Bernard au tapis – La fin d’un symbole de la Mitterrandie
3 octobre 2021 : Bernard Tapie est mort !
A 78 ans et après une agonie très médiatique, le crabe a finalement eu raison de l’homme d’affaires le plus emblématique des années Tonton, icône des golden-boys, du fric c’est chic et de la réussite facile de ces clinquantes et obscènes années 1980.
Que retenir de son parcours atypique, sans tomber dans les clichés éculés de sa success story, entre splendeurs et décadence ?
Une enfance difficile, anticonformiste et hyperactive, forcément.
Gavroche du 20e arrondissement né sous l’Occupation nazie, issu d’un milieu paysan, fils d’ouvrier ariégeois et petit-fils de cheminot, Nanard est taillé dès l’enfance comme un héros à la Zola. Mais tout jeune il a déjà plus le goût du risque et de la débrouille que de l’assommoir. Crooner de charme, pilote de Formule 3, vendeur au porte-à-porte et graine d’innovateur : à 20 ans il fonde avec un ami Cœur Assistance pour fourguer des boîtiers d’alarme aux malades cardiaques.
Après quelques déboires avec la justice (mineurs à l’époque) pour publicité mensongère, l’entrepreneur en herbe se tourne au milieu des années 1970 vers le rachat d’entreprises en faillite. Un créneau qui fera recette, et son succès au cours de la décennie suivante. Hâbleur impénitent et fin manipulateur, le futur molosse du business paillette arrive même à rouler l’empereur Bokassa, en lui rachetant pour un clou symbolique quelques châteaux en pleine affaire des diamants !
Son succès dans le monde des affaires et ses méthodes anticonformistes font grand bruit dans le landerneau politico-médiatique du « Changement » arrivé au Panthéon sa petite rose à la main. Cette image de businessman atypique avec sa gueule de boxeur et ses uppercuts verbaux tranchent singulièrement avec les usages rond-de-cuir et lambrissés des conseils d’administration de l’époque.
Ca tombe fort bien puisque Mitterrand entend clairement enterrer l’Union de la gauche, larguer ses ministres communistes, opérer son grand virage libéral, enterrer le franc et imposer la rigueur. Tout en faisant mine de se rabibocher avec le Grand Capital conspué dans les Congrès du PS mais toujours courtisé en privé. Il faut juste lui donner un visage moderne, jeune, dynamique, et surtout raccord avec les pipeaux toujours en vogue du Changement.
L’homme qui s’est offert Look, Terraillon, La Vie claire, Testut, Wonder, Donnay, avant bien d’autres boîtes moribondes accrochées à son tableau de chasse, est aussi déjà une bête de scène médiatique. Grand Echiquier, 7 sur 7, Champs-Elysées, Grosses Têtes, Gym Tonic, Jeu de la Vérité, il multiplie les émissions populaires dont il surdope l’audience. On se l’arrache partout, les hommes envient sa réussite et son bagou, les femmes le trouvent sexy… Et les conseillers du Sphinx vont vite comprendre qu’ils peuvent en tirer parti pour rehausser la cote d’un pouvoir et d’un Président sérieusement écornée par l’impopularité de la nouvelle politique de rigueur, puis par la cohabitation forcée avec l’ennemi juré, le très impatient Maire de Paris Jacques Chirac.
Un capitaliste et un homme d’affaires de gauche, issu d’un milieu modeste, un self-made man qui n’a fait ni HEC ni l’ENA, au pedigree fulgurant, à la réussite insolente, qui tutoie les chefs d’Etat, parle comme les gens de la rue et comprend la souffrance des smicards, c’est inespéré !
En plus c’est un grand sportif, un gagnant, qui aime les défis et sports populaires, leurs rituels et leurs icônes : Tour de France, OM, Adidas : rien ne lui échappe.
Et c’est le grand pape des années Mitterrand, fils de pub et artisan de la victoire de 1981, auteur du fameux slogan La France tranquille, Jacques Séguéla en personne, qui célébrera en 1987 le mariage contre-nature entre la Mitterrandie et Nanar le rebelle, pourtant perçu à l’époque comme proche du RPR. Malgré son cancer caché et son impopularité, Tonton souhaite se représenter en 1988, et compte bien profiter de l’image d’un Nanard hyper populaire et au sommet du succès.
Un people de taille introduit à la Cour au milieu d’une floppée d’intellos de gauche, de pseudos philosophes, de pisseurs de copie, de cinéastes engagés, de vedettes du show-biz et de stars de variété.
Les succès politiques sur le terrain du dauphin sont mitigés. Mais son match de boxe en direct face à Jean-Marie Le Pen sur le plateau de TF1 nouvellement privatisée lors d’un débat sur l’immigration en 1989 restera dans toutes les mémoires. 1-0 pour le poulain « sévèrement burné », selon la formule consacrée des Guignols.
L’annonce en 1992 de sa promotion comme Ministre de la Ville dans l’éphémère gouvernement Cresson, confirmée dans le gouvernement Bérégovoy en 1993, fera grincer beaucoup de dents. Surtout parmi les énarques qui voient d’un mauvais œil ce trublion sorti du caniveau leur faire la morale et leur voler la vedette à l’Elysée. Mais Nanard délivrant la bonne parole mitterrandienne dans les quartiers, ça plait tellement à Télérama et aux bien-pensants !
1993 : Edouard entre à Matignon. Toute la gauche est ringardisée. Une page se tourne : deuxième cohabitation, plus feutrée que la précédente mais fatale pour les apparatchiks. Nanard fait partie des victimes. Désormais ce sont les affaires à répétition qui tiendront le haut du pavé au cours de la décennie. On le verra moins faire le malin dans les talk-shows ou chez Drucker, et plus à la Une des gazettes pour ses condamnations en série.
Ne tirons pas sur l’ambulance, puisqu’aujourd’hui la France est en deuil et pleure le grand héros testostéroné de sa jeunesse. Pour un rappel des faits, voire la nécro dans Challenges ou Les Echos.
Pourtant le bouillonnant Tapie résistera longtemps aux juges, aux condamnations, aux humiliations aux attaques, aux moqueries. Y compris venant de ses anciens amis du sérail mitterrandien, qui se défoulent comme un seul homme sur le favori déchu.
Il mettra même en scène ses propres déboires et sa descente aux enfers, politique, économique, morale et même physique. Ses faillites comme naguère ses fortunes. Ses rebondissements et ses rechutes, comme après l’affaire du Crédit Lyonnais. Allant même jusqu’à faire l’acteur, écrire son autobiographie, parler de la prison, du cancer qui le ronge, et filmer quasiment le dernier acte de sa vie.
Une forme de narcissisme et d’exhibitionnisme, obsessionnel jusqu’à l’obscénité, que certains jugeront parfaitement indécent, et d’autres tellement romantique. Le sursaut d’un gosse des rues qui depuis toujours voulait se faire aimer et remarquer. Et auquel beaucoup peuvent facilement s’identifier.
Tapie laissera sûrement son nom dans l’Histoire et ne laissera personne indifférent. Associé à jamais aux fastes et à la déconfiture du Pharaon Mitterrand, à ses ambiguïtés et fourberies, ses duperies et louvoiements dont le Sphinx était coutumier.
Bye bye l’artiste et Tchao pantin !
Séguéla, Collaro, Line Renaud et autres dinosaures à plumes lui auront survécu. Sans doute pour peu de temps encore. Bientôt les saltimbanques de l’ère Mitterrand pourront se retrouver pour souper ensemble loin des paillettes et près des étoiles.
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