoup en sont convaincus. Y compris ceux et celles parmi les politiques favorables à la fermeture de Fessenheim qui n’ont aucune envie de la voir jouer dans l’avenir un rôle de premier plan. Parmi eux non seulement bien entendu les Duflot et consorts. Pourquoi pas également les Jean-Luc Mélenchon ? Et aussi les Mamère ? Sans parler des Placé, De Rugy, Pompili, Baupin, and Co de la Firme d’EELV qui louchent eux vers le centre et le Modem, mais pour qui Ségolène Royal pourrait tout aussi bien devenir l’alliée privilégiée. Et il ne sera pas difficile de voir parmi ces derniers lesquels envisagent de la soutenir afin de s’assurer grâce à elle un avenir que la démission de Cécile Duflot a contrarié : il y a ceux qui œuvreront fermement pour la fermeture de Fessenheim ; et les autres…
Mais plutôt que d’escompter un succès à partir de stratégies et de calculs politiciens à la destinée incertaine, le moyen qui offrirait la plus grande chance de voir la centrale de Fessenheim fermée serait encore que les citoyens s’en mêlent et se mobilisent.
Comme ils le font pour Notre-Dame-des-Landes.
Patrick Samba
Ségolène Royal fermera-t-elle Fessenheim ?
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