C’est une réforme fiscale ? Non, camarade, c’est une « révolution » !
Forme dominante actuellement en France, du vieux courant social-démocrate, le PS n'hésite pas à présenter sa proposition de réforme fiscale comme une « révolution ». Une réforme fiscale serait surement une bonne chose, mais on aurait quand même pu imaginer des sociaux-démocrates qui, à l'instar par exemple du René Lévesque que chantent les Cow-Boys Fringants, seraient plus modérés dans leurs propos et leurs postures, et plus ambitieux dans leur volonté de transformer le réel.
Les sociaux-démocrates sont plus modérés que les communistes dans la volonté de mettre en commun la richesse et d'égaliser sa possession. Ils sont plus modérés dans le rejet des idées libérales de Smith, qui n'est que partiel chez eux. Et ils sont plus modérés dans la radicalité du changement souhaité de système économique, qui devrait rester à leurs yeux, comme aujourd'hui une économie de marché. On aurait donc pu imaginer des sociaux démocrates préférant quand cela est possible, utiliser le mot de « réforme » plutôt que celui de « révolution ».
Mais les sociaux-démocrates croient quand même comme Marx, que le libéralisme poussé à l'excès conduirait une grande partie de la société dans la misère, l'oppression, et les crises à répétition. Après 40 ans justement de dérèglementations et privatisations, et de montée des effets attendus de cela, on aurait donc pu imaginer des sociaux-démocrates prêts à activer d'autres leviers que l'impôt plus progressif et redistributif, pour résoudre le problème du déficit public, et rendre plus équitable la répartition de la richesse.
Une réforme fiscale n'est pas la seule manière de résoudre un problème de déficit public.
Pour résoudre le problème du déficit public, on peut réduire les dépenses publiques, ou bien augmenter les recettes, en augmentant certains impôts ou bien en relançant la croissance (augmentant ainsi la solvabilité des acteurs privés) ; et on peut encore réformer le système monétaire et financier. Le PS se focalise seulement sur une certaine « maitrise » de nos dépenses et sur l'augmentation de certains impôts, mais il ne souhaite quasiment rien changer au système monétaire et financier actuel de notre pays, et il n'a pas de projet de relance qui soit à la fois crédible et ambitieux.
La monnaie, le droit d'accorder des crédits (et de créer à cet effet de la monnaie), et la gestion de l'épargne, peuvent être institutionnalisés et gérés au jour le jour de diverses manières. La politique monétaire peut faire en sorte qu'il soit plutôt facile pour une entreprise ou l'État, d'obtenir un crédit pour financer un agrandissement de son appareil productif, comme le préconisent les keynésiens, ou bien elle peut comme aujourd'hui, et comme le préconisent les monétaristes (ultra-libéraux), rendre ces crédits plus difficiles à obtenir. Lorsque ces crédits sont plus difficiles à obtenir, une plus grande part de la production est consommée par ceux qui sont intégrés dans l'appareil productif, plutôt qu'investie dans des agrandissements de l'appareil productif, qui eux profiteraient aux chômeurs qui retrouveraient une place dans cet appareil, et à certains possesseurs d'entreprises dont l'entreprise grossirait (ou pourrait être créée). Une telle restriction de ces crédits réduit aussi l'inflation, ce qui profite aux détenteurs de capitaux financiers, qui perdent moins vite leur pouvoir d'achat. Enfin une telle restriction raréfie les capitaux financiers à disposition, et accroit ainsi le pouvoir et le revenu de leurs détenteurs. Le droit d'accorder des crédits peut aussi être plutôt privatisé, comme aujourd'hui et comme le préconisent les ultra-libéraux, ou plutôt socialisé, comme le préconisent quelques économistes, de gauche comme Frédéric Lordon ou Jacques Généreux, ou plus centristes comme Maurice Allais, ainsi aussi que Louis Even, personnage pittoresque, contemporain et compatriote québecquois de Lévesque (dans cette vidéo et dans ce texte il présente ses idées sur ce sujet). Even reprenait lui même les idées du major Douglas, autre personnage original, contemporain et compatriote de Keynes. Plus le système monétaire et financier est privatisé, et plus le montant total des intérêts touchés par les créanciers privés est important. Le système monétaire et financier peut enfin être plus ou moins règlementé. Sa forte dérèglementation actuelle permet encore d'accroitre le rendement des capitaux, notamment en facilitant la spéculation, et en leur permettant de se déplacer là où le cout du travail et l'imposition sont les plus bas. Privatisation et dérèglementation du système monétaire et financier réduisent aussi la possibilité de contrôle par l'État, que les crédits servent bien à financer des agrandissements de notre appareil productif, ou qu'ils sont faciles d'accès pour les entreprises voulant faire de tels agrandissements.
