Chroniques du voyage de Nicolas Sarkozy à Washington
Quelques impressions à propos du déplacement du président français aux Etats-Unis. Symboles, paroles fortes et communication. Source : www.latribune.fr
Quelques impressions à propos du déplacement du président français aux Etats-Unis. Symboles, paroles fortes et communication. Source : www.latribune.fr
Chroniques du voyage de Nicolas Sarkozy à Washington
1- Un briefing "off" 05/11/07
Où il est question d’une rencontre dont il ne peut rien filtrer...
Vendredi 26 octobre. Un voyage officiel commence souvent plusieurs jours avant sa date effective. Dans le cas présent, c’est par une rencontre avec l’ambassadeur des Etats-Unis en France qu’a débuté, du moins pour les journalistes français, la couverture de la visite de Nicolas Sarkozy à Washington qui doit se dérouler du mardi 6 au mercredi 7 novembre et au cours de laquelle, le président français doit, outre une rencontre avec George W. Bush, notamment célébrer les "retrouvailles franco-américaines" en prononçant un discours devant le Congrès réuni en "joint session", c’est-à-dire avec le Sénat et la Chambre des représentants au grand complet.
De cette rencontre avec l’ambassadeur, je ne vous dirai rien, mais absolument rien car ce fut un "point off", c’est-à-dire une série de questions et de commentaires que les journalistes présents ont eu pour interdiction expresse de reproduire, de mentionner ou d’expliciter.
Impossible donc, pour vous, de savoir ce que nous a dit son Excellence Craig Stapleton à propos des relations franco-américaines et de ce qui était attendu, côté américain, de la visite du président français. Cela n’a rien d’exceptionnel. La pratique du "off" est très courante et les journalistes eux-mêmes ne s’y opposent pas car ils ont besoin d’être briefés pour ne pas écrire par la suite des bêtises. A charge pour eux de trouver le moyen de restituer, tout ou partie, de ce qu’on leur aura dit et cela sans citer l’intéressé (dans le cas présent l’ambassadeur). Le plus souvent, il s’agit de trouver une bonne âme qui accepterait de redire les mêmes choses mais en "on". La pratique du "off" a toutefois un inconvénient majeur : elle renforce l’idée, pour le lecteur, que le journaliste en garde toujours sous le stylo et qu’il ne restitue pas tout ce qu’il sait. Ce n’est pas tout à fait faux mais c’est aussi inévitable.
Bref. Carnet de notes noirci, j’ai donc quitté, en compagnie de quelques autres représentants de la presse hexagonale, la salle de réunion où nous avions pris place durant une bonne demi-heure, s’amusant d’entendre les retardataires poser les mêmes questions que celles auxquelles nous avions déjà pensé. C’est là, dans l’ascenseur et les couloirs de l’ambassade, que j’ai noté la présence de nombreuses décorations d’Halloween. Masques de fantômes, squelettes, sorcières et citrouilles étaient disposés ça et là, ce qui allégeait un peu le caractère solennel des lieux. En passant devant les photographies officielles de George W. Bush, Dick Cheney et Condoleeza Rice, j’ai pensé à chuchoter à l’oreille d’un confrère que ces portraits allaient bien avec le reste des décorations mais j’ai renoncé. Il faut parfois savoir bien se tenir...
2- Un point de presse 05/11/07
Où il est question du programme du président, du dollar et de l’euro et d’une visite historique.
Vendredi 2 novembre. Des journalistes, qui, hélas pour eux, n’ont pas fait le pont de la Toussaint, sont présents au 4 rue de l’Elysée dans la salle où a lieu le point de presse hebdomadaire de David Martinon, le porte-parole de la présidence de la République française. C’est la première fois que j’y assiste, désireux d’en savoir plus sur le programme du voyage officiel de Nicolas Sarkozy aux Etats-Unis. Le porte-parole n’est pas encore arrivé et, en attendant, "l’agenda de monsieur le président de la République du lundi 5 novembre au jeudi 8 novembre 2007" est distribué à des journalistes que l’on encourage aussi à se rapprocher des premiers rangs. Deux caméras balayent déjà la salle.
