Chirac et les autres
Le bilan de Jacques Chirac a été largement survendu au cours de ces trois derniers jours. Le quasi unanimisme de la machine à laver médiatique, sous le coup d’une émotion réelle mais loin d’être partagée par tout le monde ne servira pas la vérité sur le bilan de cet homme politique.
L’homme ambitieux
Sans vouloir le qualifier de roi fainéant, comme le fit Sarkozy, il faut bien reconnaître que son bilan est surtout marqué par une ambition, celle de devenir Président de la République, sachant que le poste constitue davantage aujourd’hui l’incarnation d’un roi, d’un guide pour le peuple qu’un dirigeant en capacité d’agir. Son action, malgré les promesses électorales se réduit souvent à peau de chagrin sous les coups de boutoirs du néolibéralisme. En cela, Chirac ne fut ni meilleur, ni pire que tous les autres Présidents depuis les années 80.
Alors, Chirac ? Humain ? Engagé sur certains dossiers, comme le handicap ? Fauve politique ? Roublard ? Truculent ? Amoureux des terroirs ? Hyperactif ? Sympathique ? Gargantuesque ?...
Oui, tout cela est vrai, mais aussi un opportuniste au bilan politique faible et en tous les cas occulté par une image façonnée par lui-même son entourage et les médias.
La machine à laver médiatique
Au cours des hommages hagiographiques distillés par tous les médias aidés en cela par les gardiens du temple chiraquien faisant la tournée des plateaux et faisant la part belle aux séquences d’archives, on en vient presque à regretter que le Président Chirac ne se soit pas occupé du pays dans son ensemble à l‘image de ce qu’il a fait pour la Corrèze ou pour la charcuterie lors de ses passages au salon de l’agriculture.
Bref, on a eu parfois l’impression que les français n’ont pas élu un Président de la République mais un président du Conseil Général.
Le clou du mauvais goût pendant cette période de deuil revient à l’IFOP qui élève Chirac au rang de Président de la République préféré des personnes interrogées, avec de Gaulle… On se prend à douter du jugement des Français, sous le coup de l’émotion sans doute, et on s’interroge sur leur capacité (et sur l’opportunité) à juger deux hommes politiques à 40 ans d’intervalle. On croit percevoir les ravages sur le cerveau de la téléréalité et des réseaux sociaux qui nous incitent à réagir dans l’instant.
C’est vrai que de Gaulle n’était pas très tête de veau et bière et qu’il n’allait pas taper dans le dos des électeurs au bistrot du coin et on ne lui connaissait pas de frasques extra conjugales. C’est vrai également qu’il payait les repas de ses invités privés à l’Elysée. Rien de commun avec Chirac, par conséquent ni sur le comportement individuel, ni sur l’action politique qu’il est difficile de mettre en parallèle, les époques étant différentes.
Sur le plan judiciaire, rien à voir non plus. Pas les moindres incriminations de de Gaulle pour abus de confiance, détournements de fonds publics, prise illégale d’intérêts, bref, vraisemblablement un nain politique pour les personnes sondées…
Bref, c’est la nostalgie d’une France rassemblée avec un type sympa qu’on inviterait bien à l’apéro chez soi qui fait office de bilan.
Quel bilan politique ?
Des intentions, mais peu de réalisation sur le plan intérieur et parfois une absence de sens politique comme la dissolution de l’Assemblée Nationale. L’abandon de réformes controversées sur les retraites ou de la rémunération de jeunes salariés et surtout un second mandat vide alors qu’il avait en main toutes les cartes pour fédérer une France républicaine après les 82 % de voix au second tour de la présidentielle. On notera également l’échec du référendum européen de 2005, (qui s’est traduit par un tour de cochon sarkosyste trois ans plus tard) qui donne une image contrastée de sa politique européenne.
