Bilan des propositions du comité Balladur
Le comité sur la modernisation des institutions françaises, présidé par l’ancien Premier ministre, a rendu son rapport au président de la République le lundi 29 octobre. S’il n’envisage aucunement une véritable transformation de la Ve République, il propose un certain nombre de réformes, pour la plupart modérées, mais dont les conséquences possibles ne doivent pas être sous-estimées.
Le comité Balladur a rendu ses conclusions. Elles n’appellent pas à une révolution constitutionnelle mais personne à vrai dire ne l’attendait de sa part, ne serait-ce qu’en raison des divergences de vues entre ses membres. Le comité a centré ses réflexions autour de trois axes : la clarification et l’encadrement du pouvoir exécutif ; l’amélioration et le renforcement du pouvoir législatif ; les droits des citoyens. Il propose un certain nombre de réformes, qui portent généralement sur le texte de la Constitution lui-même.
Pouvoir exécutif : l’impossible délimitation
L’une des tâches principales du comité était de clarifier la répartition des pouvoirs entre le président de la République et le Premier ministre. La question paraissait inextricable : le système politique français est à géométrie variable et, même si le quinquennat présidentiel réduit la possibilité d’une cohabitation, il ne l’élimine pas pour autant. Le pouvoir du président et sa relation avec le Premier ministre dépendent entièrement de la majorité qui existe à l’Assemblée nationale. Le comité Balladur a été contraint de reconnaître que le système politique de la Ve République rend impossible la délimitation précise des compétences respectives des deux chefs de l’exécutif.
Le comité a tout de même suggéré une modification du texte constitutionnel : il propose de mentionner que le président "définit la politique de la nation" tandis que le gouvernement la "conduit" (alors qu’il "détermine et conduit la politique de la nation" actuellement). Cette formulation peut laisser penser que le président se voit reconnaître tout le pouvoir de décision tandis que le gouvernement est ravalé au rôle de simple exécutant. En réalité, elle aurait un impact virtuellement nul. En temps normal, le président détient déjà tout le pouvoir exécutif, qu’il ne fait au fond que déléguer aux ministres. En temps de cohabitation, on imagine difficilement qu’il puisse influencer un gouvernement hostile en invoquant ce pouvoir de "définition".
La direction des forces armées, en revanche, est confiée plus clairement au président de la République.
Revalorisation du Parlement : l’éternel retour de la question
La revalorisation du Parlement est l’un des principaux serpents de mer institutionnels de la Ve République. On ne compte plus le nombre de fois où tel ou tel personnage politique a annoncé la fin du "temps des godillots". On ne compte plus le nombre de fois où ces déclarations ont été démenties par les faits. 45 ans plus tard, le Parlement ne s’est toujours pas remis du coup terrible que lui a porté Charles de Gaulle et il ne semble pas devoir le faire dans le futur prévisible.
Le Parlement ne manque pas de pouvoir, comme le comité ne se prive pas de le rappeler. C’est la logique majoritaire qui le réduit à un état de soumission consentie. Changer cet état de fait nécessiterait une réforme constitutionnelle majeure ou l’apparition d’un véritable courage politique chez les députés. Le comité, raisonnable autant que modéré, ne suggère pas l’une et ne s’attend pas à l’autre. Il propose en revanche plusieurs mesures qui augmenteraient la liberté d’action (théorique) du Parlement.
Le comité propose tout d’abord que les assemblées législatives puissent décider de la moitié de leur propre ordre du jour. Actuellement, cet ordre du jour dépend presque entièrement du bon vouloir du gouvernement.
La fameuse procédure de l’article 49-3 (permettant au gouvernement de faire adopter un texte instantanément, sauf vote d’une motion de censure) se verrait limitée aux lois de finances et de financement de la Sécurité sociale. La procédure d’urgence, qui précipite fortement le processus législatif, pourrait être rejettée par le Parlement. En revanche, la procédure du vote bloqué (permettant de faire voter le Parlement sur un texte en ne retenant que les amendements approuvés par le gouvernement) serait maintenue.
