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Bayrou, le désenchantement

En une semaine, François Bayrou a tout perdu ou presque. L’omni-opposant s’est mué en grand perdant. En voulant contrarier le destin funeste qui lui tendait les bras, le leader centriste n’a fait que l’embrasser davantage. Désormais contesté au sein même de sa formation, le président du MoDem paie le lourd tribut d’une campagne bâclée…

La volonté de contrarier un destin

Depuis une dizaine de jours déjà, Bayrou pressentait cette débâcle qu’il avait déjà connue en 1999 contre ce même Daniel Cohn-Bendit. Il savait pertinemment qu’entre son parti et celui d’Europe Ecologie, les courbes de sondage risquaient de s’inverser. Jusqu’alors il s’était plutôt tenu en retrait, laissant à Jean-François Kahn, le soin de défendre le projet européen du Modem. Caricaturé par Cohn-Bendit, François Bayrou avait effectivement la tête ailleurs, à l’échéance présidentielle pour être plus précis.

Sentant la troisième place des Européennes lui échapper, François Bayrou a décidé d’agir et de jouer son va-tout. Mercredi 3 juin déjà dans un discours à la Mutualité, il annoncait la couleur en s’attaquant à François Fillon, ce « garçon  » à la « coiffure si bien ordonnée », pour lequel il avoue avoir eu de la peine à écrire « deux lignes » dans son dernier livre. Au fil des mois, les Français s’étaient habitués à la multiplication des critiques employées par François Bayrou pour stigmatiser la politique de Nicolas Sarkozy. Pour bon nombre de citoyens, celles -ci avaient même une certaine légitimité. Mais en intensifiant cette violence verbale vers d’autres acteurs, Bayrou a heurté les sensibilités.

Le lendemain sur France Inter, il affirmait non sans orgueil qu’entre Robert Schuman et lui, il n’y avait que « deux personnes ». Mais paradoxalement l’héritier de la maison UDF manquait cruellement d’ambition quand il s’agissait de parler d’Europe. Là où Cohn-Bendit osait évoquer son « fédéralisme », là où Ségolène Royal dans son discours de Rezé parlait des « Etats-Unis d’Europe », il avançait du bout des lèvres son projet de « coopérative européenne ». La vérité c’est que François Bayrou a abandonné l’Europe lui préférant sans conteste le terrain de jeu national. Après le succès en librairie de son très bon livre ”Abus de pouvoir“, il a continué sur sa stratégie de dénonciation d’un complot permanent. Il n’est jamais parvenu à s’extirper de ce rôle d’adversaire numéro un de la politique gouvernementale.

“La mort en direct”

Lors de l’émission “A vous de Juger”, François Bayrou est apparu grotesque et nerveux. Il surjouait, se forçant à paraître froid et distant, pour mieux distiller ses attaques dures et acerbes. Il refusa de « tutoyer » Cohn-Bendit pour mieux lui asséner en pleine figure sa soi-disant « connivence » avec le pouvoir en place. La réplique finale et l’accusation de pédophilie sous jacente a parachevé cette mauvaise prestation. Cette attaque préméditée et outrancière choqua l’opinion publique. Pendant que Cohn-Bendit accusait le coup durant quelques secondes devant la violence de la charge, Bayrou jubilait avec un certain sadisme. La classe politique dans son ensemble le condamna unanimement par la suite.

On pourrait disserter longuement sur la véracité de l’attaque du leader centriste. Il est vrai qu’aujourd’hui les écrits de Daniel Cohn-Bendit peuvent prêter à confusion. Mais il est nécessaire de rappeler le contexte de l’époque. B.mode rappelait à juste titre, que « la quête de la liberté sexuelle est passée par des chemins vicinaux souvent tortueux. » Une période qui s’inscrit dans une recherche de repères, de limites. Au nom de la liberté, on allait parfois très loin. Le député des Pyrénées-Atlantiques aurait pu aussi bien rappeler, l’ouvrage “Intolérable intolérance” cosigné par Cohn-Bendit qui prenait la défense d’historiens révisionnistes, au nom de la liberté d’expression.

Dany “le rouge” eût le mérite d’encaisser sans coup férir mais avec suffisamment de tristesse et de recul pour émouvoir son auditoire et avec assez d’aplomb pour pouvoir rebondir. Loin de s’énerver, il appela au contraire à l’unité. François Bayrou, l’homme de l’éternel consensus se voyait désormais chassé sur ses propres terres.

Malheureusement loin de tirer les leçons de cette sinistre soirée, le président du MoDem affirma le lendemain, ne pas être un adepte de la « politique des regrets » et tenta vainement de se positionner comme un défenseur des « droits de l’enfance ». Ridicule…

Le grand perdant

La défaite est sans appel, elle est également lourde de conséquences. Le Modem termine à la 4eme place de ses élections européennes avec 8,5% des suffrages. Aujourd’hui, une alliance avec le Mouvement Démocrate paraît moins indispensable aux yeux du Parti Socialiste. Martine Aubry préférera sans doute s’allier avec Europe écologie, idéologiquement plus proche, qu’avec le Modem…

Les malheurs de François Bayrou ne s’arrêtent pas à cela. En effet, le leader centriste est aujourd’hui contesté au sein même de son parti, qu’il a toujours dirigé en parfait autocrate. Reproduisant au sein de sa formation, ce qu’il reprochait à Nicolas Sarkozy à l’extérieur. Tant que les victoires se sont enchaînées, personne n’a osé contredire ce mode de gouvernance. Mais aujourd’hui, cette défaite sonne le glas de ce silence. Hier soir, tour à tour, Jean François Kahn, Corine Lepage et d’autres se sont succédés pour critiquer les orientations de la campagne. Et l’ancienne ministre de l’environnement d’ajouter qu’il faut « changer la gouvernance, pour aller dans la collégialité…les pouvoirs sont trop concentrés dans les mains de François Bayrou aujourd’hui ». Une réorganisation s’impose sous peine de voir ses troupes déserter.

En tout cas et ce malgré les multiples erreurs de stratégie durant cette campagne, je pense que François Bayrou a très bien saisi l’impact que pouvait avoir les Européennes en vue des élections présidentielles de 2012. Elles devaient servir de tremplin, le but était de prouver que le Modem était l’indispensable barycentre de la scène politique française. La radicalisation du comportement de François Bayrou s’explique par la connaissance de ces enjeux. Voyant sa destinée lui échapper, le leader centriste a perdu son sang froid. Certains diront qu’il a montré son vrai visage, d’autres qu’il n’était plus lui-même. Quoi qu’il en soit, il a vraisemblablement perdu toute chance en vue des élections présidentielles de 2012. Son mea culpa dans un silence marmoréen dimanche soir n’a pas suffit à sauver les apparences, bien au contraire. Le Modem doit désormais se réinventer une Histoire. Le salut de ce parti tiendra dans sa capacité d’émancipation vis-à-vis de son leader. Autant dire que le challenge est de taille…

Article publié sur Reversus


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