C’est parti, le futur maire de Neuilly vient de faire son apparition. D’abord le programme de la semaine. Consultations à propos du traité "simplifié" - pour ma part, je préfère parler de Constitution bis, mais on y reviendra... -, anniversaire d’une Cour des comptes désormais bicentenaire et réunion à propos de la grande distribution. Viennent enfin les précisions sur le voyage qui doit "consacrer les retrouvailles entre la France et les Etats-Unis", le président français ayant l’intention de délivrer "un message" au peuple américain lors de son discours devant la "joint session" du Congrès américain, c’est-à-dire en la présence des sénateurs et représentants réunis ensemble sous le dôme du Capitole.
Au programme donc pour le mardi, une rencontre avec le French-American Business Council "qui sera suivie d’une brève allocution". La décoration de plusieurs vétérans américains ayant participé au débarquement de Normandie et à la libération de l’Europe. Une nouvelle rencontre avec, cette fois, Adrian Fenty, le maire de Washington, "symbole d’une Amérique métissée et travailleuse". Suivent ensuite des réunions avec plusieurs organisations religieuses, un dîner à la "state dining room" de la Maison Blanche et un "spectacle court dans l’east room" de la même bâtisse.
Pour le mercredi, et outre le discours devant le Congrès, sont prévues des rencontres avec successivement l’American Jewish Committee, des parlementaires américains membres du "French Caucus", un groupe formé au lendemain de la crise franco-américaine de 2003, et une réunion de travail avec George W. Bush à Mount Vernon, la résidence où, jadis, George Washington se retira "pour cultiver son jardin".
Quelques précisions et autres détails et c’est l’heure des questions. C’est David Martinon qui choisit lui-même celui ou celle à qui échoit le droit de poser la sienne. Et là, déjà, une classification s’opère. Il y a celles et ceux dont le porte-parole connaît les noms, prénoms et médias auxquels ils appartiennent - et qui n’ont donc nul besoin de se présenter - et les autres. Bonne approche. Quand David Martinon désigne nommément tel ou telle journaliste, l’intéressé(e), sans s’en rendre compte, redresse les épaules, se rengorge presque et pose sa question avec le sérieux et le ton affecté qui sied à la personne qui vient de recevoir une telle marque de considération.
Tiens, c’est le tour du représentant d’un quotidien arabe. Il commence à parler, s’oublie un peu, hésite, s’oublie longuement, puis pose enfin deux ou trois questions en rafale. Rires étouffés dans la salle mais le porte-parole y répond avec le plus grand sérieux. Surtout n’indisposer personne. Un confrère de Reuters veut des détails sur le volet économique du voyage de Nicolas Sarkozy (merci l’ami, ça alimentera mon papier). Il aimerait connaître le nom des patrons qui accompagnent le président. "C’est toujours la même chose. Si j’en cite un, je suis obligé de tous les citer", répond l’intéressé. "Au moins ceux du CAC 40", insiste la salle. "Je n’ai pas cette culture économique pour connaître les patrons du CAC 40" est, de mémoire, la réplique. Gosh ! Et moi qui croyais que la culture business était désormais la norme...
Mais voici qu’on parle du dollar, de sa chute et de l’appréciation de l’euro. Un sujet sur lequel la présidence française s’est déjà exprimée, Paris souhaitant, selon Martinon, "une parité harmonieuse et juste" entre les deux monnaies. Fichtre ! Voilà qui vaut bien le "détermination et écoute" à propos des grèves qui s’annoncent pour le 12 novembre prochain.
3- Vol Spécial pour Washington 06/11/07
Le président Nicolas Sarkozy arrive ce mardi à Washington. La presse chargée de couvrir cette "visite de travail de monsieur le président de la république aux Etats-Unis d’Amérique" l’a précédé de quelques heures. Impressions de voyage.
Près de neuf heures de vol, un "goûter", l’apéro, un dîner (saumon, magret de canard et fromage), deux films - La Vie d’artiste (m’ouais) et Permis de mariage ("what a turnip !", autrement dit, "quel navet !") - quelques fortes turbulences et arrivée de nuit sur la base militaire d’Andrews. Un Airbus A310-300 des forces aériennes françaises, vol spécial numéro CMT 0021. Sièges tous remplis, ou presque. Des journalistes, agences, presse écrite, radios, télévisions, photographes et presse étrangère.
