Canalisez votre énergie M. Sarkozy
Lorsque François Fillon déclare vouloir s’attaquer au comportement inacceptable des distributeurs et industriels co-responsables de l’inflation des produits alimentaires (hausses de 5 à 48 % sur des produits de base entre novembre 2007 et janvier 2008) il oublie, et c’est un paradoxe, que nous sommes dans un système libéral où la détermination des prix et des marges est libre depuis 1986. Chaque commerçant ou industriel peut donc déterminer ses prix comme bon lui semble sans en référer à quiconque. Le consommateur-victime ne doit donc rien attendre de "l’opération coup de poing" de pure forme conduite par les services du ministère de l’Economie sinon quelques sommations de pur principe pré-électorales. Cette inflation est liée, en partie, à la hausse des matières premières agricoles qui ont vu leurs cours flamber depuis 2006 : blé 287 %, maïs 148 %, riz 60 %, café 139 %. Deux causes sont couramment admises, les besoins des pays émergents et la spéculation. Or, ce qui est symptomatique, à chaque fois qu’un gouvernement se trouve confronté à un problème économique, c’est sa focalisation sur les conséquences. Jamais sur les causes. Mieux, les causes ayant été créées le plus souvent avec son assentiment, il se trouve donc régulièrement à l’origine du problème.
Avec la loi de 1986 de Pierre Bérégovoy instituant la libre circulation des capitaux, l’ultra capitalisme mondial s’invita avec tambour et trompette dans notre beau pays. Le gouvernement d’alors pensait sûrement, bien naïvement, qu’avec la libération des capitaux le système créerait abondance et prospérité pour tous. Sauf que ses géniteurs anglo-saxons considéraient que charité bien ordonnée commence d’abord par soi-même.
Les fonds de pension et fonds d’investissements, détenteurs de montagnes de cash, s’abattirent donc sur notre économie avec des exigences de rentabilité, chaque année, plus insensées. De 3 % de rendement en 1980, ils exigèrent 10 % dans les années 90, puis 15 % considéré désormais comme un minima. L’actionnariat financier est devenu hyper-prédateur et les entreprises n’ont plus d’autre alternative que de se soumettre à sa loi d’airain. En février 2008, les AGF avec un résultat net de 10 % (1,9 milliard) décident de licencier 2 000 personnes. Idem pour Michelin, avec un bénéfice en hausse de 35 % à 774 millions d’euros, qui supprime 830 postes. La liste est longue, les effets désastreux toujours les mêmes...
Les entreprises se sont donc adaptées en agissant sur les deux variables d’ajustement possible : l’investissement et la masse salariale. Justement les deux moteurs de la croissance... Cherchez l’erreur !
Les conséquences nous les subissons chaque jour : perte de pouvoir d’achat, croissance en berne, délocalisation de la production, précarisation, sous-investissement, chômage, déficits budgétaires et sociaux. Rajoutons à cela la création de monnaie par allocation de crédits orientés vers la spéculation provoquant ainsi l’explosion du marché de l’immobilier créant ainsi des niveaux d’accès à la propriété ou de loyer excessifs. Après avoir ruiné bon nombre de propriétaires américains (2 millions d’Américains ont perdu leur maison en 2007), le spéculateur s’oriente désormais vers des marchés plus prometteurs et plus juteux : les matières premières. Le pétrole a dépassé les 100 dollars le baril, l’or et les matières premières agricoles flambent. La messe est dite !
Le déclin de notre modèle social n’est qu’une des conséquences de l’effrayante gloutonnerie, sans état d’âme et sans fin, de l’actionnariat financier et du spéculateur. Tout le reste n’est que littérature ou mauvais procès.
C’est ce qui permet de comprendre l’inefficacité chronique de toutes les innombrables mesures prises en France depuis vingt ans, tellement innombrables que nous serions bien incapables d’en faire l’inventaire. Mais malgré cela, l’actuel gouvernement, stigmatisé par l’homme qui voulait aller chercher la croissance avec les dents, doit donner l’apparence de la volonté, du dynamisme, de l’efficacité et donc produire. Il crée ainsi de nouvelles mesures qui s’empilent sur les précédentes générant ainsi un indigeste millefeuilles. Il agite de nouveaux hochets. Un exemple ? L’idée lumineuse du travailler plus pour gagner plus. Christine Lagarde, rose de plaisir déclare : "Ca marche ! 500 000 entreprises ont utilisé les heures supplémentaires depuis l’application de la nouvelle loi." Cri de victoire toutefois tempéré par le ministère de l’Emploi qui publie concomitamment une statistique révélant que 3 mois après l’entrée en vigueur de la loi les salariés, dans l’ensemble, n’ont pas travaillé plus et que la durée moyenne de travail hebdomadaire est restée scotchée à 35,6 heures. On nous oppose alors que les bénéficiaires des heures supplémentaires, grâce aux exonérations sociales et fiscales, ont un pouvoir d’achat additionnel qui va alimenter la consommation et donc la croissance. Sauf que les organismes officiels économiques européens ainsi que le FMI estiment la croissance probable du PIB français pour 2008 à seulement 1,5 % alors que le gouvernement tablait, grâce à son plan, sur 2,2 %. L’erreur est humaine, persévérer est diabolique...
Mais affronter le problème à la source du totalitarisme ultra-libéral qui préside à la destinée de l’espèce humaine depuis trente ans comporte quelques risques, sachant que la remise en cause de la "seule voie possible" vous fera passer soit pour un hérétique soit pour un sombre crétin. Tel un divin principe, l’ultra libéralisme ne supporte ni la contestation, ni la contradiction et encore moins de pathétiques illusions : "si vous percevez une lente et sournoise détérioration de votre niveau de vie, ce qui est peut-être réel, dites-vous que le marché est opprimé là où vous êtes." Vade rétro, satanas !
Pourtant, même la BRI, la Banque des règlements internationaux, reconnaît que la répartition des richesses est aujourd’hui totalement disproportionnée : "La part des profits est inhabituellement élevée à présent (sous-entendu la part des salaires inhabituellement basse). En fait l’amplitude de cette évolution et l’éventail des pays concernés n’ont pas de précédent dans les quarante-cinq dernières années."
Cette affirmation est corroborée par Alan Greenspan en personne : "J’ai attendu et j’attends encore quelque normalisation dans le partage du profit et des salaires car la part des salaires dans la valeur ajoutée est historiquement basse, à l’inverse d’une productivité qui ne cesse de s’améliorer."
En France, la part des salaires dans le PIB a baissé de 9,3 % en vingt ans (transfert de 100 milliards d’euros) ce qui a ébranlé tout notre édifice social. Tant que le partage des richesses ne sera pas plus équitable la dangereuse glissade continuera et les mesures ou réformes que l’on nous injectera resteront illusions. Comme si nous arrosions le sable depuis plus de vingt ans et constations, étonnés, que la récolte n’est toujours pas levée !
Et si soudain, lassé par tant de soumission, avec la témérité du blasphémateur défiant le dogme, vous vous preniez, M. Sarkozy, à considérer le mot réforme dans son autre version : "retour à une observance stricte de la règle primitive." Cette interprétation différente vous permettrait d’imaginer un retour aux sources avec la construction d’une économie au service de l’homme. Avec vos talents oratoires et votre pugnacité vous en seriez le plus redoutable des prosélytes. Ne serait-ce pas là une manière plus utile de canaliser et d’employer votre formidable énergie ?
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