Bayrou et la solitude du prophète
Pas de doute : François Bayrou est écouté. Ses idées sont reprises, voire appliquées… par d’autres. Malheureusement, il tente régulièrement et maladroitement d’échapper à la solitude électorale à laquelle le condamne l’habitude d’avoir raison trop tôt…

Dans son numéro du 15 mars 2012, Le Point avait titré sur Bayrou « Le prophète », et cela sans rire. Pour un homme politique, c’est un éloge suprême, inégalable, car les politiques se signalent surtout par leur vision à (très) courte vue et donc par leur médiocrité. La politique à la petite semaine à laquelle nous sommes soumis depuis des décennies en témoigne.
Cependant, ce compliment, ce titre, peut sonner comme une malédiction, comme pour le prophète Jérémie qui, il y a deux millénaires et demi, se faisait déjà vilipender parce qu’il annonçait des événements défavorables et prônait une voie difficile à son peuple.
En démocratie, si le prophète a raison contre tous, ou raison avant tous, il devient inéligible, ou alors aux marges, puisque trop rares sont celles et ceux qui auront le discernement de promouvoir ses idées ou de choisir le chemin étroit du salut et non la voie large de la perdition.
Choisir l’intégrité
Or, il est dans le destin des prophètes de garder leur intégrité, ce qui se paye par une certaine solitude. Mendès-France en fit l’expérience. Jimmy Carter, miraculeusement élu à la Maison Blanche, ne le fut qu’une fois. En littérature, Albert Camus fut marginalisé par l’intelligentsia de Saint-Germain-des-Prés parce qu’il refusait le terrorisme, y compris le terrorisme d’État, ramant alors à contre-courant de la bien-pensance de son époque.
Cette solitude du guetteur, de la sentinelle, doit être assumée, acceptée. Je ne dis pas : cultivée. Cela est inutile : la solitude vient, voire demeure d’elle-même. Pour cela, c’est très simple : il suffit de rester fidèle à ses idées et de ne pas les brader ou les ramollir.
De ce point de vue, Bayrou est tout à fait remarquable. Pour prendre un exemple récent, au sujet de la Syrie, là où Jean-François Copé, après avoir applaudi les discours martiaux de François Hollande, s’est mis à les critiquer dès que le vent eut tourné, Bayrou s’en est tenu à un discours moins manichéen que les autres (ni bellicisme, ni esprit de Munich), appelant nos dirigeants à la plus extrême prudence, et cela avec une constance qui l’honore et lui évite le ridicule dans lequel tant d’autres pataugent. Il ne doit pas dévier de cette ligne.
Or, certains symptômes ne laissent pas de m’inquiéter. Quand Bayrou trouve Fillon fréquentable (ce qu’il semble effectivement être… par contraste avec Copé), comment ne pas s’en offusquer, alors que toute la politique de Sarkozy est passée entre ses mains serviles pendant cinq ans pleins ? Quand Bayrou tente une alliance avec Borloo, celui qui a mangé la soupe sarkozyste, qui tergiverse, qui conclut des accords avec des gens aussi flous, hétéroclites, contestables, éventuellement renégats, que Maurice Leroy ou Hervé Morin, comment ne pas être profondément inquiet ? Et maintenant que MM. Fillon et Borloo, à mots couverts ou découverts, ne semblent plus allergiques au Front National, comment est-il imaginable que le MoDem aille, à la suite de son chef, pactiser, même pour des scrutins ponctuels, avec des leaders qui ont aussi peu de morale et aussi peu de constance ?
On peut se rabattre sur Alain Juppé, homme paradoxal qui, bien qu’ayant été le plus atteint par les rigueurs de la justice, est certainement un des politiciens de droite les plus honorables. Néanmoins, avant de fréquenter Alain Juppé, ne faudrait-il pas attendre qu’il démissionne d’abord de cette ridicule et compromettante association des « Amis de Nicolas Sarkozy » ?
Si je ne reprends toujours pas ma carte du MoDem, c’est à cause de cette hésitation de Bayrou entre la voix prophétique et les alliances avec des politiciens lamentables. Et tant pis si Bayrou a de mauvaises perspectives sur le plan électoral, et tant pis si un destin à la De Gaulle lui échappe.
S’il n’en reste qu’un, que ce soit celui-là
La grande (et amère) victoire de Bayrou, n’est-ce pas de voir que nombre de ses idées lui ont été pompées ? Le redressement productif (malgré son côté grand guignol, Montebourg est quand même un des rares ministres qui se bougent et qui restent globalement fidèles à leur ligne), le « produire en France », l’assurance universelle loyers impayés, entre autres exemples, ne sont-ce pas les fruits indirects des propositions avancées par le MoDem en 2012 ?
J’espère que Bayrou aura l’occasion d’exercer le pouvoir à une place qui reste à déterminer. Cependant, même si cela n’arrive pas, il aura sa place dans l’histoire de notre pays, où sa voix est extrêmement utile. Il est tout de même révélateur de constater que sa présence médiatique est actuellement très supérieure à sa surface électorale, et les émissions où il est invité sont une oasis d’intelligence. Rien ne se perd, tout se récupère.
Il n’est d’autre vrai centre que le MoDem et Bayrou est son prophète.
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