"Mais pourquoi une telle différenciation entre nous et les Français ?", me demande une consoeur allemande. Je ne sais pas quoi lui répondre. "C’est la tradition", lui répond un confrère, un brin moqueur. "C’est l’appel de l’Amérique", dit-il encore à une autre journaliste qui s’étonne du nombre important de passagers.
Mais il n’y a pas que les journalistes. Le terme pour désigner les autres passagers est "délégation". Une partie du staff de l’Elysée mais aussi de solides gaillards, cheveux coupés courts, qui parlent d’affectations, de mutations, de missions et qui se demandent mutuellement des nouvelles de tel ou tel collègue perdu de vue depuis qu’il est en Afghanistan ou au Liban. Hum...
L’ambiance est parfois quelque peu dissipée. Rires, coussins rouges qui volent d’une rangée à l’autre. Discussions en petits comités. "Pourquoi une visite aussi courte ?", s’interroge-t-on. "Il paraît qu’il n’aime pas être éloigné de Paris trop longtemps", assure l’un. "Et pour la Chine, ça va être la même chose ?", demande l’autre avant d’expliquer que les dirigeants chinois n’aiment pas trop les visites d’Etat menées au pas de charge.
La composition des pools - cette poignée de journalistes qui
représentent l’ensemble de leurs confrères - est un autre thème de - discrètes
- tractations. Il faut dire que le dîner officiel à la Maison Blanche en vaut
la peine...
A suivre donc, avec l’arrivée aujourd’hui de Nicolas Sarkozy à la base militaire d’Andrews à 14 heures locales (20 heures à Paris). Et, pour les curieux, voici la liste de celles et ceux qui accompagnent le président.
Délégation officielle : Bernard Accoyer (président de l’Assemblée nationale), Bernard Kouchner (ministre des Affaires étrangères et européennes), Christine Lagarde (ministre de l’Economie, des Finances et de l’Emploi), Rachida Dati (Garde des Sceaux, ministre de la Justice), Rama Yade (secrétaire d’Etat chargée des Affaires étrangères et des droits de l’homme), Pierre Vimont (ambassadeur de France aux Etats-Unis), Edouard Guillaud (vice-amiral d’escadre et chef de l’Etat-major particulier), Henri Guaino (conseiller spécial du président), Catherine Pegard (conseiller du président), Jean-David Levitte (conseiller diplomatique du président), David Martinon (porte-parole de la présidence), Cédric Goubet (chef de cabinet du président), Jean-Pierre Asvazadourian (chef du protocole), Frank Louvrier (conseiller communication, chef du service de presse de la présidence), Damien Loras (conseiller technique à la présidence), Patrick Steiger (lieutenant-colonel, aide de camp du président).
Parlementaires : Louis Giscard d’Estaing (député du Puy-de-Dôme, président du groupe d’amitié France-Etats-Unis), Yves Jego (député de Seine-et-Marne), Nadine Morano (député de Meurthe-et-Moselle), Paul Girod (sénateur de l’Aisne, président du groupe inter-parlementaire France-Etats-Unis).
Invités personnels : Laurence Parisot (présidente du Medef), Henri Loyrette (président de l’établissement public du Musée du Louvre), Serge Lemoine (président de l’établissement public du Musée d’Orsay), Richard Prasquier (président du Conseil représentatif des institutions juives de France, Crif), Béatrice Stern, Xavier de Sarrau, Guy Wildenstein, Guy Savoy (restaurateur), Loïc Le Meur, Valérie Hoffenberg (directrice pour la France de l’American Jewish Committee).
4- Nicolas et Rudy seraient-ils jumeaux ? 06/11/07
La presse américaine n’évoque pas encore la visite du président français à Washington. Un article de Newsweek établit toutefois certaines similitudes entre Nicolas Sarkozy et le candidat républicain Rudy Giuliani.
Contrairement à leurs confrères français, les médias américains n’ont, pour le moment, guère consacré d’articles à la visite de Nicolas Sarkozy. Dans le jargon du métier, cela s’appelle des avant-papiers et il est vrai que la presse américaine n’est guère friande de ce genre d’exercice. Ce matin donc, ni le New York Times, ni le Washington Post, ni même USA Today, pas plus que les journaux télévisés matinaux, n’évoquent la "visite de travail" du président français dans la capitale fédérale américaine.
