Les mémoires de Jacques Chirac sont sorties aujourd'hui. Critiques envers Nicolas Sarkozy, elles sont saluées par les médias. Mais l'objectif n'est-il pas ailleurs ?
Il est de retour ! Après des mois de silence, des semaines d’inquiétudes sur son état de santé jugé préoccupant, le vieux lion a enfin dédaigné repartir en chasse. C’est une activité que les fauves, jeunes ou anciens, n’abandonnent jamais. La mâchoire serrée, les canines aiguisées et la plume enfin libérée, Jacques Chirac a donc décidé, dans la dernière partie de ses mémoires, d’accrocher une nouvelle proie à son long palmarès. L’animal politique étant au crépuscule de sa vie, ce sera sans doute la dernière mais la plus symbolique et la plus jubilatoire : Nicolas Sarkozy en personne.
Il faut dire qu’entre ces deux-là c’est une vieille histoire. Chirac connaît Sarkozy par cœur. Et inversement. « Nerveux, impétueux, débordant d'ambition, ne doutant de rien et surtout pas de lui-même », ces qualificatifs sont issus de l’ouvrage de l’ancien président de la République. Il y dresse un portrait peu flatteur pour son prédécesseur. Il faut dire que Jacques Chirac a la rancune tenace. Considéré comme son « fils » politique, Nicolas Sarkozy a osé le trahir. A tuer le père. D’une candeur toute enfantine, il s’en étonne ne se souvenant pas qu’il ait fait de même. Du jeune loup prometteur, le bulldozer de Pompidou, au vieux lion encore rugissant, son tableau de chasse est peut-être le plus garni de toute la Ve République. En 1974, c’est lui qui assassine politiquement Jacques Chaban Delmas grâce à l’appel des 43. C’est lui encore, sept ans plus tard, qui abat Valéry Giscard d’Estaing en appelant mollement à voter pour le Président tout en envoyant des consignes inverses dans les états-majors du RPR. Ne parlons pas des hussards de la Chiraquie sacrifiés un à un au fil des années. Ce fut Seguin en 1995, Toubon puis Juppé. La politique est faite ainsi, c’est une sorte de sélection naturelle où l’instinct de survie prime.
Autre reproche fait à Nicolas Sarkozy, l’absence prononcée de son nom lorsque le tout nouveau président prit la parole le soir de sa victoire. Lisons Jacques Chirac : « Le 6 mai 2007, Nicolas Sarkozy est élu président de la République. Nous sommes réunis à l’Elysée ce soir-là avec Bernadette, mon petit-fils Martin, ainsi que l’ensemble de mes collaborateurs, pour entendre la première déclaration du futur chef de l’Etat. Chacun de nous écoute avec la plus grande attention chaque phrase, chaque mot qu’il prononce, guettant secrètement le moment où il citera sans doute le nom de celui auquel il s’apprête à succéder, ou même le remerciera du soutien qu’il lui a apporté. Mais ce moment ne viendra jamais. Pour ma part, je m’abstiens de manifester la moindre réaction. Mais au fond de moi je suis touché, et je sais désormais à quoi m’en tenir ». Jacques Chirac est donc resté ce petit enfant attendant avec impatience son nom et guettant les honneurs, arguant que lui, à son époque, n’avait pas osé méprisrt son prédécesseur. La situation n’était pas totalement la même. D’une part, la France avait affaire à un Président qui après avoir lutté avec courage et persévérance contre la maladie, s’apprêtait à quitter la scène. Définitivement. Ses derniers vœux, en forme d’adieu, avaient ému la France. Il fallait donc pour le nouvel élu avoir quelques mots pour saluer l’un des derniers esthètes de la politique. D’autre part, Chirac pouvait le remercier en raison de son important soutien. Mitterrand, fatigué par deux ans de cohabitation avec un Balladur pédant et las d’un Jospin procédant au droit d’inventaire, avait choisi Chirac. Il lui fit profiter de ses réseaux et lui confia la crème des communicants Jacques Pilhan qui allait lui assurer un succès quasi inespéré. D’ailleurs dans le livre, il tresse des lauriers à son auguste prédécesseur.
Alors pourquoi tant de virulences envers Nicolas Sarkozy. S’il est incontestable qu’il existe un véritable désamour entre les deux hommes, l’ancien jugeant le plus jeune responsable de tous ses ennuis judiciaires (les boules puantes de 1995), tout ce déballage a aussi un côté économique très recherché. En effet, le premier tome avait très bien marché et il avait reporté, nous apprend le Monde daté de jeudi, près de 580 000 € à Chirac qui s’était empressé de les répartir entre sa fondation et celle de Claude Pompidou, dirigée par sa femme … Or la famille Chirac a besoin de faire autant de ventes afin de pouvoir rembourser les 500 000€ qu’elle doit dans l’affaire des emplois fictifs de Paris. Si les premières mémoires de Chirac n’avaient pas brillé par leurs révélations, ni par le style un peu fade voire ennuyeux, elles avaient merveilleusement fonctionné et trustaient les classements des meilleurs ventes. Ces quelques piques et portraits acides devraient permettre au tome 2 de s’arracher comme des petits pains et donc de remplir son (unique ?) objectif : garnir le compte en banque des Chirac.
Bref, le vieux lion a encore les crocs. S’il n’a pas réussi à abattre politiquement Nicolas Sarkozy qui a su résister au mâle dominant mis dans ses pattes, Dominique de Villepin rapidement pendu à un croc de boucher (judiciaire), Jacques Chirac a décidé de l’exécuter littérairement. Mais voilà, Chirac n’ayant pas le verbe et la verve d’un Clemenceau, les propos sont certes acerbes, le ton indubitablement amer, les attaques, elles, ne sont sûrement pas décisives et tout le brouhaha médiatique n’y changera rien : le vieux lion, si populaire qu’il soit, n’est plus roi en sa savane !