Budget 2013 : Comment ayraultiser l’austérité ?
C’est le jeu du ni-rigueur, ni-austérité mais du plus-juste. Pourtant, cette communication politique ne trompe personne. François Hollande s’engage résolument sur les pas de son prédécesseur… mais ses sbires refusent obstinément de l’admettre publiquement.
Le Premier Ministre Jean-Marc Ayrault était l’invité de l’émission (très longue) "Des Paroles et des actes" animée par David Pujadas le jeudi 27 septembre 2012 sur France 2 et avait invité à cette occasion presque tout son gouvernement sur le plateau télévisé.
Le moment politique est crucial puisque ce vendredi 28 septembre 2012, le conseil des ministres adopte le projet de loi de finances pour l’année 2013, soit le premier budget du quinquennat de François Hollande. Il aurait sans doute été plus pertinent de faire cette émission après la présentation du budget et pas avant, mais le conseil des ministres avait été exceptionnellement retardé de deux jours pour cause d’Assemblée générale de l’ONU.
Jean-Marc Ayrault a été égal à lui-même, à savoir pas très "ayraultique", peu dynamique dans son expression même si l’on sent bien qu’il a à cœur de convaincre que son gouvernement va dans la bonne direction. Le problème, c’est qu’il ne l’indique pas clairement et qu’il a atteint Matignon sur un malentendu grave de la campagne présidentielle de François Hollande qui n’a cessé de trompé ses électeurs.
Pour preuve, cette dichotomie entre les discours d’avant et d’après élections. Ainsi, pendant la campagne, Jean-Marc Ayrault s’était bien gardé de dire, comme jeudi soir, qu’il était un social-démocrate (terme la première fois revendiqué par Dominique Strauss-Kahn lors de la primaire socialiste de 2006). Au contraire, à l’instar de François Hollande dans son discours du Bourget le 22 janvier 2012, il s’agissait de désigner l’ennemi, les puissances de l’argent !
Alors, évidemment, pour l’opposition, il y a une certaine "schizophrénie" (je sais le terme impropre) à critiquer le gouvernement et à critiquer le fait qu’il ne tienne pas des promesses irresponsables et déraisonnables. Mais il y a aussi une "schizophrénie" dans ce socialisme de gouvernement depuis 1981. C’est souvent cela lorsque le PS est au pouvoir : il cherche à préserver sa magie de gauche (par le verbe) tout en gérant (mal) comme le ferait un gouvernement de centre droit. La meilleure illustration est la manière dont a réagi (en deux temps) le Ministre de l’Industrie Arnaud Montebourg sur la fermeture de l’usine PSA d’Aulnay-sous-bois.
Sommet de cette "schizophrénie" politique : accepter le maintien des ministres écologistes alors que leur parti s’est clairement opposé à la ratification du TSCG (j’en reparlerai) qui est pourtant l’une des pierres angulaires de la politique gouvernementale. D’ailleurs, rappelons que ce traité européen signé le 2 mars 2012 n’a pas été renégocié (contrairement à une promesse de campagne) et c’est tant mieux, car on ne revient pas sur la parole de la France après un accord entre vingt-cinq pays, la France n’est pas seule au monde ; c’est pour cela que l’UMP et les centristes ont déjà annoncé qu’ils voteraient en faveur de sa ratification alors que c’est beaucoup moins clair dans la majorité parlementaire.
Très habile dans l’emmaillotage des décisions difficiles, Jean-Marc Ayrault affirme que la simple arrivée des socialistes au pouvoir en France aurait fait bouger les lignes en Europe ! Il le justifie en parlant d’un accord pour réinjecter 120 milliards d’euros dans la croissance européenne (cette somme était déjà négociée avant l’arrivée de François Hollande à l’Élysée !) et d’une union bancaire. Il faut être bien franco-français pour ne pas voir que tout ceci n’est qu’illusion pour faire passer la pilule et rester un petit peu crédible malgré des propos de campagne excessifs. Même l’union bancaire est déjà remise en cause récemment par Angela Merkel elle-même. C’est cela l’arrogance française, croire ou faire croire que toutes les décisions européennes ne dépendent que de notre pays et pas des autres (qui ont, eux aussi, leurs propres soucis de politique intérieure).
Le gouvernement refuse en fait de dire qu’il applique l’austérité parce qu’il a peur de le dire. Pourtant, il confirme également la réduction à 3% du déficit budgétaire pour l’année 2013. Et quand il doit bien reconnaître qu’il y a des efforts à réaliser, il les accompagne de l’argument fallacieux d’une plus grande justice.
C’est même presque mensonger quand Jean-Marc Ayrault a le toupet de dire que neuf Français sur dix ne seront pas touchés par une hausse des impôts. C’est faux car le gel du barème de l’impôt sur le revenu engendre mécaniquement une hausse d’au moins 2% de l’impôt sur le revenu, sauf pour les deux premières tranches. Il ne s’agit donc pas de faire payer l’effort par les plus riches (la taxe supplémentaire de 75% sur les "très très riches" ne rapportera que 200 millions sur un effort de 30 milliards d’euros, même pas 1% !) mais bel et bien sur la plus grande partie des Français et en particulier cette classe moyenne régulièrement utilisée comme vache à lait. Qu’il le dise au moins !