Liste succincte des sujets traités : le temps qui se refroidit sur la côte Est, le second coup d’Etat de Musharaf, "ce dirigeant, dixit Fox News, à qui l’Amérique a tant donné et qui réprime sans pitié les démocrates de son pays" (et dont le coup de force ne semble pas vraiment indigner la Maison Blanche), la grève des scénaristes et metteurs en scènes d’Hollywood, l’immigration clandestine (une obsession du sinistre Lou Dobbs de CNN), la présidentielle de 2008 et bien sûr l’Iran, sans oublier quelques faits divers dont une enseignante de mathématiques poursuivie pour détournement de mineur.
Mais en cherchant bien, on trouve tout de même, dans la presse anglo-saxonne, quelques articles consacrés à la France et à ses relations avec les Etats-Unis. Dans le Financial Times (FT) d’hier, Ben Hall et Daniel Dombey estiment que Nicolas Sarkozy offre une "nouvelle cordialité" aux Etats-Unis mais "sans aucune rupture vis-à-vis de la politique française" à l’égard de ce pays. Pour les deux journalistes, le président français va très certainement recevoir l’un des accueils les plus chaleureux offerts par l’Amérique à un dirigeant français et cela depuis 1777, date du débarquement du marquis de La Fayette venu combattre aux côtés de George Washington contre les Britanniques.
Mais, tout admiré qu’il est par l’actuelle administration, notamment pour la manière dont il tente de changer les relations franco-américaines, le président français va tout de même signifier à ses interlocuteurs son engagement européen y compris en matière de politique de défense. En clair, juge le FT, "Sarko l’Américain" va certainement rappeler qu’il est aussi "Sarko l’Européen".
Autre article, celui de Newsweek qui établit un parallèle quelque peu ironique entre Nicolas Sarkozy et Rudy Giuliani, l’ancien maire de New York, aujourd’hui candidat à l’investiture républicaine pour la présidentielle de 2008. On apprend ainsi que ce dernier admire le président français, qu’il partage avec lui la même défiance à l’égard des impôts et qu’il aurait même lancé "I love France" il y a quelques jours. Du jamais vu dans la bouche d’un républicain qui se gargarise du fait que certains journaux américains présentent Nicolas Sarkozy comme étant "the french Rudy".
Et l’hebdomadaire de relever deux autres points communs. D’abord, les deux hommes ont tous les deux connu un divorce conjugal qui a tenu, c’est le moins qu’on puisse dire, en haleine les médias de leurs pays respectifs. Ensuite, leur capacité à vite s’emporter - comme en témoigne le récent incident entre Nicolas Sarkozy et une journaliste de CBS - n’est désormais plus un mystère. Si, par malheur pour Obama ou Clinton, Giuliani venait à être élu en novembre 2008, on imagine sans peine la paire qu’il formerait avec son alter ego français...
5- Le président français prend l’Amérique dans ses bras 07/11/07
Nicolas Sarkozy a clamé sans complexes son amour et son admiration pour les Etats-Unis. Au passage, il a justifié sa politique d’ouverture.
Il est arrivé, costume bleu sombre, teint hâlé, les patrons franco-américains se sont levés, la presse s’est précipitée. Mardi, à Washington, Nicolas Sarkozy a encouragé le French American Business Council à "se réunir plus d’une fois par an", invitant même ses membres à organiser la prochaine réunion à l’Elysée.
Il y avait du beau monde réuni autour des tables en carré. Les patrons de Legrand, Biomérieux, Alcatel, Bic, Thomson, Google, Publicis, Sodexho, FedEx, Areva, Wendel, Whirpool, Valeo, sans oublier la présidente du Medef. En leur présence, le président français a rodé son discours à destination de l’Amérique. Il aime et admire l’Amérique, "n’a pas compris ce qui s’est passé en 2003", estime que l’on (les Français) peut ne pas être d’accord avec les Américains mais que cela ne doit pas faire oublier que l’on "appartient à la même famille".
