Dans une tribune publiée le 25 juin dans Marianne, Olivier Ferrand revient sur la polémique suscitée par le rapport de Terra Nova "Gauche : quelle majorité électorale pour 2012 ?". Loin de proposer que la gauche abandonne les classes populaires, comme il le lui a été reproché, ce rapport donne les clés pour les reconquérir. Cette stratégie de reconquête passe par l'analyse de la fragmentation des classes populaires d'aujourd'hui : ouvriers, bien sûr, mais aussi outsiders subissant le précariat, le chômage, l'exclusion, femmes aux conditions de travail dégradées... La gauche doit s'adresser à ces populations, et leur donner des perspectives. Pour regagner le vote ouvrier, elle doit veiller à ne pas renier ses valeurs et à convaincre sur le terrain économique.
Le dernier rapport de Terra Nova sur la sociologie électorale a suscité une vive polémique : nous proposerions à la gauche d’abandonner les classes populaires. Rien n’est plus faux. Le rapport donne au contraire les clés pour les reconquérir.
Le rapport pose certes le diagnostic d’une désaffection, partielle, des classes populaires. En 1981, les classes populaires, unifiées autour du monde ouvrier (37 % de la population active), soutiennent massivement la gauche : 72 % des ouvriers portent François Mitterrand à la présidence de la République. Depuis cette date, les ouvriers votent de moins en moins à gauche. L’érosion est continue, elle prend des allures d’hémorragie électorale ces dernières années. Au premier tour de l’élection présidentielle, le différentiel de vote au profit de la gauche entre les ouvriers et la moyenne de l’électorat passe de +15 points en 1981 à zéro en 2002 : il n’y a plus de spécificité du vote ouvrier. Pire, le candidat Lionel Jospin n’a rassemblé en 2002 que 13 % des suffrages ouvriers : les ouvriers ont moins voté socialiste que l’ensemble des Français (16 %). Au second tour de la présidentielle, le vote ouvrier passe de 72 % en 1981 à 50 % en 2007. Pour la première fois de l’histoire contemporaine, les ouvriers, qui ne votaient déjà plus à gauche au premier tour, ne votent plus à gauche au second.
Cette désaffection est un mouvement structurel profond, de long terme, largement indépendant du leadership politique. Elle n’est pas propre à la France : elle se vérifie dans tous les pays occidentaux, quelles que soient les stratégies politiques, variées, mises en places. Ce diagnostic, même les professeurs de vertu politique et les apôtres du politiquement correct le reconnaissent. Ils en appellent rituellement à reconquérir les classes populaires. Comment ? Ils ne le disent pas.
La stratégie de reconquête de Terra Nova repose sur l’analyse de la fragmentation des classes populaires d’aujourd’hui.
Il y a d’abord les classes populaires déclassées. Elles n’existaient pas sous les Trente Glorieuses. Dans la société du plein emploi d’hier, les classes populaires étaient toutes au travail. Dans la société de crise d’aujourd’hui, une nouvelle population s’est constituée : les outsiders sortis du marché du travail, victimes du précariat, du chômage, de l’exclusion. On y trouve les habitants des quartiers populaires, les minorités, les jeunes peu qualifiés, les femmes en situation précaire – avec la jeune mère célibataire comme figure moderne de la pauvreté. Ouvriers au chômage, jeunes en galère de petits boulots en CDD, employées à temps partiel subi, blackset beursdiscriminés à l’embauche : ils sont les visages des nouvelles classes populaires. Et ils votent massivement à gauche : 80 % pour les quartiers populaires, 70 % pour les jeunes, 60 % pour les femmes. Ils sont au cœur du nouveau socle électoral de la gauche.
Problème : ils votent pas intermittence. Ils peuvent voter massivement si on les mobilise. Ils sont aujourd’hui violentés, en butte à la vindicte populiste du FN et de l’UMP radicalisée : stigmatisés socialement comme des « assistés », et agressés dans leur identité culturelle – les « jeunes » fainéants, la « racaille » de banlieue, les Français de l’immigration rejetés comme des étrangers sur leur propre sol. Si elle veut faire le plein dans son nouveau cœur électoral – et c’est une condition vitale pour éviter un nouveau 21 avril – la gauche doit les défendre. Il n’y a rien de plus juste : il s’agit des Français les plus modestes, en situation la plus difficile. Pour cela, la gauche ne doit pas reculer face aux coups de boutoir populistes, elle ne doit pas renier ses valeurs, ni son héritage (le RMI, la CMU, la lutte contre le racisme), mais au contraire les affirmer : la solidarité sociale, l’humanisme.
Il y a ensuite les classes populaires intégrées. Elles ont en commun d’être en emploi stable, en CDI. Mais elles sont beaucoup plus diverses qu’hier. La grande mutation, c’est le basculement vers les employés : ils sont désormais largement majoritaires dans l’électorat populaire (30 % de la population active, contre 23 % pour les ouvriers). Il s’agit le plus souvent de femmes (77 % des employés), aux conditions de travail dégradées en l’absence de couverture syndicale forte, jonglant avec des situations personnelles parfois difficiles (célibataires avec enfants à charge).
