Claude Goasguen, un centriste qui n’était pas vraiment un centriste
« Claude Goasguen vient de partir, emporté par cette saloperie. Qu’importe ce que la politique peut en dire, il était mon ami et j’étais le sien, depuis nos vingt ans. Et tous les deux nous le savions. » (François Bayrou, le 28 mai 2020 sur Twitter).
Parti ce jeudi 28 mai 2020 (le même jour que l’humoriste Guy Bedos) à l’âge de 75 ans (il est né le 12 mars 1945 à Toulon) des suites du covid-19 (il était hospitalisé depuis le 24 mars 2020), le député LR de Paris Claude Goasguen fait hélas partie, comme Patrick Devedjian et quelques autres élus ou anciens élus, des centaines de milliers de victimes de cette saleté de pandémie qui n’en finit pas de meurtrir l’ensemble de l’humanité. Il avait participé à un meeting électoral pour soutenir Rachida Dati aux municipales à Paris le 9 mars 2020, mais rien ne prouve que ce fût la cause de sa contamination.
Pendant longtemps, membre du CDS (Centre des démocrates sociaux), le parti centriste de Jean Lecanuet, Pierre Méhaignerie et François Bayrou, Claude Goasguen détonnait un peu dans l’ambiance feutrée et pondérée des congrès centristes. Maître de conférences à Paris-Villetaneuse, avec son imposante carrure, Claude Goasguen n’hésitait pas à marteler, sans doute fut-il le premier à le faire, que dans certains quartiers, juste de l’autre côté des murs de l’université, lui qui y enseignait le droit, il voyait des zones de non-droit et que c’était inacceptable pour la République. C’était dans les années 1990. On imagine ce que cela signifiait comme position sur l’immigration, par exemple, il n’était pas loin de penser que seule la fermeté devait primer pour préserver l’ordre et le droit pour le respect des valeurs républicaines.
En l’écoutant, je m’étais toujours demandé ce qu’il faisait au CDS, d’autant plus qu’il en fut même, entre 1995 et 1998, le secrétaire général (numéro deux), quand le CDS a opéré sa mue en Force démocrate et, en même temps, secrétaire général de l’UDF. Quand son ami François Bayrou, succédant à François Léotard, a pris la présidence de l’UDF en 1998, il était question d’en finir avec la structure confédérale de chapelles et de procéder à la fusion de toutes les composantes.
Alain Madelin, connu pour ses options libérales et adversaire de François Bayrou à la présidence de l’UDF, refusa cette fusion pour préserver la spécificité du courant libéral en France, et créa Démocrate libérale (DL) et s’est posé en parti indépendant du reste de la constellation centriste, jusqu’à, ensuite, rejoindre le RPR au sein de l’UMP lors de sa fondation en 2002. Claude Goasguen, ami depuis toujours d’Alain Madelin, a alors quitté la nouvelle UDF en 1998 et a rejoint DL à sa création (et en fut le vice-président). Claude Goasguen, à l’UMP puis LR, est devenu par la suite une figure marquante de la droite classique parisienne.
Il me semble d’ailleurs que, comme Alain Madelin, Gérard Longuet et Patrick Devedjian, Claude Goasguen a commencé son engagement politique, président de la corpo de droit à Assas, à la fin des années 1960, du côté de l’extrême droite (Occident : « une erreur de jeunesse »), mais par convictions libérales, il a ensuite adhéré aux Républicains indépendants de Valéry Giscard d’Estaing (comme Alain Madelin) pendant les années 1970. Docteur en droit en 1976, il se destinait à une carrière universitaire : il a enseigné le droit à l’Université de Paris-Villetaneuse de 1969 à 1986, et fut doyen de la faculté de droit de 1982 à 1984. Dans les années 2000, il a enseigné le droit à HEC et fut également par la suite avocat au barreau de Paris.
Il est entré dans le monde politique avec la nomination de René Monory au Ministère de l’Éducation nationale en mars 1986, dans la première cohabitation. Claude Goasguen fut son conseiller technique chargé des relations avec les entreprises et avec les acteurs de la formation professionnelle. Ce parcours expliquait le choix du CDS : René Monory était l’un des grands notables du CDS et Claude Goasguen est rentré par cette porte dans la vie politique. Il est souvent des choix dictés plus par les relations que par les traditions politiques.
