Cameroun : La décolonisation dans la violence... en silence
Le 1er janvier 1960, le Cameroun accédait à l’indépendance et s’émancipait, officiellement sans heurt, de la tutelle française. Dans les faits, c’est une tout autre histoire qu’exhument deux chercheurs français. Historiens, politiques et victimes d’une sanglante répression orchestrée depuis Paris témoignent.
La Télévision suisse romande, dans son émission « Histoire Vivante », diffuse un documentaire réalisé par Gaëlle Leroy, membre de Journal du Net(JDN) et Valérie Osouf, Réalisatrice des documentaires et Journaliste, sur une guerre dont on ne parle jamais. Du milieu des années 50 à la fin des années 70, les deux chercheurs démontrent comment la décolonisation du Cameroun s’est faite dans la violence extrême. Une tragédie silencieuse qui aurait fait entre 30.000 et 500.000 morts dans les rangs de l’UPC( Union des Populations du Cameroun), selon le reportage.
Contrairement à l’Indochine ou à l’Algérie, rares sont ceux qui ont eu vent de la tragédie qui s’y est jouée, "comme s’il y avait une chape de plomb sur l’Afrique noire. Au fond, il ne s’est peut-être rien passé parce qu’il n’y a pas d’hommes là-bas. C’est une question que l’on peut vraiment se poser : on ne peut pas faire une tempête dans un verre d’eau parce que des nègres ont été massacrés...", pointe Moukoko Priso, secrétaire général de l’UPC (Union des populations du Cameroun).
Son parti, créé en 1948 par Ruben Um Nyobé, est le principal mouvement d’opposition au sortir de la Seconde Guerre mondiale. Se dressant contre les petits arrangements qui laissent son pays sous la coupe française, ses hommes vont payer un lourd tribut.
Trente mille morts, cinq cent mille, peut-être davantage : les décomptes sont flous, même pour les historiens. En 1952, Um Nyobé part plaider la cause de l’indépendance à la tribune de l’ONU. A Paris, c’est la panique : pas question que cette partie de l’Afrique équatoriale ne bascule dans le camp communiste. L’UPC est dissous. Condamnés à la clandestinité, ses militants sont traqués, torturés, assassinés.
Um Nyobé tombe sous les balles de l’armée coloniale en 1958. Il sera interdit de prononcer son nom au Cameroun jusqu’en... 1991. Haut-commissaire de la République au Cameroun entre 1956 et 1958, Pierre Messmer, décédé depuis, se justifie face à la caméra : "Nyobé faisait régner la terreur. J’ai décidé de lui faire la guerre et de l’éliminer. Il refusait l’autonomie interne, il refusait la démocratie, donc il se mettait hors la loi et il le savait."
Dans l’ombre, la main de la France...
La proclamation de l’indépendance n’a pas signé, loin de là, la fin des combats. En novembre 1960, Félix Moumié, le successeur de Um Nyobé, connaît le même sort : en exil à Genève, il est empoisonné par un agent des services secrets français. Aujourd’hui, sa veuve accuse : "Le général de Gaulle a tué mon mari."
Pendant des années, les indépendantistes de l’UPC sont pourchassés et abattus. Pour le général Pierre Semengue, ancien chef d’état-major de l’armée camerounaise, les choses sont claires : "Une partie de l’UPC n’a pas accepté cette indépendance et a continué la lutte. Cette deuxième rébellion a été combattue par l’armée camerounaise. Encadrée au départ par les officiers français, puis au fur et à mesure par des officiers camerounais."
Pour avoir le champ libre dans la brousse où les maquisards se cachent, l’armée va jusqu’à parquer quatre cent mille civils dans des camps. Comme au Vietnam, du napalm aurait été largué. D’un revers de main, Messmer dément mollement : "Ce n’est pas important..."
Pour ses richesses naturelles, son pétrole et ses forêts, il n’a, semble-t-il, jamais été question de laisser le Cameroun quitter tout à fait le giron français...
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