Le problème crucial du budget 2013, c’est que si le gouvernement réduit effectivement le déficit chronique, il le fait en augmentant massivement les impôts, pour une raison simple : c’est qu’il augmente massivement les dépenses, et c’est cela qui est complètement déraisonnable. Ainsi, le recrutement de 40 000 fonctionnaires dans l’Éducation nationale dès 2013 est une mesure électoraliste sans intérêt ni pour l’amélioration de la qualité de l’enseignement (la France a déjà le plus fort taux de dépenses par élève) ni pour la revalorisation du statut de professeur, et va augmenter les dépenses de 2 milliards d’euros. Et d’autant plus inapplicable qu’il est déjà difficile de trouver des candidats valables au CAPES et à l’agrégation.
Pourtant, de l’argent, il y en avait à prendre ailleurs. Par exemple, il est très incompréhensible que le budget 2013 n’a pas supprimé les niches fiscales relevant des DOM-TOM, qui permettent à des foyers aisés de ne pas payer d’impôt sur le revenu en investissant dans l’outremer alors que les dispositifs Pons et Girardin n’ont jamais été efficaces dans le développement économique. De même, le taux réduit de la TVA dans la restauration, pourtant si contesté par les socialistes à l’époque de son instauration malheureuse, n’a pas non plus été supprimé. Les lobbies ont-ils eu raison de la volonté gouvernementale ?
Il est faux de dire que seuls les foyers aisés vont payer les 16 milliards d’euros d’effort (10 milliards pour 2013 et 6 pour la loi rectificative de 2012) : les ouvriers, les employés qui font des heures supplémentaires vont gagner en moyenne 100 euros de moins chaque mois à cause de la suppression des exonérations des heures supplémentaires. De même, ceux des salariés qui reçoivent de la participation de leur entreprise perdront également une partie de celle-ci avec la fin de sa défiscalisation (décidée pour dès 2012).
Sans doute que la plus grande erreur de ce budget 2013, c’est de tabler sur une croissance de 0,8% alors que tous les économistes l’évaluent à 0,3% au mieux, ce qui correspondrait à une perte de 5 milliards d’euros (si bien que l’objectif d’un déficit à 3% du PIB risque de ne pas être tenu). La dette en 2013 va atteindre son niveau maximal avec 91% du PIB (les critères de Maastricht, c’était 60% maximum).
Autre dichotomie dans le langage du social-démocrate à Matignon : Jean-Marc Ayrault parle à plusieurs reprises du manque de compétitivité des entreprises françaises, ce qui est un diagnostic pertinent mais que ses prédécesseurs avaient aussi déjà établi. En revanche, il ne va pas plus loin et ne dit pas comment rendre les entreprises plus compétitives en bottant en touche sur les négociations sociales à venir.
À l’issue d’un échange sportif d’une demi-heure avec la jeune et perspicace Nathalie Kosciusko-Morizet, Jean-Marc Ayrault n’a pas du tout été clair sur le futur, et même s’il refuse à le dire, il serait fort probable que le gouvernement augmente la CSG pour 2014 et les années à venir (car le but est encore de réduire le déficit, et il faut bien les trouver, les milliards, ce sont depuis 2011 près de 100 milliards d’euros par an à trouver en cinq ans).
La dichotomie entre l’avant et l’après-élections est également palpable sur les sujets de société. Alors que le candidat François Hollande avait insisté sur le fait qu’il ne diviserait pas les Français (vous vous rappelez, la fameuse tirade "Moi, Président de la République"), le Président François Hollande reste toujours aussi motivé pour faire passer des projets de société qui n’ont aucune urgence et qui vont cliver durablement la société française, comme le droit de vote aux étrangers, le mariage pour les couples homosexuels (j’en reparlerai) ou encore l’euthanasie active.
Sur les sujets de sécurité, il n’y a pas beaucoup de différences non plus avec la politique précédente, notamment avec les expulsions des "Roms" qui continuent (la police nationale fait même "sous-traiter" le problème par des habitants en colère, en leur laissant même la liberté d’incendier les affaires personnelles, comme à la cité des Créneaux à Marseille ce jeudi soir, quand Jean-Marc Ayrault ainsi que Manuel Valls étaient déjà dans les studios de France Télévisions). Même le récépissé de contrôle d’identité est remis en cause.
En définitive, que penser de cette prestation de Jean-Marc Ayrault ? À mon sens, qu’il n’a pas le courage de donner les mots à sa politique d’austérité, que cet emballage verbal, de toute façon, ne trompera personne et sûrement pas à sa gauche, et qu’à l’épreuve du pouvoir, les socialistes apportent à la politique de Nicolas Sarkozy une curieuse saveur de crédibilité.
Aussi sur le blog.
Sylvain Rakotoarison (28 septembre 2012)
http://www.rakotoarison.eu
Pour aller plus loin :
Hollande la farce.
Ayrault demande la confiance.
Gouvernement Ayrault II.
Programme du candidat Hollande.
Cécile Duflot est-elle encore au gouvernement ?
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