A son actif, des décisions ou des engagements qui ne coûtent rien mais qui font du bien comme le refus de l’engagement du pays dans la guerre en Irak ou bien encore le discours de Johannesburg sur « la planète qui brûle et nous regardons ailleurs ».
Alors, le pire des Présidents ?
Non ! Comme son prédécesseur et ses successeurs, il est allé chercher une légitimité difficile à acquérir sur le plan intérieur à cause du néolibéralisme ambiant, en promouvant une politique extérieure susceptible d’entrainer les Français.
Mitterrand capitula rapidement contre les « puissances de l’argent » et instaura la rigueur dès 1983 et en politique étrangère fit des gestes forts comme celui vis-à-vis de l’Allemagne. Sur la plan personnel, il s’illustra avec sa double vie qu’il s’efforça de masquer, au prix d’écoutes téléphoniques douteuses.
Avec Sarkozy, on allait voir ce qu’on allait voir. Son activisme pro médef et pro mondialisation annonçait des réformes qui se sont crashées sur la crise financière de 2008 provoquée par ceux-là même qu’il prétendait favoriser. Voilà pourquoi, aujourd’hui, les français ont du mal à entendre le mot « réforme » qui se traduit par régression sociale. Il est peu de dire que le raid en Lybie censé protéger notre civilisation ne fut pas compris par le peuple qui a eu tendance à y voir un règlement de compte personnel avec Kadhafi. Avec Sarkozy, nous eûmes droit à la mise en scène permanente de la vie de couple qui fit le bonheur des gazettes et surtout à une rafale de mises en examen en cours consécutive au financement de la campagne présidentielle.
Que dire de Hollande, sinon qu’il s’aligna rapidement sur les thèses néolibérales après avoir proclamé pendant la campagne électorale que « son ennemi c’était la finance » ? Beau résultat, avec les vingt milliards du CICE aujourd’hui pérennisés qui font les beaux jours des actionnaires des entreprises du CAC 40 avides de résultats. Pour le reste, le symbole du Président réunificateur a été obtenu lors des attentats de 2015 et les frasques extra conjugales n’impliquèrent pas d’autres dépenses que celles d’un scooter.
Et Macron dans tout cela ? D’abord des symboles, celui d’un jeune président arrivé au sommet au prix de la trahison de son prédécesseur. Ensuite, une volonté inexpugnable de « réformer » assortie de saillies verbales sur ces allocations qui coûtent un pognon de dingue ou bien encore les ponctions sur les retraités modestes ou la prompte récupérations des bienfaits supposés du CICE instauré par Hollande . Bref, un Sarkozy potentiellement puissance dix… sauf si les français, constatant que la réforme des retraites et de l’assurance chômage vont encore se traduire par une régression sociale et une augmentation des dividendes des actionnaires, ne mettent le holà. La mort de Chirac le jour du lancement du grand débat sur les retraites à Rodez peut ressembler à la malédiction du chat noir. S’agissant enfin de la planète, Macron met en œuvre le principe énoncé par Chirac, c’est-à-dire qu’il incite à regarder ailleurs…, vers l’Amazonie, ou bien en demandant aux jeunes d’aller manifester en Pologne au lieu de balayer devant sa porte, bref, la synthèse parfaite du ni de gauche ni de droite accompagnée d’une dérive autoritaire.
En conclusion, CHIRAC aura été le symbole d’une forme d’immobilisme politique, d’une absence de corpus idéologique, mais un type tout de même franchement sympa et légèrement magouilleur…. Pas le cas de ses illustres successeurs cités dans cet article qui sous couvert d’aimer la France et de la regarder dans les yeux se sont empressés de servir la soupe au Médef et autres lobbies financiers et industriels sans que des résultats sur la vie quotidienne des français s’en ressente, au contraire.
Il ne reste qu’à espérer que les Français, éclairés par l’histoire, arrêtent de répondre aux sondages sous le coup de l’émotion en mettant sur un pied d’égalité De Gaulle et Chirac et prennent enfin en mains leurs destinées.
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