Le comité souhaite que le rôle parlementaire de contrôle du gouvernement soit inscrit clairement dans la Constitution et que le suivi de l’application des lois soit plus systématique. Il propose également que la Cour des comptes assiste le Parlement dans cette fonction de surveillance.
Les conséquences de ces diverses mesures dépendront essentiellement de l’usage qu’en feront les parlementaires et il est très possible, sinon probable, qu’elles restent des plus limitées.
En matière de défense, le comité émet une suggestion jusqu’ici peu commentée mais qui transformerait profondément la pratique française en la matière : le Parlement devrait être informé en détail des interventions des forces armées à l’étranger et celles-ci ne pourraient être prolongées au-delà de trois mois que par la loi. Les opérations militaires de la France à l’étranger sont actuellement soumises à un manque de transparence fort peu démocratique et on ne peut qu’approuver le désir du comité d’y mettre un terme.
Par ailleurs, le comité suggère de renforcer les pouvoirs de l’opposition parlementaire (par nature plus portée à faire usage de ses possibilités d’action que la majorité), notamment en ce qui concerne la répartition du temps de parole et la présidence des commissions.
Un travail parlementaire plus efficace pour une loi de meilleure qualité
Au cours des décennies récentes, la qualité des lois votées a connu une sérieuse dégradation. La précipitation et l’insuffisance du travail parlementaire en sont une raison, mais des considérations plus politiques entrent également en jeu. La loi est de plus en plus utilisée comme un outil de communication permettant de répondre aux préoccupations de l’opinion. Une partie importante du rapport est donc consacrée à l’amélioration de la procédure législative.
Le comité propose notamment de soumettre les projets de loi à une étude d’impact préalable, visant à constater que le nouveau texte améliorerait effectivement la législation existante. Le Conseil constitutionnel pourrait rejeter un projet de loi qui ne respecterait pas cette exigence. Cette mesure porterait un coup à la dérive médiatique actuelle, qui voit le gouvernement proposer des lois pour donner le sentiment qu’il agit et non pour améliorer la législation en vigueur. Le gouvernement pourrait cependant la contourner aisément en faisant déposer par un parlementaire une proposition de loi conforme à ses voeux.
Le comité souhaite améliorer la procédure législative elle-même en la transférant essentiellement aux commissions parlementaires. Les commissions, qui verraient leur nombre accru, assureraient l’essentiel de l’examen et de la discussion des textes de loi, disposant pour ce faire d’une période de temps étendue. L’assemblée législative réunie dans son ensemble se chargerait essentiellement du vote définitif.
Le comité considère surtout que la meilleure façon d’assurer un travail législatif de qualité est de faire en sorte que les parlementaires s’y consacrent exclusivement. Le non-cumul des mandats, serpent de mer particulièrement récurrent, a la faveur de l’opinion mais pas celle des parlementaires eux-mêmes (près de la moitié des députés et plus du tiers des sénateurs sont également maires). Les arguments contre le non-cumul sont essentiellement fallacieux, mais cette réforme semble destinée à s’échouer, une fois encore, sur les brisants de l’intérêt très personnel des parlementaires.
Des réformes diverses et ciblées
Certaines des modifications que propose le rapport ne se rattachent pas à un thème général. Le comité a notamment voulu corriger ou modifier les dispositions de la Constitution qui lui semblaient obsolètes ou inadaptées à la société actuelle. Il propose notamment de supprimer l’interdiction pour le président de venir s’exprimer devant le Parlement. Cette interdiction n’existe à vrai dire (tout comme le septennat présidentiel, désormais disparu) que pour des raisons très circonstancielles : il s’agissait, au début de la IIIe République, de circonscrire l’influence du président Thiers. Le comité suggère également l’abolition des grâces collectives, rejoignant sur ce point aussi la position du président Sarkozy, qui s’est refusé à faire usage de ce pouvoir le 14 juillet dernier.
