Christophe Miqueu, soutien de Jean-Luc Mélenchon : « l’Etat républicain doit garantir la répartition des richesses »
Christophe Miqueu est prote-parole du Front de Gauche en Gironde. Soutien de Jean-Luc Mélenchon, il revient largement sur la campagne, les stratégies électorales, le programme de son candidat pour la France et l'avenir de son mouvement.
Maxence Peigné : On observe un réel engouement derrière la candidature de Jean-Luc Mélenchon, n'y a t-il pas un certain culte de la personnalité paradoxal par rapport à votre programme qui veut rendre le pouvoir au peuple ?
Christophe Miqueu : Pas du tout ! Nous constatons tous, citoyens comme militants, que notre candidat est un tribun digne des grandes heures de la République. On peut cependant constater qu'à aucun moment son nom n'est crié par la foule et que c'est très certainement le candidat à utiliser le plus souvent le « nous ». Il ne cesse de répéter que ce sont les idées qui comptent plus que les personnalités. Notre démarche est collective, elle rassemble plusieurs partis et un grand nombre de citoyens. Le Front de Gauche est en train de devenir un Front Populaire.
MP : Les gens observent tout de même une certaine ambivalence chez Jean-Luc Mélenchon. Il y a quelques zones d'ombres autour de ses déclarations sur Cuba ou le Tibet...
CM : Il n'y a aucune zone d'ombre. Il s'est expliqué là dessus à de nombreuses reprises. Tous les gens honnêtes savent bien que Jean-Luc Mélenchon est un défenseur de la République laïque, démocratique et sociale depuis toujours. Il y a une grande frayeur parmi l'oligarchie politique que notre candidat soit au deuxième tour. Il n'est donc pas étonnant de voir les attaques se multiplier tant à gauche qu'à droite.
MP : Le Front de Gauche pèse environ 15% dans les sondages, il y a cependant peu de chance qu'il ait 15% de députés à l'Assemblée Nationale. Ferez vous un accord législatif avec le PS ?
CM : Cette question ne se pose pas à nos yeux. Nous sommes dans une campagne présidentielle. C'est le choix du peuple souverain dimanche prochain qui déterminera la suite des événements. Nous avons choisi de ne pas avoir d'accord avant les élections contrairement à d'autres. Nous sommes une force politique autonome, nous ne demandons rien à personne. L'objectif principal pour nous, c'est d'être les premiers à gauche dès le premier tour.
MP : Il est donc très peu probable de voir des membres du Front de Gauche dans un gouvernement dirigé par les socialistes...
CM : En effet. A moins que le candidat socialiste ne se mette à valider l'ensemble de nos propositions pour les substituer à son programme socio-libéral. Mais je ne me risque pas à grand chose en disant cela...
MP : Qu'allez-vous faire des cinq années à venir ? Répondrez-vous à l'appel du NPA à organiser une riposte unitaire de la gauche du PS ?
CM : Nous allons continuer la construction du Front de Gauche qui, par définition a vocation à s'élargir et réunir tous ceux qui souhaitent l'unité de cette autre gauche. Une gauche de combat qui ne se résigne pas au capitalisme destructeur. Un grand nombre de militants du NPA était d'ors et déjà présent à nos meetings et il faudra largement se rassembler pour notre mobilisation sociale du 1 mai comme nous avions su le faire pour le mouvement des retraites. Nous ne sommes pas prêts de disparaître, tous les militants qui ont brandis leur drapeau rouge pendant cette belle campagne dynamique ne rentreront pas à la maison au lendemain de l'élection, quelque soit le président élu dans deux semaines.
MP : Le Smic à 1700 euros fait parti de vos principales revendications, une telle hausse soudaine des salaires sera t-elle supportable pour des petites entreprises en difficulté ?
CM : Bien sûr que ce sera supportable ! Et si certaines petites entreprises n'y parviennent pas, nous les aiderons à le mettre en place grâce à une contribution des grands groupes. Mais pour y arriver il faudra changer complètement le logiciel et faire en sorte que le partage des richesses s'adapte à l'ensemble de l'économie. Nous ne pouvons pas continuer comme ça, nous sommes englués dans une vision où tout va vers le capital et rien vers le travail. Cette hausse du Smic -nécessaire si l'on veut que les travailleurs puissent vivre décemment- permettra une politique de relance par la hausse du pouvoir d'achat de telle façon que les entreprises en difficultés pourront sortir la tête hors de l'eau et payer leurs salariés convenablement.
MP : Au delà de 360 000 euros par mois, vous prenez tout. Aucun patron ne se versera un salaire au delà sachant qu'il sera imposé à 100 %. Cette mesure de plafonnement est donc beaucoup plus symbolique qu'autre chose...
CM : En effet. Nous mettons très clairement un plafond pour qu'aucun salaire ne puisse être supérieur à 360 000 euros par an. C'est pour nous un changement de logique, nous partons du principe que l'on peut vivre tout à fait convenablement avec une telle somme sans se poser de question à la fin du mois...
MP : Vous souhaitez le retour à la retraite à 60 ans, combien d'annuités faudra t-il pour pouvoir partir ?
CM : C'est une chose dont il faudra parler avec les partenaires sociaux. Pour ma part, je pense que le pays peut supporter un retour aux 37,5 annuités. Mais ce qui compte, c’est de savoir à quel moment nous commençons à cotiser pour pouvoir être à taux plein à 60 ans. De ce point de vue là, la question des annuités n’est pas la seule à se poser car nous savons qu'à l'heure actuelle, les jeunes rentrent souvent tard sur le marché du travail.
