Avec Jacques Chirac, le ni-ni érigé en mode de gouvernance !
Jacques Chirac a érigé le ni-ni en mode de gouvernance. Toujours à ménager la chèvre et le chou. En professionnel du grand écart, dans son intervention vendredi à la télévision sur le CPE, il a frappé une nouvelle fois. La réalité a dépassé la fiction. Ce n’est pas Jacques Chirac qui vous parlait, mais Ubu.
Lors de son intervention télévisée sur le CPE vendredi dernier, Jacques Chirac a fait la remarquable démonstration de sa maîtrise du louvoiement. Depuis que Jacques Chirac a accédé à l’Elysée, toute son in-action politique est prodigieusement marquée du sceau de l’irrésolution ! Son leitmotiv ? Le ni-ni ! Pas un sujet en effet sur lequel Jacques Chirac ne soit parvenu à ce jour à trancher, de façon nette et radicale. Son exploit ? Avoir érigé le ni-ni en véritable de mode de gouvernance ! Mais avec les dégâts collatéraux que l’on connaît trop bien pour la France. Jacques Chirac, en matière d’irrésolution, devrait faire sienne la devise olympique : ‘’Plus haut, plus fort, plus loin’’ !
Pourtant, à l’origine, la volonté était là. Rappelons-nous sa campagne sur le thème de la ‘’fracture sociale’’, une merveille de slogan politique à l’instar de la ‘’force tranquille’’ lors de la première campagne de François Mitterrand en 1981, magistralement menée. Tout le monde y croyait... Allez, reconnaissez-le, vous aussi à l’époque vous croyiez dur comme fer, à sa détermination de remettre la France sociale d’aplomb. L’élan populaire, à l’époque, était bien présent. Par ailleurs, Jacques Chirac avait entre les mains tous les leviers politiques - forte majorité à l’Assemblée nationale, le feu RPR, son ‘’écurie présidentielle’’ sur mesure détenait les principales villes et 22 régions étaient à droite - donc toutes les conditions étaient réunies pour voir la France s’élancer sur une nouvelle voie, après plus de quatorze ans de socialisme. Une machine parfaitement huilée, prête à remettre la France sur les rails.
Et patatras, en 1997, la machine s’est soudainement déréglée. La dissolution malheureuse de l’Assemblée nationale, dont les raisons restent à ce jour non élucidées, a été le début de la fin. L’élan populaire s’est effiloché, la confiance du peuple de droite dissoute en même temps. Une démission du président ? C’était la solution la plus noble qui, à l’époque, lui aurait certainement permis de retrouver le lien avec son électorat et d’entrer au Panthéon des vrais chefs d’État. Au lieu de cela, il est resté, alors qu’il n’avait plus la direction des affaires. Un simple contrôle. Cinq années calamiteuses pour le président. Pour la France. Cinq années durant lesquelles la fonction présidentielle a commencé à perdre de sa force, de son autorité et du respect qui lui était dû jusqu’alors.
Le début de l’irrésolution, la peur d’entreprendre et de faire mal à nouveau. La peur de mécontenter. Depuis, l’action du président s’est figée. On a fermé définitivement les fenêtres de l’Elysée. Plus aucun air neuf, tant espéré, n’est passé. D’où, à force, saturation.
En 2002, la bonne étoile de Jacques Chirac revient. Le malheur des uns fait le bonheur des autres. La présence au second tour du chef de l’extrême droite de l’élection présidentielle en 2002 en est la meilleure illustration : c’est un tremblement de terre, comme rarement la France en a connu, une heure de vérité grave. Mais, pour le président, c’est la preuve de son incroyable baraka. C’est le triomphe d’un homme sur, comme l’aurait dénoncée en son temps François Mitterrand, cette ‘’meute de chiens’’ qui s’est acharnée sur Jacques Chirac. Pendant toute la campagne, la gauche a sorti l’artillerie lourde. Cette même gauche, honnissant Jacques Chirac, doit appeler à voter pour lui,"pour la démocratie" comme ils le diront, tout en s’étranglant. La vengeance est un plat qui se savoure toujours froid.
Au soir de ce second tour, on s’est dit, Jacques Chirac a une seconde chance, décidément quelle veine ! Une seconde chance pour réussir à la tête du pays, l’emmener vite et bien sur cette voie du progrès social et de la modernité qui lui manque tant pour demeurer dans le peloton de tête des pays les plus riches de la planète.
Une illusion. Une de plus. Un mirage même. L’irrésolution sera encore sa marque de fabrique. Pourtant, les défis de la France s’accumulent. La pauvreté augmente ; la précarité gagne du terrain ; les tensions entre communautés, de plus en plus perceptibles ; une dette, qui à force de se faire aussi grosse qu’un bœuf, quand elle éclatera, plongera, fatalement, le pays entier dans un marasme terrible à l’instar de l’Argentine en 2001 ; des déficits publics records ; des prélèvements obligatoires proches de leur plus haut niveau depuis trente ans ; des parts de marché à l’international qui s’érodent ; une croissance toujours bloquée à 2% dans le meilleur des scénarios ; et un chômage élevé, en particulier celui des jeunes, une honte en Europe.
