Ces barbouzes qui ne connaissent pas la crise
Chez certains, donc, ça commence par une enquête pour vendre un produit en supermarché et ça se termine par l’envoi de mercenaires façon Olive, DynCorp ou Blackwater pour faire plier le paysan commandité récalcitrant. Directement du tortionnaire à l’exploité : à esclaves nouveaux, moyens nouveaux ! C’est le pendant inattendu des ventes du commerce équitable, sans doute. Les groupes paramilitaires ne sont pas faits que pour parader tout habillés de noir. Ni vi ni connu, les affaires peuvent reprendre et le supermarché vendre comme avant. Et la ménagère re-pousser son caddy en ne s’étant aperçue de rien. Evidemment aussi, dans ce milieu où l’on a souvent besoin de gros bras, le recrutement se fait dans les habituels milieux interlopes des militaires démobilisés. Car ces officines ont une autre particularité intéressante : à leur origine, invariablement, il y a un militaire à leur tête. Voire un ancien policier en retraite (à une époque pas si éloignée que ça on partait très tôt en retraite dans ces deux milieux !). C’est d’ailleurs ce qui nous a le plus étonné dans cette enquête, le taux élevé d’anciens militaires à leur direction.
En résumé, une enquête de consommation débutée dans la rue où par téléphone est commanditée par un ancien militaire, qui la revend au prix fort aux supermarchés. Et propose dans la foulée si besoin est de résoudre le problème découvert à la suite de cette enquête. Vous trouvez que les bananes sont trop chères, mais que vous seriez tenté quand même de les acheter à de petits producteurs indépendants à un coût plus élevé encore, et on se retrouve à l’autre bout de la planète avec des paysans équatoriens tentés par le commerce équitable, menacés et malmenés par des mercenaires, au nom d’une multinationale. Ça leur apprendra à vouloir la jouer social, ces gueux ! C’est le nouvel effet papillon économique planétaire. Ça a l’air surréaliste, dit comme ça, mais vous allez constater (amèrement) que c’est la triste réalité qui nous entoure désormais. "L’intelligence économique permet à l’entreprise et à ses dirigeants de mieux maîtriser son environnement afin de ne pas se laisser déstabiliser et ainsi prendre l’ascendant sur ses concurrents." affirme en pince sans rire, sur son site, le cabinet qui a espionné Besancenot : c’est bien de guerre économique qu’il s’agit, à part que dans "guerre économique" il y a le mot... guerre. Logique alors d’y trouver autant de militaires qui s’en occupent. Enquête sur ce scandale des temps moderne qu’est l’Intelligence Economique, le nouveau nom des espions et des barbouzes à la Georges Lautner.
Olivier Besancenot avait bien été espionné par une entreprise d’Intelligence Economique, et non pas par des "détectives privés" comme on a dû souvent l’indiquer sans trop vérifier. L’agence responsable, Sinypole International, est celle fondée par le détective Dussaucy et ses "contacts", notamment un ancien policier devenu responsable de sécurité chez Veolia (cité par le Monde). L’agence elle-même est géré par Gérard Dussaucy, un ancien des... RG. Yves Bertrand, sur la sellette aujourd’hui, doit se souvenir de lui, logiquement ! Selon le patron de Taser France, qui avait commandé une enquête, ce qu’on lui a apporté était... trop précis. "Mon impression intime est que je suis tombé dans un traquenard qui cache des choses beaucoup plus graves" dit-il aujourd’hui. On croît rêver en entendant le commanditaire se plaindre d’une enquête aussi fouillée, mais bon. On en retient surtout l’idée que des officines ayant pour label "Intelligence Economique" vous auscultent la vie privée sans que personne ne les en empêche. Quelles peuvent être ces "choses graves", sinon un dérive du pouvoir allant jusqu’à utiliser des personnes non répertoriées comme des juges ou des personnes assermentées pour engrosser des fiches individuelles ?? Les "choses plus graves" sont belles et bien à ce niveau : oui, il y a collusion entre un pouvoir devenu paranoïaque et ces officines douteuses. On est bien dans le schéma du Homeland Security à la française. Les barbouzes nouvelles existent bel et bien, et elles sont d’ordre privées et non plus étatiques, mais aujourd’hui l’état n’hésite pas non plus à faire appel à eux. La boucle est bouclée. On imagine mal à partir de là l’état vouloir les réguler...