Le comité a aussi entrepris de mieux encadrer les procédures constitutionnelles qui mettent en danger les libertés individuelles. Il s’agit notamment du fameux article 16, dont l’exercice se voit soumis au contrôle du Conseil constitutionnel lorsqu’il dépasse un mois.
Le système des parrainages permettant d’être candidat à l’élection présidentielle serait remplacé par une sorte de pré-élection à laquelle participeraient 100 000 élus locaux. Il serait nécessaire de franchir un certain seuil de suffrages pour pouvoir être candidat. L’effet principal de cette transformation serait probablement de remplacer un démarchage intense par une précampagne tout aussi intense.
D’autres propositions de réformes, trop diverses pour être énumérées dans cet article, portent par exemple sur le Conseil supérieur de la magistrature, le médiateur de la République et les cabinets ministériels.
Des avancées démocratiques, souvent modérées
La période récente a vu l’émergence de revendications visant à conférer plus de droits politiques au citoyen. Ces propositions - souvent populaires - ont été reprises par plusieurs partis, mais sans effet concret jusqu’à présent. Le comité Balladur les reprend dans son rapport mais en les atténuant parfois sérieusement.
L’exemple le plus notable est l’introduction d’une dose de proportionnelle dans l’élection des députés, une idée qui s’est attiré beaucoup de partisans à l’occasion des échéances électorales du printemps dernier. Le comité reprend cette proposition mais, embarrassé d’un souci exagéré de ne pas augmenter le nombre de parlementaires, il la limite au point de lui ôter presque tout intérêt : seuls 20 à 30 députés seraient élus au scrutin proportionnel et les listes devraient franchir un seuil de 5 % pour accéder à la représentation. Il va de soi que ces conditions exclueraient la grande majorité des petits partis, qui devaient pourtant être les bénéficiaires de cette réforme. Porter le nombre de députés élus à la proportionnelle à 50 ou 60 et limiter le seuil à 2 % n’aurait rien eu d’extravagant et n’aurait certes pas empêché la constitution d’une majorité parlementaire stable.
Le comité propose un droit d’initiative populaire mais le soumet à des conditions difficiles à remplir : un référendum ne peut être proposé qu’à l’initiative d’un cinquième des membres du Parlement et d’un dixième du corps électoral. Il était sans doute nécessaire d’associer les parlementaires à la procédure d’initiative populaire afin de garantir la qualité du texte de loi, mais ces conditions font que seul le principal parti d’opposition aura à la fois une raison et les moyens de permettre une telle procédure. La nécessité de faire signer la pétition par 10 % des électeurs garantit que ce droit ne sera que très exceptionnellement utilisé.
Si le comité n’encourage donc guère la démocratie participative, il souhaite par contre une amélioration de la représentation nationale. Celle-ci passerait à la fois par un redécoupage impartial des circonscriptions (on en mesure la difficulté !) et une modification des élections sénatoriales, qui prendraient mieux en compte les populations respectives des collectivités territoriales.
La proposition la plus audacieuse du comité est peut-être l’instauration de l’exception d’inconstitutionnalité. Actuellement, le Conseil constitutionnel ne peut être saisi que par des parlementaires sur une loi qui vient d’être votée. La réforme que propose le comité permettrait à tout justiciable, au cours d’un procès, de contester la constitutionnalité d’une loi qui lui est appliquée (il n’est actuellement possible de contester la validité d’une disposition législative que vis-à-vis d’une convention internationale). Considérant la richesse du préambule de la Constitution et des textes auquel il renvoie (de la Déclaration des droits de l’Homme à la Charte de l’environnement chiraquienne), cette procédure mettrait dans les mains du citoyen une arme potentiellement redoutable.
Il appartient désormais à Nicolas Sarkozy de décider des suites à donner à ces propositions. Il a voulu ce comité et inspiré une partie de ses réflexions. Il fera certainement entrer en vigueur la plupart de ces mesures à l’occasion d’une prochaine réforme constitutionnel. Les quelques réformes les plus ambitieuses et les plus intéressantes risquent cependant de rester confinées aux pages du rapport du comité Balladur.
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