Claude Goasguen a vu ainsi sa carrière bondir : dès 1987, il fut nommé inspecteur général de l’éducation nationale, puis recteur d’académie, directeur du CNED (Centre national d’enseignement à distance) de décembre 1987 à janvier 1991, parallèlement à un début de carrière politique. En effet, à partir de mars 1983, Claude Goasguen fut élu et réélu conseiller de Paris (jusqu’à sa mort), également conseiller de la métropole du Grand Paris depuis le 21 janvier 2016, et conseiller régional d’Île-de-France de mars 1986 à mai 1993.
Claude Goasguen fut élu adjoint au maire de Paris du 20 mars 1989 au 18 mars 2001 (adjoint de Jacques Chirac chargé des affaires étrangères, puis adjoint de Jean Tiberi chargé des affaires scolaires et universitaires). Mais hostile à la poursuite du mandat de Jean Tiberi, et encouragé par Jacques Toubon, le 6 mars 1998, Claude Goasguen fonda et présida un groupe dissident regroupant un tiers des élus UDF-RPR pour demander à Jean Tiberi de démissionner (il faut noter que la démission d’un tiers de l’ensemble d’un conseil municipal entraîne l’élection d’un nouveau conseil municipal, mais Claude Goasguen n’a pas réussi à réunir suffisamment de conseillers de Paris pour menacer le maire d’une telle perspective).
Puis, après l’échec de Philippe Séguin aux municipales de Paris de mars 2001, il fut dans l’opposition municipale, présidant même le groupe UMP au Conseil de Paris du 11 octobre 2002 (après la démission de Philippe Séguin) au 25 septembre 2006, laissant ensuite la présidence (il est devenu vice-président) à Françoise de Panafieu arrivée en tête au premier tour de la primaire UMP organisée en septembre 2006 pour les municipales de mars 2008 (initialement prévues en mars 2007). À cette primaire, Claude Goasguen était arrivé en deuxième place (devant Pierre Lellouche et Jean Tiberi), mais a renoncé à poursuivre le processus électoral dans un souci d’unité et s’est désisté en faveur de sa concurrente entre les deux tours.
Ce fut la deuxième cohabitation qui l’a hissé sur la scène nationale : suppléant du député Jacques Toubon, lorsque ce dernier fut nommé Ministre de la Culture, Claude Goasguen l’a remplacé au Palais-Bourbon. Il fut ainsi député du 13e arrondissement de mai 1993 à mai 1995. Comme beaucoup de personnalités parisiennes, Claude Goasguen a soutenu la candidature de Jacques Chirac à l’élection présidentielle de 1995, malgré son appartenance à l’UDF qui soutenait très majoritairement la candidature du Premier Ministre Édouard Balladur.
Cette fidélité chiraquienne lui a valu une nomination au sein du premier gouvernement du nouveau Premier Ministre Alain Juppé, comme Ministre de la Réforme de l’État, de la Décentralisation et de la Citoyenneté, un portefeuille nouveau créé à sa mesure, du 18 mai 1995 au 7 novembre 1995. Il est entré au gouvernement sur le quota du CDS, comme UDF-chiracocompatible, et avec la nomination d’Alain Madelin, qui avait soutenu, lui aussi, la candidature de Jacques Chirac (ils étaient rares), au Ministère de l’Économie et des Finances, une consécration, mais de courte durée puisque le chef du courant libéral français a été évincé du gouvernement dès le 26 août 1995 après une erreur de communication (ce qui l’a conduit à se présenter à l’élection présidentielle de 2002).
Comme François Baroin, et surtout, comme de nombreuses "Juppettes", Claude Goasguen a été débarqué du gouvernement le 7 novembre 1995 et ne fut jamais rappelé par aucun autre Président de la République ni Premier Ministre. De quoi ressentir un peu d’amertume, car ce n’est pas en cinq mois qu’on peut faire quelque chose dans un ministère. Une sorte de gâchis ministériel. Qu’importe : il lui restait Paris et le ministère du verbe qu’il a su utiliser à merveilles.
Contrairement aux "héritiers", Claude Goasguen s’est implanté électoralement dans le 16e arrondissement de Paris en s’attaquant à des sortants qui étaient des proches en politique. C’était vrai qu’il lui fallait une circonscription parisienne pour redevenir député et sa première circonscription n’était pas la sienne mais celle de Jacques Toubon.