L’utilisation dans l’enquête sur Besancenot d’un ancien responsable de sécurité chez Veolia (ex Vivendi Environnement) est symptomatique. Une terrible affaire dont nous vous avions déjà parlé ici, celle d’un cadre de Veolia, Emmanuel Petit, (dont le cas semble avoir été enterré depuis l’arrive de Rachida Dati, ce doit être un hasard) évincé poursuivi jusque dans sa famille est là pour nous rappeler qu’on passe facilement de l’enquête à l’envoi de sbires pour "finaliser l’enquête". Petit avait été menacé à plusieurs reprises et sa femme menacée au cutter par des barbouzes surgies d’on ne sait où. L’enquête est au point mort depuis : on ne peut allaiter et veiller à trouver un juge pour entendre Proglio en même temps, sans doute. On en bien est au stade de la conduite quasi maffieuse d’entreprises, héritée, il ne faut pas chercher plus loin, de la jeunesse de leurs patrons, pour certains d’entre eux. Henri Proglio n’aurait pas fait partie du GUD dans sa jeunesse pour rien. Avec son frangin "ils ont été reçus ensemble à HEC en 1968. Sur le campus, les Proglio se distinguent par leur parti pris politique, façon droite nationaliste. Ils aiment l’ordre, les rapports sociaux carrés et détestent ce Mai-68 de « gauchistes », « cosaques » ou « bolcheviques », en fonction des interlocuteurs" nous rappelle le Nouvel Observateur.. Joli programme. On croirait lire certains de nos posteurs extrêmes ici chez Agoravox.
Parmi leurs conseils, et ceux de pas mal de patrons de grosses entreprises françaises, on retrouve Anne Meaux, celle qui entrouvre la porte à Mittal en France, en provoquant le désastre que l’on sait aujourd’hui, et qui a appuyé de tout son pouvoir de persuasion la nomination de la patronne du Medef. Bref, ces gens là, devenus chefs d’entreprises ou grands communicants, continuent la même politique, qui est celle de la terreur et de l’entreprise brûlée derrière eux. Entre temps, on conseille les princes ou leur vizirs. De la politique, ils sont passés à l’économie, pratiquant derrière eux la politique de Gengis Khan : de combien puis-je me goinfrer personnellement, que puis-je donc ratiboiser, essorer, laminer (une entreprise sidérurgique ?),le reste importe peu. Avant on parlait d’esprit d’entreprise. Aujourd’hui on peut parler d’Attilas véritables et de Huns de la finance. Je ne vois pas désormais la différence : cette sacro-sainte délinquance en col blanc ne vaut guère mieux que la Camora, qui elle, à un sens de l’honneur, même s’il consiste aussi avouons-le à plonger dans l’acide les corps de gamins. On découvre aujourd’hui des bijoux chez Madoff, comme... chez tous les voleurs à la tire. L’homme donnait quelques mois avant des cours sur la sécurisation des marchés, et jouait lui-même au gendarme de la Bourse ! Dans le cas Madoff, le déshonneur est aussi pour la justice US, qui lui fait porter un simple bracelet électronique alors que des noirs, c’est un hasard, promis à l’injection mortelle clament leur innocence au fond de leur cachot depuis parfois vingt ans, voire davantage. Et au cas où ça finirait mal, pour ces délinquants new style, il sera toujours temps de déployer le parachute tissé de fil d’or, voté lors d’un conseil d’administration où la sieste de l’après midi a fait figure de débat houleux (ça ressemble parfois à l’hémicycle du Sénat en effet : le jeton de présence, c’est aussi pour beaucoup un vrai oreiller).
