Ces « voix » qui nous asservissent en douce
Des « voix » enregistrées régissent de plus en plus notre vie et notre quotidien. En tant qu’ethnologue j’ai cherché à en saisir l’impact sur l’évolution de nos sociétés. Et bien, c’est inquiétant... Ainsi qu’en témoigne le spot télévisuel de l’Ump pour les Européennes
Vous avez vu la pub UMP pour les Européennes ?
Les protagonistes parlent tous d’une même voix ! Je veux dire au sens propre ! Hommes, femmes, grands, petits, jeunes, vieux : ils ont tous la même voix !
C’est l’U-NA-NI-MI-TÉ vocale au top du top !
On dirait ces "voix" enregistrées qui, de plus en plus, régissent notre quotidien ! Vous savez, celle des hot-lines, des centres d’appels, des GPS ! C’est pas le top du top ça ? Une Hot-line qui s’empare des esprits et, hop, tout le monde copie-colle la "voix d’en haut" !
Extraordinaire !
Enfin, il y a quand même une grande différence avec les "voix" qui régissent notre quotidien : c’est que la voix UMP qui téléguide son petit monde, au lieu d’être de femme, enthousiaste et juvénile, comme il se doit, est d’homme, donc sérieuse et responsable !
D’autant que, dans ce petit film, la (presque) totalité des premiers possédés par la "voix" sont des hommes ! Les quelques femmes présentes se contentent en gros de répéter en file indienne le "nous" répétitif (hot-line oblige) qui conclut le spot avec cette voix d’homme qui vient d’en haut !
On n’arrête pas le SÈRGORP ("progrès" en verlan) !
Ces "voix" qui nous asservissent en douce.
Plus sérieusement, ce spot reflète une tendance lourde de notre société : son envahissement par des "voix" enregistrées. Or ces "voix" ne sont pas sans conséquences pour chacun de nos concitoyens (opacité et abus sur les factures par exemple) et, plus gravement, pour l’état d’esprit de la société civile dans son entier : l’asservissement.
Le mot semble trop fort ? Et bien, fruit de quelques mois de recherches approfondies, il ne l’est pas (à ce propos, merci de citer "Amada" si vous souhaitez diffuser ces réflexions sous quelque forme que ce soit). Voyons pourquoi.
- Primo : il faut leur obéir.
L’exemple emblématique de ce phénomène est le fameux "tapez sur la touche étoile de votre téléphone" — ou "veuillez taper" légèrement plus courtois — dont je défie quiconque d’affirmer qu’il y a échappé.
- Segundo : il faut leur obéir à tout bout de champ
La multiplication galopante de ces "voix" en a fait un élément incontournable de notre vie quotidienne. Qu’il s’agisse de joindre un service après vente, le standard d’une clinique, un service public ou administratif, votre conseiller à la banque, etc., pour commencer, il faut obéir. Quand je dis "il faut", ceci est radical : pas moyen d’accéder aux dits services autrement. Pour "pointer" au chômage, Pôle-Emploi met aimablement des téléphones à votre disposition. Inutile de vous adresser aux boutiques France-Télécom pour des problèmes de facturation. On vous renverra au centre d’appels… Etc.
Bref, grâce à elles nous avons et sommes en train d’apprendre que pour obtenir, il faut d’abord obéir à la "voix".
- Tercio : il faut leur obéir pour… tout.
En effet, même l’achat est maintenant contaminé.
Certes l’impératif est discret —"obtenez" suivi d’habiles formes en "ant"—, il n’en est pas moins incontournable. Impossible d’obtenir les coordonnées de l’agence qui met le bien en vente, sans d’abord me plier aux exigences de cette "voix".
Conséquence : la subordination comme pratique sociale dominante.
L’exemple ci-dessus montre comment ces "voix" pervertissent le rapport commercial en rapport de subordination.
Pour bien le faire comprendre, je traduis la situation. Des gens vous envoient anonymement de la pub espérant que vous allez leur acheter leur produit. Mais pour, ne serait-ce que pouvoir les joindre, vous devez d’abord, au son de la "voix" autoritaire qui les représente, montrer patte blanche. Autrement dit, un boutiquier, planqué derrière son comptoir exige, via ses sbires (les "voix") que vous décliniez votre identité pour vous autoriser à lui acheter sa camelote. Mais pour qui il se prend ? Et le client, c’est quoi dans l’histoire ? Un mendiant ? Un être servile ?
Je ne sais pas si vous vous rendez compte du danger que représente cette dérive généralisée et invisible qui consiste à apprendre à chacun et à tous à obéir à longueur de journée, et à transformer les rapports sociaux et commerciaux, normalement "horizontaux", en rapports "verticaux" de type dominant-dominé. Si les générations nées avant cet envahissement n’en ont pas, dès l’enfance, pris l’habitude et peuvent donc "savoir" que d’autres types de rapports existent, quid de celles qui sont pour ainsi dire tombées dedans à la naissance comme Obélix dans la potion magique ?
Car c’est bien de cela qu’il s’agit : voilà des années qu’ "on" nous habitue insidieusement à obéir à des tas de "voix" — anonymes, injoignables, intouchables et de plus en plus nombreuses.
Bien qu’il existe aussi, le fameux "Big Brother is Watching You" (on vous surveille de l’œil) ne fait que nous masquer un phénomène beaucoup plus grave : Big Voix Parentale Invisible vous Téléguide les Petits.
Si le spot de l’Ump ci-dessus cité m’a tant choquée, c’est qu’il caricature parfaitement le type de rapports sociaux sournoisement induits par l’usage massif des "voix" enregistrées : l’asservissement de l’individu aux groupes (pour qui du moins est né avant cette nouvelle forme de colonisation des esprits).
Bien sûr, il y a bien d’autres points à soulever concernant ces "voix", mais le principal est dit… et illustré !
A bon entendeur salut !
Amada
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