C’est la laïcité qu’on assassine
« La seule école libre, c’est l’école laïque ! » Les plus anciens parmi nos lecteurs se rappelleront ce slogan qui a scandé leurs actions répétées pour défendre cet essentiel de notre République, et pour s’opposer à la dévolution de l’argent public aux établissements privés... tout en s’interrogeant, sans doute, sur les événements actuellement en cours dans l’enseignement public où, à travers les manifestations de lycéens et les blocages des lycées téléguidés par des syndicats d’enseignants et une association de parents d’élèves, se pose le problème du respect de la laïcité à l’école et, par là, de l’existence même de l’école laïque.
Pour y voir clair, une fois n’est pas coutume, commençons par lire ou relire l’excellent petit ouvrage de Catherine Kintzler intitulé Qu’est-ce que la laïcité ?, paru l’année dernière chez « Vrin » (librairie philosophique), et notamment les pages 47 à 58 que l’auteur consacre à la « laïcité scolaire » d’où j’extrais les passages significatifs ci-dessous retranscrits.
Après avoir montré que « l’instruction » relève du politique et qu’il appartient à la puissance publique d’en garantir l’homogénéité, le développement et la protection (en particulier par la loi qui permettra de la rendre indépendante des pouvoirs quels qu’ils soient et des groupes de pression), l’auteur poursuit :
« le dernier paradoxe de l’institution scolaire va nous obliger à affiner la théorie de la laïcité en complétant l’articulation simple entre "sphère publique" et "sphère privée" que partagent tolérance et laïcité (...) Si l’association politique est laïque dans son principe, il est aisé de comprendre que la laïcité s’applique à l’école dans la mesure où celle-ci est un organisme relevant de la puissance publique : les maîtres devront s’abstenir d’exercer une influence doctrinale sur les élèves ou de leur imposer une option engageant la croyance ou l’incroyance (...). S’agissant de l’école, on comprend donc que le principe de réserve s’applique aux maîtres. Mais la question se pose au sujet des élèves :
sont-ils à l’égard de l’école dans une situation analogue à celle d’une personne quelconque à l’égard d’un organisme public ? (...) L’espace scolaire est-il un espace civil de jouissance du droit ?
La récente législation (15/03/04) apporte une réponse nette : non, l’école n’est pas un espace de simple jouissance du droit, les élèves y sont astreints à une réserve qu’ils n’ont pas à observer dans l’espace civil ordinaire. (...) L’école, obligatoire, met les élèves en présence de camarades qu’ils n’ont pas choisis. On n’a donc pas le droit de leur imposer une manifestation religieuse ou politique. (...) La laïcité scolaire ne consiste pas à faire défiler les groupes de pression devant les élèves. D’une manière générale, personne ne doit pouvoir se plaindre en mettant son enfant à l’école publique que celui-ci a été contraint de subir une manifestation qu’il désapprouve par ailleurs. En outre, les élèves sont, pour la plupart des mineurs ou côtoient nécessairement des mineurs : leur jugement n’étant pas formé, comment pourraient-ils jouir d’une liberté dont ils ne sont pas les auteurs ? (...) Car les élèves présents à l’école ne sont pas des libertés, mais des libertés en voie de constitution. L’école est une institution productrice de la liberté : on n’y vient pas pour consommer ni même pour jouir de son droit, mais pour s’autoconstituer comme sujet ».
Il aurait fallu tout citer - mais chacun pourra aller de lui-même à la source - car l’analyse ainsi faite de ce que sont l’école et la laïcité à l’école montre, à l’évidence, combien les comportements des syndicats enseignants actuels, de la FCPE, et des pseudo-syndicats de lycéens qui, de manière brutale et minoritaire, imposent, au sein même de l’école, leur pression politique et corporatiste, assassinent, en fait, le principe de laïcité, allant par leur comportement au-devant de ce dont rêvent les forces politiques libérales et européennes dans leur projet de construction de l’espace politique européen censé nous organiser bientôt administrativement, juridiquement, sociétalement, économiquement, en détruisant l’idée de nation et le socle laïc de la République... !
On peut s’insurger contre des restrictions budgétaires frappant les ressources de l’Education nationale : on n’a pas le doit de manipuler les élèves des classes, de s’en servir comme « force de manifestation » (à la place des travailleurs concernés qu’on n’arrive pas à mobiliser) ;
on n’a pas le droit d’imposer sa revendication (toujours discutable : les vrais problèmes de l’Education nationale ne sont pas portés par le manque de ressources financières) par la force des blocages des établissements scolaires ou par la pression permanente sur ceux qui veulent étudier,
on n’a pas le droit de transformer l’école en champ clos de luttes syndicales, politiciennes, corporatistes (ou religieuses, communautaristes, sectaires : ce qui ne manque plus d’arriver) au détriment de l’accès critique au savoir et à la réalisation de l’identité et de l’autonomie de chacun,
on n’a pas le droit de faire entrer le conflit idéologique, social, politique qui secoue en permanence la société à travers ses diversités dans ce qui est le sanctuaire de la connaissance et de la réalisation de la liberté de chacun...
Les enseignants, les parents d’élèves, les groupes de lycéens qui, aujourd’hui, se livrent à cette transformation de l’espace neutre qu’est l’école en un lieu d’affrontement des idéologies, des revendications sociales, des orientations politiques, préparent, en fait, les funérailles du principe essentiel de laïcité à l’école et balisent le terrain de ceux qui veulent tuer la laïcité qui organise notre espace politique et sociétal et en assure le fonctionnement apaisé et égalitaire... Concrètement, en annihilant le principe de laïcité et en dénaturant la finalité de l’école publique, ils assurent le développement d’autres formes d’enseignement soumises aux idéologies, aux religions, aux pouvoirs économiques ou politiques locaux, vers lesquelles se précipitent les parents agressés à travers le sort fait à leurs enfants. Et laissent démunis ceux qui auraient le plus besoin de savoir et de formation, d’heures de travail et de diplômes réels, les élèves fréquentant les « meilleurs lycées » et/ou issus des milieux intellectuellement favorisés ayant - eux - les ressources pour surmonter les obstacles de toutes natures.
Le 23 / 04 / 08
Robert Albarèdes
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