Proglio, l’homme qui palpe 2,1 millions d’euros par an (dixit le Nouvel Obs, 175 000 euros par mois ramenés à 12 mois, soient 1 147 924,75 anciens francs par mois, 100 "patates", comme disaient les Inconnus), est un cas intéressant dans le genre. Et pas seulement pour l’épaule attentive qu’il prête à Rachida le soir de l’intronisation au Fouquet’s de notre président représentant de commerce. Il a aussi un frère jumeau, René... qui n’est autre que le dirigeant de Morgan Stanley France, une banque d’investissements pur, à savoir... sans fonds propres véritables. L’argent sur la comète, la rentabilité au plus vite, quel que soit le coût social : on le voit bien, il y a effectivement un parallèle à faire entre cette haute finance qui s’est développée en dehors de tout bon sens (la banque ne repose sur rien au départ !) et les pratiques de la Camora : obtenir ce que l’on veut par tous les moyens, mêmes illicites, si besoin s’en fait sentir : l’état n’y verra rien, il n’a pas son mot à dire dans la gestion de toute façon ! Hors normes, hors contrôle, hors-la-loi, voilà comment on pourrait résumer aujourd’hui leur incroyable développement ces dernières années : au nom du libéralisme érigé en dogme obligatoire, on leur a laissé tout faire. Tout. Comme pour Jean-Marie Messier, par exemple (qui lui aussi donne des "leçons") : l’ancien supérieur hiérarchique d’Henri Proglio, tiens, ce doit être un hasard de la finance. On ne sait pas si Proglio possède des chaussettes à trous, mais dans sa jeunesse, ce qui l’attirait vraiment c’étaient plutôt... les souliers à clous.
Pour mémoire, la banque qui a fait plonger toutes les autres avec Goldman Sachs est aussi celle qui a racheté le Paris Saint Germain. Ses supporters, on le sait, sont des exemples idéologiques pour la jeunesse française. Ils prônent la même chose que ce que scandait le GUD en 1968. A savoir avant tout la xénophobie et une idéologie réactionnaire (le mot est faible). Trente ans de violences universitaires, ça laisse effectivement des traces. Notamment à Assas, leur fief depuis toujours, où Anne Meaux a sévi en son temps et où ils ont bénéficié longtemps d’une étrange mansuétude de la part des autorités : "6 octobre 1999 ; une quarantaine de militants du GUD forcent les portes de la faculté d’Assas, entament le « Sieg Hiel » (salut nazi) ; crient « à mort les Juifs". Au bout d’une heure ils repartent sans avoir été inquiétés ni empêchés par qui que ce soit. En dépit de nombreux témoignages apportés, Benoît Fleury, leader du GUD qui avait été reconnu en tête du cortège, sera relaxé par le conseil disciplinaire de la faculté pour manque de preuves ! Fleury, surnommé "Lord" dans tous les forums (d’extrême droite), n’a pas cessé depuis de faire la une des journaux . Et le GUD est aujourd’hui bien présent dans la vie politique française, avec Longuet, Devedjian, Madelin, etc... Et Fleury est devenu tranquillement universitaire après avoir brillamment passé son agrégation. Une tête bien faite, dans un corps bien fait : le maniement, le soir, du bâton, en blouson et rangers, ça conserve. Faudra que l’on pense à demander à Devedjian le secret de sa sveltesse...
Parfois, les méthodes utilisées sont telles qu’on ne se pose même plus la question de savoir si ce sont des barbouzes reconverties ou pas. Le Canard Enchaîné, pas en reste question barbouzeries, nous en a dégotté un grâtiné, récemment (dans son numéro du 24 décembre dernier) qui vaut aussi le détour. Pierre Sellier, le patron de Salamandre, autre société d’IE, un "personnage fantasque", selon le Canard, ce qui signifie que l’homme n’hésite pas parfois à tenir d’étranges propos, une société où l’on trouve aussi deux anciens de la DGSE, François Mermet et Michel Lacarrière. Il vient de s’illustrer sur le dossier Atos, dont nous vous reparlerons très bientôt ici je l’espère : son nouveau directeur, Thierry Breton, valant largement le détour à lui tout seul. Parmi les hauts faits d’armes du sieur Sellier, des intimidations bien appuyées à l’encontre d’ Edouard Martin, le délégué syndical CFDT du site Arcelor-Mittal.. !!! Ce monde est bien petit... D’un côté Anne Meaux, de l’autre (ou plutôt du même !) Sellier... Salamandre est aussi mêlée à l’affaire Clearstream selon Bakchich.. Dans ce dossier, Sellier est même décrit comme un "gangster" pur et simple par le commissaire Gayraud.