Et d’évoquer la "dette éternelle" de la France à l’égard des Etats-Unis. "Le peuple français aime les Etats-Unis. Les élites françaises, c’est autre chose", a-t-il ajouté en déclanchant les rires. Des rires auxquels d’autres ont fait écho, cette fois-ci à la Maison Blanche, lors du dîner officiel : "je suis venu vous dire que l’on peut être l’ami de l’Amérique et gagner les élections en France", a lancé le président, déclanchant l’hilarité générale. Mais du rire à l’émotion, il n’y a qu’un pas et le président français a certainement touché les Américains en assurant que les attentats du 11 septembre 2001 avaient rendu "leur pays plus fort et plus grand". Une phrase qui tournait en boucle hier sur les écrans de CNN et de Fox News.
On l’aura donc compris, Nicolas Sarkozy a, pour reprendre l’expression du New York Times, ouvert ses bras à l’Amérique. Ce qui ne l’a pas empêché de réclamer un geste sur le dollar et une compétition commerciale plus loyale.
Donnant l’impression d’être toujours en campagne, il a aussi, devant les Français résidant à Washington, de nouveau justifié sa politique d’ouverture, louant le courage de Bernard Kouchner, le travail "remarquable" de Christine Lagarde et de Rachida Dati, trio symbole d’une France "qui change, qui est jeune, qui est nouvelle et qui est moderne".
6- Un dîner à la Maison Blanche - 09/11/07
Où il est question de bisque de homard, d’invités tous surpris d’être présents et de problèmes de protocole.
Autant vous l’avouer tout de suite, je ne figurais pas parmi les "happy few". Je veux parler du dîner offert par George W. Bush en l’honneur de Nicolas Sarkozy. Ce fut, à en croire un article du Washington Post (rubrique "Style"), le "triomphe du président français à la Maison Blanche". Je n’étais pas de la partie, non pas par manque de conscience professionnelle mais parce qu’un pool de journalistes avait été désigné pour représenter l’ensemble des journalistes couvrant cette visite de travail. Les pauvres...
Pendant que certains d’entre nous levaient le coude au bar de l’hôtel (le "Mandarin Oriental", non, je ne vous dirai pas le prix de la nuitée), les membres du pool ont juste eu le droit d’assister aux toasts de bienvenue ("Je veux reconquérir le coeur de l’Amérique", a notamment dit le président français) avant d’être confinés dans la salle de presse jusqu’à la fin du dîner. Ils furent ensuite conviés au début du court spectacle donné dans "l’east room" de la Maison Blanche : un dialogue entre La Fayette et George Washington.
Que vous dire d’autre, si ce n’est qu’au menu figurait notamment de la bisque de homard, de l’agneau, du vin de Napa Valley et que le Washington Post, toujours la fameuse rubrique "Style", s’est étonné d’une "liste d’invités parmi les moins bien inspirées", avec des convives venus de la Nouvelle-Orléans, certains des invités s’étonnant même de leur propre présence, l’attribuant à la consonance française de leur patronyme. Il paraît aussi que George W. Bush a accueilli son nouvel ami français par ces mots prononcés dans la langue de Molière : "bienvenue à la Maison Blanche".
Le temps des "french fries" rebaptisées "freedom fries" est donc bel et bien oublié. Il paraît aussi - information qui n’a pas été recoupée - que "Flotus" a failli ne pas être à la même table que "Potus" et Nicolas Sarkozy, et les confrères de conclure qu’il s’agissait, pour le protocole américain, de ne pas embarrasser "Pdlrf" privé, depuis quelques semaines comme chacun le sait, de "Mledpdlrf". Vous ne comprenez goutte à ce que je raconte ? Explications : "Potus", c’est "President of the United States", c’est-à-dire "Dabeliou" en personne. "Flotus", c’est "First lady of the United States", c’est-à-dire l’épouse de George. Je vous laisse le soin de décrypter le reste sachant qu’il n’y a rien à gagner pour ceux qui y arriveront, pas même un abonnement à La Tribune.
7- Un discours au Congrès 09/11/07
Où il est question d’une déclaration d’amour à l’Amérique, d’applaudissements, de "standing ovation" et d’acclamations sélectives de la part des républicains et démocrates.
