Cameroun, grève, violences, est-ce le début de la guerre civile ?
Paul Biya se replie sur les thèmes sécuritaires et identitaires, pour modifier la Constitution, en espérant reconquérir un électorat populaire, déçu par sa politique autant que par son style. M. Biyiti Bi Essam, ministre de la Communication, dans un démenti qui s’apparente à la mauvaise foi, ne croit guère à une "sécurisation" pure et simple de l’action gouvernementale. Pour paraphraser Julien Dray qui disait "Avec Nicolas Sarkozy, il faut se méfier", il faut s’interroger sur les silences de la France, malgré un voyage de du président français au Tchad. Après les tueries de Douala, et les tentacules de la guerre civile qui ne cessent de s’enraciner. Les officiers du commandement opérationnel sont en renfort à Douala depuis ce jour. Le pays entier s’embrase. Sont-ce là les prémices au Cameroun d’une insurrection populaire ?
Et la guerre commença !
Hélas, mille fois hélas, le chef de l’Etat s’est immédiatement employé à démentir, par ses actes comme par ses paroles, cette "haute philosophie" de la politique qui habitait les fondements de la République, la Constitution. Il fournit lui-même l’explication de la défaveur, voire du désaveu, que lui signifient les Camerounais, contestations après contestations. Les politiciens lui ont demandé de respecter la Constitution d’une part, les signaux du désagrément social lui ont été envoyés par les taximen qui sont en grève ce 26 février 2008 d’autre part.
Les plus grands dictateurs, à l’instar de Staline, Castro, Mussolini, croyaient assez à la force du langage pour ne pas se laisser aller à une rudesse de vocabulaire militaire, sans jamais verser dans la saillie incontrôlée, ni le mensonge. En insultant publiquement les faits qui montrent les assassinats par les forces de l’ordre, le chef de l’Etat a confirmé ce sentiment qu’il préside trop mal ses propres troupes et ses partisans pour incarner une présidence sereine et maîtrisée.
La veille déjà, il s’était montré plus poignant sur le terrain de la politique de répression, en interdisant dans la ville de Douala toute manifestation politique. Il avait demandé aux gouverneurs de provinces d’interdire toute réunion publique de l’opposition, mais d’agréer celles qui s’avéraient favorables à la révision de la Constitution. Il laisse ainsi la voie à tous genres de soupçons de tripatouillage. Sous prétexte du maintien de l’ordre public, les lois d’exception de 1962 viennent de ressurgir. Les vieux démons du parti unique sont exhumés. La censure des médias a eu pour conséquence la fermeture d’une télévision privée vendredi dernier, l’arrestation des journalistes, procès contre les journaux privés, etc.
Selon le ministre de la Communication, les citoyens assassinés par les forces de l’ordre sont des pillards et des brigands. Mais, comment peut-on prétendre condamner les violeurs en violant soi-même les institutions, par le non-respect de la Constitution ? Or, c’est bien le sens que veut donner cette extravagante directive présidentielle.
Quelle que soit son insatisfaction personnelle, le président de la République est le garant des institutions. Il est le gardien de l’ordre républicain, en garantissant la concorde nationale, par la paix et le dialogue.
Il donne ici la très dangereuse impression de vouloir passer outre la Cour suprême qui fait office de Conseil constitutionnel, outre le Parlement, outre les partis politiques qui exercent le suffrage universel, outre la société civile, outre la volonté populaire.
Tourves la Camerounaise
Selon Reuters, Au moins quatre personnes ont été tuées à Douala, capitale économique du Cameroun, lorsqu’une grève des chauffeurs de taxi contre la hausse du prix des carburants a dégénéré en émeutes et scènes de pillage, rapportent policiers et témoins. Deux personnes ont été extraites de force de leurs véhicules et battues à mort dans le quartier de Bonaberi, a déclaré lundi un policier souhaitant garder l’anonymat...
Par son coup de force à Tourves, le président français - futur Napoléon III - se maintint à une place qui constitutionnellement devait bientôt lui échapper. Il en est de même de Paul Biya, qui après vingt-cinq ans de pouvoir sans partage, veut se tailler une Constitution sur mesure pour rempiler un autre mandat, en 2011 il sera âgé de 79 ans, donc quasi-octogénaire ! Cette ambition bonapartiste personnelle rencontre dans un pays aux fortunes diverses, un écho mitigé. La peur sociale trahit cette résignation qui tend à s’emparer de l’élite face à un gouvernement qui ne lésine plus sur la terreur pour faire passer ses desiderata. Effrayé par les progrès électoraux, et une prise de conscience collective, il brandit le coup d’Etat constitutionnel à la manière de notre Louis Napoléon, pour lui éviter la justice devant laquelle il aurait à rendre des comptes. Alors que l’opinion nationale adhère à la démagogie présidentielle ou que, résignée, effrayée, elle la subit passivement, il s’ensuit que l’appareil d’Etat (armée, police, magistrature, administration préfectorale) se range totalement du côté du putsch, la résistance se manifeste dans tout le Cameroun. On craint qu’elle ne se transforme, comme en Bourgogne du temps de Napoléon, en une insurrection armée. Donnera-t-on une fois de plus le pouvoir à Paul Biya, au risque de le voir proclamer empereur comme Napoléon en France ou Bokassa Ier en Centrafrique qui conduisirent leurs Etats vers des bérézina ? Alors l’heure n’a-t-elle pas sonné de dire comme Requier en colère - ce cordonnier célèbre qui s’exclamait au nom des citoyens insurgés devant notre Louis Charles Bonaparte obligé de se protéger d’une double haie d’hommes en armes pour prendre la direction de la Commune - “la Constitution ayant été violée, le peuple reprend ses droits” ?
Aimé Mathurin Moussy, Paris
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