Cocorico, les Français font des gosses !
L’information n’a échappé à personne : nous serions devenus les champions européens sur le terrain de la procréation. La nouvelle, dont les médias se sont emparés à l’unanimité, fait sensation. Ils saluent un exploit national qu’ils jugent digne d’être placé en tête des informations, loin devant les [ennuyeux] problèmes internationaux.
Ah, la France s’est découvert enfin une raison de vivre. Le pays s’est surpassé et n’est plus le dernier de la classe européenne. A grands coups de trompette et de chansons en choeur, nous fêtons une victoire. La natalité est une préoccupation décidément d’envergure pour la société française. En effet, elle est l’objet de toutes les attentions depuis fort longtemps. La classe politique, en tête, a véritablement pris le sujet à coeur en montant sans doute la politique, celle de la natalité, la plus volontariste qu’on ait pu observer dans notre histoire. Une politique qui aura pondu un organisme tout dédié à la cause nationale, l’INED (Institut national d’études démographiques) qui défendra bec et ongles la nécessité d’une natalité forte et pour cela d’une politique incitative en faveur de la famille.
On peut se poser la question de savoir ce qui pousse les politiques à s’attacher ainsi avec tant de sérieux à la démographie française, avec une politique familiale à caractère nataliste qui transpire tout de même le nationalisme et le patriotisme exacerbé à plein nez. D’autant plus que les raisons premières d’une telle politique initiée sous Napoléon Bonaparte n’étaient ni plus ni moins que de développer un réservoir de chair à canon, programme d’incitation aux naissances renouvelé sans équivoque au début du XXe siècle en vue de la revanche contre l’Allemagne. A la sortie de la Seconde Guerre mondiale, la politique familiale va connaître une impulsion encore plus importante avec la création de l’Ined présidé alors par Alfred Sauvy, accompagnée de l’introduction progressive de lois de protection sociale et d’incitations financières.
Avec le développement du concept de seuil de renouvellement des générations (fixé arbitrairement à 2,1 par femme, ce qui en soit ne veut rien dire), nous avons assisté à une course de fond effrénée et sans précédent contre la chute de la démographie, vécue par le pays comme une véritable catastrophe, course qui met bien entendu l’hexagone dans une compétition totalement irrationnelle avec les autres pays européens. Irrationnelle puisque le solde naturel est compensé par le solde migratoire et que la population aura toujours, quoi qu’il advienne, augmenté. Irrationnelle puisqu’au lieu d’observer une démographie à l’échelle mondiale explosive, on fait une fixation politique entre quatre murs sur la baisse du nombre des bons vieux Français. Pourtant il suffit de manger une baguette et de boire du rouge pour être de ceux-là. Une fixation transcendante, puisque c’est un des biens rares sujets dont peuvent s’accorder la paternité tous les gouvernements confondus.
Avec un baby boom qui débute en 1943 (qui n’est donc pas le fait de la Libération, comme on se plaît à le croire...), on n’a de cesse de considérer l’enfantement comme une finalité en soi. Comme si, d’une certaine manière, on considérait la nation en péril face à un obscur danger difficile à définir. Il reste que la soudaine extase que provoque le dernier chiffre publié permet aux plus opportunistes d’alimenter leur argumentation contre une France qui serait morose. Forcément que non, puisque si nous faisons des gosses, c’est que nous avons confiance en l’avenir, claironnent ces derniers. Cette récupération politique pourrait ainsi éviter toute remise en cause du bilan socio-économique désastreux de ces dernières décennies, et apporter un démenti à la préoccupation grandissante des citoyens. En clair, faites des gosses, tout va pour le mieux !
Note amusante : c’est un sujet on ne peut plus marronnier. En effet, l’année dernière et encore l’année précédente, les médias avaient à loisir présenté la France comme la championne d’Europe de la natalité et ceci à la même période. Où est donc le scoop ?
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