Nous, je parle des journalistes, sommes arrivés tôt. Nous avons gravi l’illustre colline, fait la queue, puis sommes passés sous un portique détecteurs de métaux, nos affaires scannées par des rayons X. Une fois dans la place, nous avons grimpé deux étages, marché le long de couloirs où circulaient quelques "pages" - les stagiaires dont on a beaucoup parlé il y a quelques mois lors d’une sordide affaire de moeurs - avant de déboucher dans la partie du Capitole réservée à la presse.
Une jeune dame, très directive, nous a alors vite expliqué, "in english", les règles à respecter. D’abord, interdit de s’installer tout de suite dans les gradins qui surplombent la grande salle où Nicolas Sarkozy devait prononcer son discours devant sénateurs et représentants réunis. Ensuite, interdit d’y entrer avec son manteau, son sac, son téléphone portable, son appareil photo, son enregistreur, ses jumelles, et ses tongs (pour cette dernière restriction, je plaisante bien sûr, le reste étant parfaitement véridique).
Nous râlons mais rien à faire, les règles sont les règles. Il reste une heure à attendre avant le grand moment. Dieu merci, est enfin distribué le "discours de monsieur Nicolas Sarkozy, président de la République française devant le Congrès des Etats-Unis d’Amérique". Le texte porte la mention "embargo au prononcé", ce qui revient à dire que seul le discours prononcé fera foi. On s’y met, essayant de voir ce qui peut fournir matière à papier.
C’est dans ces moments-là que je me réjouis d’être journaliste économique car je n’ai pas l’embarras du choix : un passage sur un plaidoyer pour que les Etats-Unis fassent confiance à l’Union européenne, ainsi qu’une exhortation à la participation de l’administration américaine à la réforme de l’ONU, de la Banque mondiale, du FMI et du G8, feront l’affaire (ce deuxième point ne sera finalement pas abordé). Le niveau de stress baisse. Pour les confrères de la presse généraliste, c’est une autre paire de manches.
"Here we go !" La porte des gradins de presse va s’ouvrir. Deux cerbères filtrent, vérifient badges et absence de ce que j’ai énuméré précédemment. Une jeune dame du service de presse de l’Elysée n’a pas son badge. "On ne passe pas", tranchent les deux colosses. Tractations, mettez-vous de côté, lui disent-ils. "Oh, my God !", soupire-t-elle excédée. "Vous avez un problème avec ça ?", lui répond-on. Le ton monte mais pas le temps de m’attarder, les places sont chères. En voici une, bien placée, numéro 24, sur la droite, de façon à bien voir, en diagonale, Nicolas Sarkozy juste en face du camp démocrate.
Je vous passe tous les détails qui ont précédé l’arrivée du président français dans l’hémicycle (arrivée des ambassadeurs, des sénateurs, etc.) pour passer à l’essentiel. Si, juste une remarque : aucun candidat majeur à la présidence de la république n’est présent parmi les sénateurs démocrates ou républicains, tous occupés à battre campagne dans l’Iowa, premier Etat à accueillir des primaires en janvier prochain. Par contre, John Kerry, candidat malheureux à la présidentielle de 2004, est bien présent et, en bon francophone (on sait ce que cela lui a coûté comme voix), se passera d’écouteurs assurant la traduction pendant le discours.
"Standing ovation"
Mais Nicolas Sarkozy fait son entrée. Applaudissements, cris de joie, large sourire barrant la figure du président, poignées de mains, demandes d’autographe. Tiens, étrange, le numéro un français serre la main de manière machinale à Ted Kennedy, sans même le regarder (il fera la même chose après son discours. Ignorait-il le visage de celui dont il allait citer le nom du frère défunt ?). "Bizarre", me dit un journaliste, francophone et francophile, du Washington Times. Autre anecdote, l’un des sénateurs qui a mis le plus d’empressement à saluer notre président n’était autre que Larry Craig, que personne au Sénat ne souhaite désormais croiser aux toilettes depuis son arrestation, pour gestes déplacés, dans les "rest room" d’un aéroport...
