Cigarettes n’étaient comptées
De l’augmentation du prix du tabac, et d’un marché noir réputé florissant.
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Le documentaire s’éternise ensuite quelque part dans les Pyrénées, au pied d’une route menant à Andorre. Dans la Principauté, il n’y a pas de taxes. En France, celles-ci s’approchent désormais du seuil des 90 %. Devant les télespectateurs friands de scènes d’action, les douanes volantes organisent l’arrestation d’un traficant facétieux qui - sentant son arrestation proche - a jeté dans le ravin son sac rempli à ras bord de cartouches de cigarettes. Sa dénégation première tourne à la farce. A une heure du matin, à deux mille mètres d’altitude, l’excuse d’une balade en montagne déclenche l’éclat de rire. Mais les gabelous veillent et arrêtent le contrevenant. Tous les contrevenants. Attention le crime ne paie pas. Des informations d’importance ont filtré : la nuit est sombre dans les Pyrénées, il fait froid, et de la neige recouvre les sentiers [Daily motion]
Dans l’extrait final, on apprend que quatre-vint millions de paquets de cigarettes ont été saisis en un an en Europe (2007 ?), et deux cents tonnes de tabac en France. La caméra suit le journaliste de M6 au volant de sa berline, voguant vers Le Havre. Le télespectateur participe à l’ouverture d’un container provenant d’Asie. Un douanier va plonger dans le container entend-on au rythme d’une musique composée pour Miami vice. Celui-là, il va falloir le vider.
Le suspense atteint son comble, mais l’équipe file à Paris pour suivre un avocat spécialisé dans la lutte contre la publicité mensongère sur les paquets de tabac. Inutile d’attendre que justice soit rendue. L’industriel est présumé coupable. Heureusement, alors que l’attente devient insupportable, les reporters retournent au Havre pour des images du container vidé. Des rouleaux de tissus trônent au milieu d’un hangar vide. Un homme en uniforme scrute le creux, palpe la matière, déroule un mètre. Mais qu’ils le disent clairement ! En bref, le container ne contient rien de répréhensible. Là, il faut soupirer dans son fauteuil [Daily motion].
Le 10 novembre, le Figaro décidément en pointe contre l’action gouvernementale réservait une partie de sa page 10 à un sujet censé mettre en porte-à-faux la ministre de la Santé, à l’origine d’une annonce récente sur l’augmentation du prix du tabac de 6 %. Une cigarette sur quatre achetée à l’étranger écrit Delphine Chayet. « Acquises sur Internet ou dans les pays voisins, elles représentent pour l’État un manque à gagner de 3,4 milliards d’euros. » Cette entame illustre un triple intérêt du journal pour la santé publique, l’ouverture des frontières au sein de l’Union, et les nouvelles technologies de l’information. C’est une étude du groupe British American Tobacco qui est la source principale de la journaliste. Douze milliards de cigarettes proviennent du marché noir, et représentent 22 % des cigarettes fumées en France. Les industriels et buralistes crient à la concurrence déloyale, au seuil psychologique en passe d’être franchi. Cet argument éculé a une vertu, celle de ne surprendre personne.
S’ensuit une énumération des pays voisins accusés de pratiquer des prix éhontés, l’Espagne captant à elle seule la moitié des importations de cigarettes, devant le Bénélux. « Les habitués de ce ‘tourisme fiscal’ connaissent très mal la réglementation, qui limite à cinq le nombre de cartouches pouvant être importées d’un pays voisin. Selon les Douanes, certains autocaristes vont jusqu’à proposer des voyages dont le principal attrait est l’achat de tabac à bas prix. » Les fumeurs oublient et les sociaux-traîtres complotent. Le président de la Confédération des buralistes de France en veut quant à lui à Internet. Il recommande de fermer et de bloquer les sites illégaux. De l’aveu même de Delphine Chayet, les cigarettes ne circulent pas par cable. Elle relève au contraire que vingt-et-une tonnes de cigarettes ont échoué en 2008 dans les centres douaniers postaux d’Île de France. Fermera-t-on les postes ?
La voix de la raison indique le chemin. « Avec une hausse de 10 %, même en tenant compte des achats transfrontaliers, la santé publique et la fiscalité auraient été gagnantes, indique la directrice du Comité national contre le tabagisme (CNCT). Seule une harmonisation européenne tirant les prix vers le haut permettra de régler le problème de ces achats à l’étranger. » Grâce au CNCT, les solutions pointent à l’horizon. La TVA espagnole alignée sur la TVA française placera les fabricants de cigarettes africains - et en particulier marocains - dans une position idéale pour s’imposer en Europe occidentale. Un relèvement des taxes en Grèce ou en Europe orientale produira les mêmes effets en Turquie ou dans les pays de l’ex-URSS. Il reste à savoir ce que deviendront les producteurs de tabac alsaciens ou de la vallée de la Garonne. Heureusement, des aides et subventions viennent déjà au secours de la filière (ici en Alsace). Les agriculteurs ne se bousculent pas au portillon dans les Hautes - Pyrénées.
Au Québec, 40 % des mégots ramassés après usage proviennent de cigarettes achetées sur le marché noir. Et le problème ne risque pas de s’atténuer. Le Parti Québecois et l’Action démocratique du Québec se sont déclarés prêts à réunir une commission parlementaire à l’automne 2008… avant les élections. Les candidats ont signé un texte commun. « Parce que la contrebande de tabac est devenue une véritable crise économique et sociale qui envahit nos écoles, menace la santé de nos jeunes, porte atteinte à la sécurité de nos communautés et représente pour les milliers de dépanneurs du Québec une concurrence injuste, déloyale et illégale, j’appuie sans réserve la tenue d’une commission parlementaire sur la contrebande du tabac pour dégager des pistes de solutions rassembleuses afin de contrer ensemble et de façon définitive ce fléau. »
Les différences entre le Québec et la France ne sautent pas aux yeux, même si le franc-parler se situe quand même de l’autre côté de l’Atlantique. L’Etat lésé et les jeunes poussés à fumer sont deux arguments que l’on mentionne. De la même façon, on ne se voile pas derrière un rideau de fumée pour décrire la hausse importante de la criminalité au Québec à cause de la contrebande. Ah ! Cigarettes n’étaient comptées. Sur le continent nord-américain, les zones de production de tabac restent proches du Canada, en Virginie ou au Kentucky, dans le Haut-Sud [Sécession de rattrapage]. Les Antilles et l’Amérique centrale suivent un peu plus au sud. Peut-être que les Québecois devraient tenter de fermer leurs frontières. De mon côté, je continuerai à ne pas acheter de cigarettes…
PS./ Geographedumonde sur la drogue et les trafics transfrontaliers : Pierre - ciseaux - feuille, Tailles larges et têtes coupées, Opium misère du peuple afghan, Ni saut de puce ni puce à l’oreille, Désert connu et mélodie terroriste, Quillards et cocaïne, Cigarettes et mitraillettes aux confins algériens, Du cannabis à la tomate.
Incrustation : le film de Sacha Guitry, Si Versailles m’était conté.
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