Ces populations sont un angle mort du discours politique de gauche, ouvriériste, dont l’imaginaire est associé au travailleur homme à l’usine. La gauche doit tout simplement s’adresser à elles et leur donner des perspectives : amélioration des conditions de travail, extension de la présence syndicale, meilleure articulation de la vie familiale et professionnelle (service public de la petite enfance), prestations sociales spécifiques (pour les mères célibataires)…
Restent les ouvriers. Eux mêmes ont beaucoup changé. Les ouvriers de l’industrie ont connu un déclin vertigineux : ils ne représentent plus que 13 % de la population active. Il y a désormais presqu’autant d’ouvriers dans le secteur tertiaire (10 %) : chauffeurs, magasiniers, manutentionnaires. Ces ouvriers des services, qui travaillent dans l’isolement, ne bénéficient plus de l’identité ouvrière : le collectif de travail de l’usine, la tradition syndicale, la fierté du métier. Travaillés par la crise, tous ont peur du déclassement. Une partie est tentée par le repli identitaire et se laisse séduire par les sirènes du Front national. Ce n’est pas un scoop : la montée en puissance du FN a été nourrie par l’effondrement du parti communiste.
Comment les récupérer ? Certains sont prêts à remiser leurs valeurs, à « trianguler » comme on dit dans le jargon électoral, pour aller chercher cet électorat qui a fui vers le FN : durcissement du langage sur l’immigration, défense intransigeante de la laïcité face à l’islam, reprise du discours anti-assistanat… C’est une impasse : le FN fera toujours mieux sur ce terrain, et ils perdront l’électorat populaire déclassé. Une impasse dangereuse : au bout du chemin, il y a le social-populisme.
La solution est à trouver sur le terrain économique. La gauche au pouvoir n’a pas tenu ses promesses de vie meilleure, elle n’a pas répondu à leurs aspirations. La clé électorale, c’est la sortie de la crise économique, le retour de la croissance, la réindustrialisation du pays. C’est la « gauche du pouvoir d’achat » qui pourra les convaincre.
Cesser de reculer, lutter pied à pied contre le populisme, affirmer ses valeurs : tel est le vrai enseignement du rapport de Terra Nova. La gauche ne doit pas basculer du surmoi marxiste au surplomb lepéniste. La gauche ne gagnera pas si elle se renie. Elle gagnera si elle est la gauche.
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Ce thnik tank recycle les décisions du gouvernement pour les présenter dans un discours de gauche
il est pratiquement d’accord avec le grand emprunt, vous n’avez fait aucune analyse approfondie sur le grand emprunt, vous vous êtes contenté de reprendre les critiques faites par les universitaires qui étaient mis à l’écart lors de la préparation des projet, le recours aux cabinets de conseil dont la rémunération est excessive, sans compter sur l’utilité d’un tel recours, vous avez passé sous silence la mise en concurrence les universités pour obtenir des financements etc. Aucune analyse économique, rien sur le court et long terme, aucune comparaison ce qui a été fait auparvant etc.
Encore un argument que la classe
dirigeante va utiliser contre les mouvements de gauche dont vous vous
dites le « think tank ».
L’ump a déjà ce langage " la
gauche se désintéresse de la classe ouvrière "
en faisant référence à vos précédentes publications. Dorénavant, elle pourra rajouter " la
gauche est complètement déconnectée des classes populaires, elle
cherche désespérément à les reconquérir "
Le terme reconquérir est lourd
de sens... c’est pourquoi vous l’utilisez...
Tera Nova, la liste de vos « mécènes ».
À la suite de cette liste, on trouve la liste de vos « amis » (c’est-à-dire, ceux que vous désignez cherchant « une reconquête »)...
Ils mettent leur chevalière à la main
gauche, leur Rolex au poignet gauche, leur portefeuille est dans la
poche gauche, le volant de leur Porche est à la gauche... je ne sais
pas ce qu’il vous faut ?
@TERRA NOVA Il ne s’agit pas de « reconquérir » les classes populaires, mais de les servir et de servir (excusez moi les grands mots) la France et l’humanité à travers eux et avec eux. Evidemment dit comme ça, cela ne peut que dépasser une époque de mercantis et de petits bourgeois qui ont accaparé les mots « Gauche » et « Populaire »... Dire que Terra Nova est de gauche c’est quasiment de la diffamation de langage ...
L’idée ce serait d’arrêter d’opposer l’immigré et le francais de souche, la femme et l’homme, le jeune et le vieux, etc... L’idée ce serait de rassembler sur un projet commun, ce qui serait supposer qu’à gauche il y ait encore autre chose que des Terrava ou des NPA de petits comptables de bastringue et des gosses de riches qui n’en finissent pas de ressasser le passé collabo du papy, sans parler des perroquets pseudo syndiqués qu’un passage à la télé fait disjoncter .