Parmi les réformes ayant privatisé le droit d'accorder des crédits, il y a la loi Pompidou-Giscard de 1973, inscrite aujourd'hui dans le traité européen de Maastrischt, qui interdit à l'État français de disposer lui-même d'un droit de création monétaire pour financer des déficits publics qui peuvent être dus à des investissements occasionnels ou à des situations de crise et plans de relance associés. L'État doit donc s'endetter auprès de créanciers privés, auxquels il doit verser des intérêts annuels, qui s'élèvent en 2008 à 44,5 milliards d'euros (soient 2,3% du PIB français). Étant donné qu'en plus, les créanciers privés, et notamment les banques, n'ont aucune obligation de détenir une partie de cette dette, l'État français devient vulnérable face à eux, qui peuvent décider d'augmenter autant qu'ils le veulent ses intérêts à payer s'ils décrètent qu'il n'est pas un emprunteur sûr. Enfin, les titres de dette publique étant négociables sur les marchés financiers internationaux, et pouvant donc être acquis par des résidents étrangers, le problème de la dette publique devient un problème qui nous engage vis à vis des autres pays, au lieu de ne concerner que notre pays. En 2008, 61,1% de la dette publique est détenue par des résidents étrangers. Est-il normal que le PS n'ait aucune proposition à faire sur ces sujets ?
En plus de sa réforme fiscale et de réformes du système monétaire et financier, le PS pourrait proposer pour résoudre le problème de notre déficit public, un plan de relance ambitieux. Mais selon plusieurs éléments des théories keynésiennes, « multiplicateur keynésien en économie ouverte », et « loi de Thirlwall », il existe une corrélation entre l'objectif de croissance (et donc de réduction du chômage) que se fixerait un gouvernement de la France, et ses objectifs d'augmentation de nos exportations, et de réduction de notre propension à consommer des biens ou services importés plutôt que produits en France. Selon ces éléments théoriques, ces trois objectifs doivent avoir une certaine cohérence les uns par rapport aux autres. Si un gouvernement se fixe un objectif ambitieux de réduction du chômage (et donc de croissance), et s'il peut s'attendre à ce que l'augmentation des exportations ait un rythme moins élevé que la réduction du chômage qu'il souhaite provoquer, alors il doit compenser cette différence de rythme par une réduction de la propension des habitants de France à consommer des biens importés (sinon cela provoque nécessairement un grave déficit de la balance commerciale, et cela affaiblit l'efficacité du plan de relance en regard des moyens financiers qu'il mobilise). Or le reste du monde risque fort de ne pas augmenter grandement sa consommation dans les prochaines années, ou de ne pas beaucoup tourner son surplus de consommation vers la production française, et le PS refuse d'user d'instruments comme une dévaluation ou du protectionnisme douanier, permettant de réduire notre propension à consommer des biens importés. Il est donc impossible que le PS ait sérieusement un objectif ambitieux de relance de la croissance et de l'emploi en France. Par ailleurs, l'observation de son absence de propositions ambitieuses de réforme de notre système monétaire et financier, garantissant mieux que les entreprises de France souhaitant agrandir leur apparail productif trouvent facilement des financements, aurait déjà pu nous suggérer la même conclusion.
Une réforme fiscale n'est pas la seule manière de rendre plus équitable la répartition des richesses.
La réforme fiscale du PS n'est pas seulement à ses yeux, la quasi unique solution au problème de notre déficit (en plus de la « maitrise » des dépenses publiques), elle est aussi sa quasi unique réponse à la montée des inégalités de revenus en France. Il est vrai que le niveau de l'impôt et sa répartition sont l'objet d'un conflit de répartition de la richesse. Mais il existe aussi, en amont et en aval de la redistribution effectuée par l'impôt, de multiples autres conflits de répartition de la richesse.
Deux conflits se cachent d'abord, derrière le niveau du chômage, qui à son tour participe à la détermination de la répartition de la richesse (en amont de l'impôt), puisqu'une personne au chômage a un bien plus bas revenu qu'une personne qui a un travail ou qui possède du capital. Le premier de ces conflits a pour objet les facilités de crédits pour les agrandissements de l'appareil productif, et par là la répartition de l'argent entre investissements, réducteurs du chômage, profitant donc aux chômeurs, et revenus du travail et du capital, revenant à des gens qui sont déjà intégrés dans l'appareil productif. Et le second conflit derrière le niveau du chômage, concerne la possibilité donnée ou non, à ceux qui ne seraient pas concernés par une concurrence sur le côut du travail avec les pays pauvres ou émergents, de profiter du bas coût du travail dans ces pays, en achetant pour moins cher des biens produits dans ces pays, ou en plaçant avec de meilleurs rendements les capitaux qu'ils détiennent dans ces pays. Si cette possibilité est donnée à ces personnes, cela leur profite, mais cela nuit à leurs compatriotes exposés à la concurrence avec les pays pauvres et émergents, qui se retrouvent au chômage.