Bref, les barbouzes, même devenues conseillères en économie (déguisées)... restent des barbouzes !!! Et dans cette ténébreuse affaire Clearstream, on en trouve à la pelle des sociétés d’IE, notamment celle d’Alain Bauer, conseiller présidentiel, qui avait recruté Stéphane Quéré (un connaisseur du milieu, auteur des "bandes criminelles" chez PUF via sa propre entreprise d’IE, AB Associates, pour trouver qui étaient ces fameux espions-mafieux russes décrits dans le dossier. Ce n’est plus une feuille de cigarette entre l’état et les officines, à ce stade. Un proche conseiller présidentiel en dirige une ! Aux dernières nouvelles, AB Associates réalise des "analyses de la délinquance" et en même temps se targue d’y résoudre, car "la sûreté est un métier, elle exige des professionnels,"comme l’indique la page d’accueil de son site. On le croit, pour sûr.
Avec pareils zozos, c’est à se demander si les "collectivités territoriales" qui font appel à ces "enquêtes" ne se font pas berner dans les grandes largeurs. "Mr le maire, des bandes armées sillonnent le soir les rues de vos quartier, nous vous proposons d’y remédier"... la manipulation de la peur, orchestrée par les gouvernements forts, redescendue subrepticement au stade de la gestion des villes par des hommes en cheville directe avec ces gouvernements ! Le Homeland Security à l’américaine, la vision d’un inéluctable terrorisme obligatoire pour permettre tous les abus sur la vie privée et les personnes. Plus il y aura d’agences d’IE et plus il y a aura de caméras dans les rues. Ces agences biaisent toutes le débat : ce sont elles qui remettent les rapports les plus alarmistes aux mairies et proposent dans la foulée d’y remédier. Economiquement, c’est un marché captif. Imparable. Les annonces de découvertes de pains de plastic ou de bâtons de dynamites (vieillis !) dans le centre de Paris sont du pain béni pour ce genre d’agence. Dans la peur, on accepte tout. Ne reste qu’à créer et surtout entretenir cette peur chez les gens, avec des piqûres de rappel si besoin est. Pour l’affaire du Printemps Haussman, la piste barbouzade est en effet à suivre, celle des islamistes ayant vite fait chou blanc. L’intelligence économique veille au grain de son propre tiroir-caisse. Une barbouze de l’IE restant une barbouze... et Bauer, un temps vice-président pour l’Europe de la SAIC (en 1994), peut aisément recevoir haut la main un beau Big Brother Award.
Car la barbouzerie n’a pas fini de se développer : "l’évolution chaotique de l’économie mondiale décuple les besoins opérationnels en information formulés par les entreprise" nous dit l’usine l’Usine nouvelle, façon langue de bois. C’est en fait la chanson de Bashung : la petite entreprise de l’IE a de l’avenir, c’est une évidence : plus la situation économique est instable et plus on va faire appel à elle pour survivre dans cette jungle devenue champ de bataille économique où tous les coups, et surtout les plus bas, deviennent permis. Retrouver les bijoux de Madoff, par exemple. Où les adresses où ils étaient adressés. Des profits gigantesques s’annoncent à l’horizon 2009, car la barbouzerie rapporte, et pas qu’un peu. "Selon Maurice Botbol, directeur d’Intelligence Online et éditeur du « Top 100 de l’intelligence économique », la référence des professionnels, « les vingt principaux cabinets français se partagent un marché de 80 millions d’euros de chiffre d’affaires », en croissance de 15 à 20 % par an. Sept cabinets réalisent 70 % de l’activité, avec un chiffre d’affaires moyen supérieur à 5 millions d’euros". Même propos sur la crise économique devenue un véritable pain béni pour les officines, chez un reconverti de la première heure : sortie de chez Pernod-Ricard comme son maître "Charly" Pasqua, devenu depuis consultant économique, j’ai nommé Alain Juillet. . "Hard Times", comme dit la chanson. Mais pas pour tout le monde. La société de la peur, en ce moment, celle de tout perdre, amène tous les excès totalitaires imaginables.
Bref, chez les barbouzes, c’est simple, on ne connaît pas la crise... bien au contraire ! On proposait pourtant de les contrôler davantage cette année, tiens, au fait. M’est comme d’avis que ça va plonger aux oubliettes, ce vœu pieux signé Miss Homeland Security...plus à même (à MAM ?) de débusquer des étudiants attardés comme étant d’horribles terroristes que de tenter de retrouver les millions perdus dans les marchés publics de Neuilly. Tout en prêtant une oreille fort attentive aux écoutes, qui n’ont jamais été aussi nombreuses en France.. mais ce doit être un hasard, bien... entendu.
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