Le discours commence. Message majeur : la France est l’amie de l’Amérique. Très vite, viennent les salves d’applaudissements (il y en aura vingt-trois !). Extrait : "les pères [français] ont emmené leurs fils voir les grands cimetières où, sous des milliers de croix blanches, dorment, si loin de chez eux, des milliers de jeunes soldats américains tombés non pour défendre leur propre liberté, mais la liberté de tous les autres, non pour défendre leur famille, leur patrie, mais pour défendre l’humanité tout entière. Voilà pourquoi nous aimons l’Amérique".
Applaudissements couplés à une "standing ovation" (il y en aura huit au total). L’émotion dans les travées est impossible à nier. Même mon voisin américain a la larme à l’oeil. Tiens, une fausse note tout de même. Quand le président cite les rêves de sa génération et qu’il prononce les noms d’Elvis Presley et de Charlton Heston des rires gênés fusent, surtout chez les démocrates.
Le discours se poursuit et les applaudissement aussi. Intéressants ces applaudissements à plus d’un titre, car ils résument bien la politique intérieure américaine. Quand Nicolas Sarkozy dit, "au fond, que demandent à l’Amérique ceux qui l’aiment, sinon d’être toujours fidèle à ses valeurs fondatrices ?", ce sont les démocrates les premiers qui s’enthousiasment. A l’inverse, quand le président français promet - contrairement à ses déclarations de campagne - que "la France restera engagée en Afghanistan aussi longtemps qu’il le faudra", ce sont les républicains qui s’enflamment tout comme ils le feront lorsque sera évoqué le retour possible de la France au sein de l’Otan.
Parfois, les deux camps ne réagissent pas de la même manière. Exemple : "l’Amérique que j’aime, c’est celle qui encourage les entrepreneurs, pas les spéculateurs", assure Nicolas Sarkozy aussitôt acclamé par les démocrates suivis, de manière presque timide, par les républicains. Mais c’est surtout lorsqu’il aborde la question du réchauffement climatique que se matérialise l’opposition entre les deux grandes forces politiques américaines.
Nouvel extrait : "ceux qui aiment le pays des grands espaces, des parcs nationaux, de la nature protégée, attendent de l’Amérique qu’elle prenne, aux côtés de l’Europe, la tête du combat contre le réchauffement climatique qui menace la destruction de notre planète. Je sais que le peuple américain, à travers ses villes et ses Etats, est chaque jour plus conscient des enjeux et déterminé à agir. Ce combat essentiel pour l’avenir de l’humanité doit être celui de l’Amérique tout entière". Et là, mes amis, les démocrates se lèvent d’un bond, poussent des "ho !" et des "yeah !" tandis que certains élus républicains renâclent un peu, quelques-uns, impolis jusqu’au bout, refusant même de se lever.
Voilà, le discours est terminé, le président est parti. Les travées se vident. Mon voisin américain s’essuie les yeux puis me dit, en français, "c’était très ’émotive’ mais bien moins puissant que le discours de Tony Blair". A méditer car, effectivement, l’émotion et les bons sentiments ne suffisent pas toujours à impressionner - durablement - l’Amérique...
8- Conférence de presse Sarko-Bush : the (little) show must go on 09/11/07Un cadre champêtre, une attente dans le froid et quatre petites questions puis s’en vont...
Je pourrais, au fil de paragraphes entiers, vous parler de la beauté de la Virginie en ce début novembre, des couleurs fauves des feuillages, des embrasements carmins des érables, de la puissance tranquille du Potomac et de la douceur de la lumière en début d’après-midi, mais se serait tricher, car j’ai, en d’autres colonnes, déjà célébré l’automne (*).
Je me contenterai donc de vous dire que, mercredi 7 novembre, après avoir assisté au discours de Nicolas Sarkozy au Congrès, nous avons pris la route - convoi de plusieurs bus - pour Mount Vernon, lieu historique où, jadis, George Washington s’est retiré pour cultiver son jardin.
Nous étions encore z-émus par l’ode à l’amitié franco-américaine prononcée par Nicolas Sarkozy mais en arrivant au site (très fréquenté par les touristes, nous a-t-on dit), le "Secret Service" s’est chargé de nous rappeler à la réalité moins prosaïque de ce monde. Fouille individuelle, poêle à frire qui chatouille les aisselles et l’entrejambe, tournez-vous s’il vous plaît, comment allez-vous aujourd’hui, levez les mains, allez par-là, revenez par-ci...