En amont de la redistribution par l'impôt, et en plus des conflits qui se cachent derrière le niveau du chômage, d'autres conflits existent, plus évidents. Il y a le conflit entre possesseurs des entreprises et salariés, sur la répartition de l'argent gagné par l'entreprise entre revenus du travail et revenus de la propriété de l'entreprise. Il y a le conflit entre les entreprises ou l'État et leurs créanciers, sur les taux d'intérêts ou dividendes qui leurs sont versés. Et il y a le conflit sur les prix entre une entreprise et ses sous-traitants ou fournisseurs.
Et en aval de la redistribution par l'impôt, il y a les conflits sur les loyers entre propriétaires et locataires, et le conflit sur les prix entre entreprises et consommateurs.
Les acteurs engagés dans ces conflits ont entre eux des rapports de force, qui déterminent comment la richesse se répartit entre eux. Face aux bas salaires, aux intérêts et dividendes exorbitants qui sont courants en ces temps de « capitalisme financier », aux loyers, marges et marges arrières excessifs, on pourrait imaginer des manières de rééquilibrer tous ces rapports de force. En faveur des salariés, règlementer le marché du travail, redonner de la force aux syndicats, mettre fin aux pressions à la baisse sur les salaires qu'exercent le chômage et la mise en concurrence avec les travailleurs des pays pauvres et émergents. Réformer le système monétaire et financier, et conduire une politique monétaire dans un esprit plus keynésien, en faveur des entreprises et de l'État face aux investisseurs. Mettre en oeuvre des plans d'urbanisme, ou encadrer les loyers, en faveur des personnes qui veumlent se loger. Introduire des entreprises nationales, ou encadrer les prix, sur les marchés où les entreprises sont en situation de monopôle et peuvent se permettre de faire des marges excessives. Défendre d'une manière ou d'une autre les fournisseurs et sous-traitants qui ont une seule grosse entreprise comme débouché, par exemple en les protégeant d'une concurrence sur le cout du travail avec des fournisseurs et sous traitants de pays moins riches, ou en les aidant à se syndiquer, ou en réglementant les prix, ou en nationalisant partiellement la distribution. Sur tous ces sujets encore, le PS n'a pas de propositions ambitieuses.
Une réforme fiscale serait quand même une bonne chose.
Reste quand même qu'une réforme fiscale serait une bonne chose, comme le montre le livre de Thomas Piketty, Pour une révolution fiscale (c'est lui qui introduit cette idée de donner le nom de « révolution » à une réforme fiscale). Dans son livre et sur un site internet qu'il lui a associé, cet économiste de gauche montre que la proportion du revenu brut payé en impôts augmente d'abord, quand on passe des revenus modestes aux revenus moyens et aisés : de 45% à 48%. Mais cette proportion diminue ensuite quand on passe des revenus moyens et aisés aux 1% de revenus les plus élevés : elle redescend alors à 38%.
Piketty propose ensuite une réforme fiscale qui aurait pour effet de faire en sorte que la proportion du revenu brut payé en impôts augmente avec le revenu. En plus de rendre conforme nos impôts à une certaine idée de la justice, cette réforme aurait aussi quelques effets concrets, assez limités semble-t-il quand même, sur les conditions matérielles du bonheur des français, que sont la prospérité de leur pays et le niveau des plus bas revenus. Cette réforme pourrait, en faisant payer plus les plus riches, augmenter les recettes de l'État, d'une dizaine ou deux de milliards d'euros, voire même plus si ça se trouve. Peut-être suffisamment pour combler le déficit de l'État, qui était en 2008 de 64,2 milliards d'euros, soient 3,3% du PIB français ? On dit quand même aussi que l'État manque aujourd'hui de moyens pour faire certaines choses qu'on attend de lui, ce qui impliquerait qu'une augmentation des recettes ne devrait pas se contenter de combler le déficit. Cette réforme réduirait par contre difficilement les impôts payés par les revenus moyens, et à peine (d'un ou deux pourcents de leurs revenus, voire à peine plus) les impôts payés par les revenus modestes, mais peut-être que ce n'est de toute façon pas l'objectif qu'elle devrait poursuivre.
Pour qu'une telle réforme réussisse, peut-être enfin qu'il y a des conditions qui devraient être réalisées. En plus de décréter que les taux d'imposition sont à tel ou tel niveau, peut-être par exemple qu'il faudrait règlementer les mouvements de capitaux, pour éviter la fuite dans les paradis fiscaux des hauts revenus issus de la production française ou gagnés par des français.
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