MP : Lionel Jospin, pour qui Jean-Luc Mélenchon a un certain respect, disait en 1999 « l’État ne peut pas tout », c'est vrai ?
CM : Jean-Luc Mélenchon a une véritable loyauté envers ce gouvernement qui a créé la CMU, instauré les 35 heures, et dans lequel il a été ministre. Il a cependant su prendre acte des erreurs commises et nous ne partageons pas cette déclaration de Lionel Jospin qui va à l'encontre de la philosophie la plus profonde du socialisme. Nous avons une autre conception de l’État républicain qui doit pouvoir développer ses services publiques, réorganiser l'économie et mettre en place la planification écologique. C'est à lui de garantir la relance et le partage des richesses.
MP : La France a 1700 milliards d'euros de dette, vous ne souhaitez pas la rembourser dans son ensemble, qui nous prêtera de l'argent si vous passez au pouvoir ?
CM : Nous souhaitons mettre en place un audit public pour savoir quelle part de la dette il est légitime de rembourser et quelle part il ne l'est pas. Pour ce qui est de nos emprunts, nous cesserons de nous financer sur les marchés financiers. Nous créerons un pôle public bancaire, pour pouvoir emprunter au niveau étatique, mais surtout, nous ferons en sorte que la Banque Centrale Européenne soit restructurée pour mettre fin à sa totale autonomie. Il est aujourd'hui inacceptable que des banques privées puissent emprunter de l'argent à la BCE pour ensuite prêter aux états à des taux usuriers. C'est de cela que crève la Grèce et que crèveront d'autres pays européens. La BCE doit pouvoir directement prêter de l'argent aux états à 1 ou même 0%.
MP : Il s'agit de réformes européennes très ambitieuses, Jean-Luc Mélenchon ne cesse de répéter que « l'Europe ne se fait pas sans la France ». Mais elle ne se fait pas non plus sans l'Allemagne... Comment fera t-on pour négocier avec nos partenaires qui ne sont pas du tout sur cette ligne ?
CM : L’Allemagne et la France peuvent échanger sur d'autres bases que la soumission comme c'est le cas actuellement entre Nicolas Sarkozy et Angela Merkel. La politique est un rapport de force. Nous avons d'ors et déjà prévu d'entrer en désobéissance avec un certain nombre de directives européennes que nous jugeons inacceptables. La France est un pays important, sa voix porte, si nous avançons en proposant des choses concrètes, nous serons écoutés.
MP : Le Front de Gauche a une vision assez centralisatrice de la République, il est par exemple pour vous hors de question de ratifier la charte européenne des langues régionales et minoritaires. Saviez-vous que Jean Jaurès commençait tous ses discours en Occitan ?
CM : Nous n'avons pas une vision totalement centralisée, même si un certain nombre parmi nous se retrouve dans la tradition du républicanisme jacobin. Ce thème est discuté au sein de Front de Gauche. Mais ce qui est sûr, c'est que le Français est la langue de la République. C'est par lui que notre vie commune est possible. Nous ne remettons pas en cause les langues régionales comme fait culturel, nous sommes bien sûr favorables à leur l’enseignement de manière optionnelle dans le cadre du service public de l'éducation. Mais nous nous opposons au projet libéral de l’Europe des régions qui vise à mettre en concurrence des territoires et affaiblir le rôle régulateur des États. Pour ce qui est du Parti de Gauche, nous pensons que revendiquer des droits particuliers à une catégorie de la population au nom des différences constitue une atteinte à l’égalité républicaine et c'est en cela que nous ne sommes pas pour la ratification de la Charte européenne des langues régionales
MP : Votre programme comporte de très nombreuses nationalisations ou créations de pôles publics. Suffit-il que l'activité soit contrôlée par l’État pour éviter les dérives ?
CM : La nationalisation est un geste politique particulier qui permet de se réapproprier collectivement un certain nombre de secteurs économiques essentiels pour la Nation, relevant de l’intérêt général. Notre pôle énergétique regroupant Areva, EDF et GDF, par exemple, est central pour l'avenir du pays et la planification écologique si l'on souhaite que les premiers kWh d'électricité soient gratuits pour sortir de la précarité énergétique. La nationalisation est un outil politique qui permet de ne pas laisser entre les mains d’intérêts privés des problèmes relevant d'intérêts publiques.
MP : Les communistes sont historiquement plutôt productivistes, ils votent souvent en faveur de la construction de grandes infrastructures ou de projets jugés peu écologiques. Le Front de Gauche peut-il réellement être écologiste avec les communistes comme composante majeure ?
CM : Le Front de Gauche dans son ensemble a fait tout un travail intellectuel de longue haleine pour montrer combien la conception écologiste était importante du point de vue de l'intérêt de l'humanité. Il a pris conscience de données qu'il ignorait encore il y a 10 ou 15 ans. La crise écologique est profonde et en lien avec la crise économique. Ce problème vient du productivisme, de la rentabilité à court terme et de la loi du profit maximum. Nous avons cependant quelques divergences en interne et le débat est ouvert. Je pense notamment au cas du nucléaire, que nous laisserons trancher par référendum car c'est la seule solution digne d'une véritable démocratie. Ce n'est pas aux partis politiques de prendre cette décision.
MP : Votre programme est très interventionniste. Est-il chiffré ?
CM : Bien entendu, l'ensemble des recettes rapporte 192 milliards d'euros par an, les dépenses, retraite à 60 ans, santé gratuite et Smic à 1700 euros compris, coûtent elles 120 milliards par an. Cela laisse donc une belle marge pour envisager d'autres projets.
Propos recueillis par Maxence PEIGNE
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