Pour nous prêter à la palpation, nous dûmes abandonner nos sacs sur le trottoir. Interdit de les récupérer avant que les amis de Jack Bauer, chien détecteur d’explosifs tenu en laisse, ne terminent de les inspecter. Et quelle inspection ! Tout objet examiné, ordinateurs sortis, mis en marche puis posés sur le sol. Un journaliste veut-il récupérer son sac ? "Step back !" lui ordonne aussitôt un homme en noir, oreillette bien apparente et grand manteau bien gonflé qui lui vaut le surnom immédiat de Dunlop.
Barda récupéré, nous voici assis bien sagement devant l’honorable bâtisse. Une heure d’attente dans le froid, à regarder les photographes régler leurs appareils commandés à distance ou à observer les différentes phases d’installation de deux chauffages à gaz, placés de part et d’autre de l’estrade ou trônent les deux pupitres avec micros. De quoi penser à Tim Davis, ce photographe américain qui suit la politique de son pays par le prisme de ses à-côtés, en ne photographiant jamais les protagonistes mais les objets et décors qui les entourent (**).
"Trois questions", nous a-t-on soudain prévenus. Trois questions pour la presse française, trois autres pour l’américaine. Pas plus. A charge pour les journalistes de se mettre d’accord. Tractations entre confrères. On choisit l’Irak (que peut faire la France ?), l’Afghanistan (va-t-on envoyer des soldats français à Kandahar ?) et l’Iran (jusqu’à quel point les Américains et les Français sont-ils d’accord ?). Venu aux nouvelles, un conseiller de Nicolas Sarkozy suggère une question sur la politique européenne de défense. Rien à faire, nous gardons nos questions d’autant plus que le chiffre autorisé n’est plus trois mais deux.
Les deux chefs d’Etat arrivent. George W. Bush est détendu, souriant, Nicolas Sarkozy est un peu crispé. Le décalage horaire, sûrement. Poignée de main devant les photographes. Petit speech de George W. Bush, heureux d’accueillir son homologue français, d’avoir évoqué de nombreux sujets avec lui (Kosovo, Iran, Proche-Orient, Afghanistan...). A son tour, Nicolas Sarkozy prononce plusieurs gentillesses, "accueil émouvant", "climat de très grande confiance"...
Pour la première question, la balle est pour l’équipe qui joue à domicile. "Pourquoi les Etats-Unis sont-ils plus durs à l’encontre de la junte birmane que vis-à-vis du général Musharaf ?" Vient ensuite la question française à propos de l’Irak, la journaliste utilisant le mot "bourbier" que ne manquera pas de relever le président Bush... Deuxième salve : "Le discours à l’encontre de l’Iran n’est-il pas aussi responsable de la flambée des prix du pétrole ?" (question américaine) et, tour de force français, car inclus dans la même question "l’importance à venir de la participation française en Afghanistan et l’avenir du Liban".
Inutile que je vous parle des réponses, langage policé, grandes déclarations à propos des principes intangibles, démocratie, liberté pour tous. En bref, rien de bouleversant.
Pas d’autres questions. Bush dit non, terminé. Un journaliste arabe en poste à Washington essaie tout de même. En vain. Pourtant, m’assure-t-il, le président américain le connaît et l’apprécie depuis une conférence de presse où il lui a lancé pour attirer son attention : "Nul n’est parfait mais je m’appelle Mohammed et j’ai une question pour vous." Sourires.
Il est temps de partir. Les deux hélicoptères militaires décollent dans un nuage de poussière. Nicolas Sarkozy a serré la main de quelques journalistes puis est reparti dans sa limousine. Au loin, déjà, les sirènes retentissent. Tout ça pour ça. Il y a de quoi être songeur. Tout ce branle-bas de combat pour quatre questions. Le journalisme emprunte parfois des chemins étranges...
(*) http://www.agoravox.fr/article.php3 ?id_article=31149
(**) www.davistim.com
14 réactions à cet article
Ajouter une réaction
Pour réagir, identifiez-vous avec votre login / mot de passe, en haut à droite de cette page
Si vous n'avez pas de login / mot de passe, vous devez vous inscrire ici.
FAIRE UN DON