Bipartismes
On a beaucoup dit, dimanche soir, que François Bayrou avait perdu son pari, puisqu’il ne serait pas présent au second tour. C’est faux : non seulement il y est omniprésent, mais en outre son pari ne fait que commencer, à quitte ou double.
Selon Gérard Grunberg, directeur de recherche au Cevipof, une des “Premières leçons du 22 avril” pourrait être “un appel en quelque sorte à un bipartisme durable à condition d’être plus représentatif de la diversité de grande majorité des électeurs français prête à jouer le jeu de l’alternance entre deux grands partis de gouvernement, ce qui est la situation la plus fréquente dans les grandes démocraties.”
Un appel qui restera, d’après Versac, sans réponse tant que les grands partis “se refuseront à une organisation claire de cette expression, qui permette l’inclusion effective, et non le rejet en dehors des tendances du centre”.
Versac a raison de rappeler que notre système politique tend vers le bipartisme ; Gérard Grunberg voit juste, lui aussi, quand il énonce que le Parti socialiste devra bien un jour “faire sa mue et sortir de son isolement au sein du mouvement socialiste européen”.
Reste que le score de François Bayrou, qui peut s’analyser comme un rejet tant de la droitisation de l’UMP que du refus de modernisation du PS, constitue plus pour le président de l’UDF un moyen vers de plus hauts sommets qu’une fin en soi.
Et si la droite républicaine n’a aucune raison, en opportunité, de déserter l’espace idéologique qu’elle s’est récemment réapproprié, que se passera-t-il si le PS ne voit pas - ou refuse de voir ? - que son avenir passe nécessairement par un sérieux toilettage idéologique ? Il n’est pas certain que l’on retombe sur la première hypothèse envisagée par Gérard Grunberg (“la création d’un parti centriste autonome qui pourrait faire obstacle au duopole des deux grands partis”). Le rôle d’arbitre est extrêmement difficile dans le cadre de législatives au scrutin majoritaire, et le soufflé centriste risquerait de vite retomber.
Les deux billets sont fort bien écrits et intelligemment pensés. Ils éludent toutefois, selon moi, un élément important de la discussion : la question ne se pose pas réellement sur le point de savoir si le bipartisme est raisonnablement envisageable dans un futur proche en France. Il s’agirait plutôt de choisir vers quel bipartisme nous voulons aller.
Si, comme le pense Versac, “le PS est un parti qui dispose d’un code génétique fort, d’une identité qui apparaît difficilement comme un élément rasembleur de la gauche”, le bipartisme pourrait bien entrer par la porte dérobée d’une coalition entre un futur “parti démocrate” successeur de l’UDF et ceux du PS qui ont cessé de croire que l’avenir du parti est à sa gauche.
On a beaucoup dit, dimanche soir, que François Bayrou avait perdu son pari, puisqu’il ne serait pas présent au second tour. C’est faux : non seulement il y est omniprésent, mais en outre son pari ne fait que commencer, à quitte ou double.
Si la poussée centriste cède sous la pression conjointe des deux grands blocs du second tour, il aura été à l’origine d’une convulsion électorale nécessaire mais finalement anecdotique avant l’avènement d’un bipartisme classique entre UMP et PS.
Mais si elle survit à cette épreuve de force, les législatives risquent de voir émerger les prémices d’un autre bipartisme, entre une UMP renforcée par le centre droit et une coalition de centre gauche où François Bayrou s’afficherait alors en grand vainqueur de la crise de leadership interne au PS.
Dans ces conditions, on comprend mieux la récente déclaration de Marielle de Sarnez : “Nous ne devons pas donner l’impression que nous nous désintéressons du second tour et que nous sommes déjà passés à l’étape suivante.”
C’est dire que contrairement aux apparences, François Bayrou est le candidat ayant tout à la fois le plus à gagner et à perdre dans la lutte des bipartismes qui s’annonce.
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