Claude Goasguen fut parmi les rares personnalités de la majorité présidentielle à avoir "profité" de la dissolution de 1997 : en effet, il a conquis la circonscription de l’indéboulonnable Georges Mesmin (1926-2019), député CDS du 16e arrondissement depuis mars 1973. Claude Goasguen, avec l’investiture de l’UDF et du CDS, a battu Georges Mesmin au second tour le 1er juin 1997 avec 65,3% (au premier tour, il était arrivé en tête avec 40,8% suivi de Georges Mesmin 20,8%). Il fut ainsi élu et réélu député du 16e arrondissement de mai 1997 jusqu’à sa mort, parmi les députés les mieux élus de France, dès le premier tour le 9 juin 2002 (avec 61,2%), le 10 juin 2007 (avec 65,8%) et le 10 juin 2012 (avec 58,1%), et en raison du bouleversement macronien, il gagna, de justesse cette fois-ci, le second tour le 18 juin 2017 avec 52,4%, après un ballottage très défavorable (38,0% contre 44,2% à la candidate LREM).
C’était avec le même esprit de conquête qu’il s’est "emparé" de la mairie du 16e arrondissement de Paris. En effet, le maire sortant, Pierre-Christian Taittinger (1926-2009), sénateur et ancien ministre, conseiller de Paris depuis 1953, était maire depuis le 19 mars 1989 (succédant à Georges Mesmin), et à la surprise générale, il fut battu lors de la séance inaugurale, le 29 mars 2008, par Claude Goasguen, qui resta maire du 16e arrondissement jusqu’au 11 juillet 2017 (il a dû démissionner pour rester député tout en restant en conformité avec les dispositions législatives contre le cumul des mandats).
Intégré complètement à l’UMP en 2002, Claude Goasguen en fut, en 2005, le délégué général chargé des universités et de la recherche, puis, en 2014, le secrétaire national chargé du Grand Paris. Parmi ses prises de position internes, Claude Goasguen a soutenu la candidature de Jean-François Copé à la présidence de l’UMP en automne 2002 (contre François Fillon), puis a soutenu celle de Nicolas Sarkozy à la primaire LR de 2016 (contre Alain Juppé et François Fillon), puis celle du juppéiste Maël de Calan pour la présidence de LR en décembre 2017 (contre Laurent Wauquiez), celle de Julien Aubert pour la présidence de LR en octobre 2019 (contre Christian Jacob et Guillaume Larrivé), et enfin celle de Rachida Dati aux municipales de Paris en 2020 (Claude Gosguen était toutefois prêt à une grande alliance LR-LREM pour tout faire pour battre la maire sortante Anne Hidalgo). Dans ses choix politiques, il a également annoncé son soutien à Emmanuel Macron au second tour de l’élection présidentielle de 2017 (contre Marine Le Pen).
Ne mâchant jamais ses mots, Claude Goasguen a adopté souvent les idées d’une droite musclée sur l’immigration, la sécurité, les questions de société, etc. tout en soutenant les options libérales sur le plan économique et fiscal.
L’Élysée a fait savoir ce 28 mai 2020 qu’Emmanuel Macron adressait ses condoléances respectueuses à la famille de Claude Goasguen, fils d’un marin breton : « Forte tête, cet ancien joueur de rugby qui aimait les mêlées était aussi dans l’arène du Palais-Bourbon un bretteur impétueux et érudit. Passionnément libéral, pourfendeur de l’antisémitisme, soutien d’Israël, défenseur des Chrétiens d’Orient, amoureux des belles lettres et du septième art, il aura soutenu tous les combats qui lui tenaient à cœur avec l’éloquence d’un puissant orateur et la rigueur d’un brillant juriste, le verbe haut et la pensée claire. Le Président de la République salue une grande voix politique qui manquera au débat républicain. ».
Requiescat in pace.
Aussi sur le blog.
Sylvain Rakotoarison (28 mai 2020)
http://www.rakotoarison.eu
Pour aller plus loin :
Claude Goasguen.
Philippe Séguin.
Jacques Toubon.
Pierre-Christian Taittinger.
Jacques Chirac.
Christian Poncelet.
Patrick Devedjian.
18 réactions à cet article
Ajouter une réaction
Pour réagir, identifiez-vous avec votre login / mot de passe, en haut à droite de cette page
Si vous n'avez pas de login / mot de passe, vous devez vous inscrire ici.
FAIRE UN DON