Quelle décision à la hauteur de ces enjeux a été prise et restera dans l’histoire ? Impossible d’en citer une seule. Tout juste du rafistolage afin de ne mécontenter personne. Car Jacques Chirac pensait que la ‘’troisième voie’’ - soit, sans langue de bois, l’immobilisme - lui garantirait un troisième mandat, les Français le percevant comme le père protecteur face aux menaces extérieures.
Et patatras, à nouveau, avec le cinglant échec du référendum sur le traité constitutionnel européen. Le divorce est consommé. Jacques Chirac va-t-il cette fois trancher le nœud ? En l’occurrence se séparer de son Premier ministre qui l’entraîne vers le fond en raison d’une impopularité record ? Mais l’indécision l’emporte à nouveau. Au lieu d’anticiper la catastrophe, Jacques Chirac décide de s’en séparer sous la pression des faits. Autrement dit, malgré lui. Le mal est fait. La décision intervient trop tard. Ce changement de Premier ministre aurait dû avoir lieu juste au lendemain de la gifle des élections régionales, où la gauche réussit quasiment le grand chelem en emportant 22 régions sur 23, seule l’Alsace résiste, depuis, devenue le village d’Astérix de la droite. Jacques Chirac a une mauvaise lecture à cette époque : institutionnelle et non électorale. Un nouveau faux pas, qui l’éloigne un petit peu plus des Français.
Jacques Chirac, touché sévèrement mais pas encore coulé avec le non en mai 2005 sur le référendum, croyant à sa bonne étoile, nomme Dominique de Villepin Premier ministre.
L’autorité perdue de l’État et du chef de gouvernement sous Jean-Pierre Raffarin et cette volonté d’agir sont indéniablement restaurées sous Dominique de Villepin. On se dit à nouveau, donc, que le temps de l’action est enfin venu. Après dix ans, il y a urgence.
Mais, voilà patatras, à nouveau, avec le CPE (contrat première embauche), et surtout, avec la fougue de Dominique de Villepin qui confond précipitation et vitesse, ambition personnelle et dessein national, autorité et autoritarisme. C’est la crise. Une de plus au lendemain des banlieues en fin d’année 2005. Sans parler de l’affaire des caricatures du prophète Mahomet où Jacques Chirac a brillé par son irrésolution [voir article "Quand Jacques Chirac trahit l’esprit démocratique"].
Sur le CPE, c’est à nouveau le triomphe du ni-ni. Mais nous sommes montés en gamme dans l’absurde. Une décision, corrigeons, indécision ’’abracadabrantesque’’ ! Jacques Chirac réussit l’extraordinaire tour de force de promulguer une loi tout en demandant sa modification ! C’est à y perdre son latin.
Outre son irrésolution manifeste, il se lave les mains de cette affaire explosive. Ainsi, il renvoie la ‘’ patate chaude’’, voire brûlante, aux parlementaires ! Et non à son Premier ministre ! Faut-il voir un désaveu ? L’homme en qui il voyait son signe successeur ne serait-il plus à la hauteur ? Jacques Chirac douterait-il soudainement ? Non, pour la simple raison que Jacques Chirac préfère soutenir Dominique de Villepin, coûte que coûte, contre Nicolas Sarkozy. Dominique de Villepin fait ses armes, selon le président. Qui n’a pas fait d’erreurs dans sa vie politique ? Ah, si, il y aurait bien Alain Juppé, mais voilà, côté sondage et popularité, pour son ancien dauphin, c’est marée basse.
Deux exceptions toutefois à cette règle de l’irrésolution inhérente à la gestion des affaires chiraquiennes : d’une part, sur la guerre en Irak où Jacques Chirac a fait preuve d’une détermination, d’une fermeté et d’une clarté qui étonnent encore. A quoi l’attribuer ? Probablement au vent « populaire » très favorable qui l’a poussé dans ce sens. Sinon mis à part son non à la guerre, que l’histoire retiendra-t-elle de son action pour le Moyen et Proche-Orient ? On cherche, on cherche... En tous cas, une détermination, une fermeté et une clarté qu’on aurait bien aimé retrouver dans l’approche des problèmes de la société française. Vœu pieu...
Autre exception : l’adoption du quinquennat. Mais, encore faut-il, sur ce sujet, mettre un bémol. En effet, Jacques Chirac a accepté de conduire cette réforme institutionnelle uniquement sous la pression. En particulier sous celle de son empêcheur de tourner en rond : Valéry Giscard d’Estaing. Sans cette offensive de l’ancien président de la République, il est évident que nous serions encore au temps du septennat, car c’était dans l’intérêt de Jacques Chirac. Durer pour durer. Et non pour gouverner. Ou mieux, moderniser la France.
Sans aucun doute, Jacques Chirac a érigé le ni-ni en mode de gouvernance. Toujours à ménager la chèvre et le chou. « Il n’y a pas de vent favorable pour celui qui ne sait où aller ». C’est tout le drame de notre président. Et par, voie de conséquence, celui de la France.
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