Conférence de presse sous la pression d’un Roi-Paillettes ; mais rien sous le couvercle
Ce mardi 8 janvier, j’ai écouté pendant deux heures BFM, où fut radiodiffusée la conférence de presse de Sarkozy, visiblement à l’aise dans cet exercice débuté par un discours d’une heure assez dense et comme on dit dans le jargon politicien, volontariste. Puis, les questions de la salle et visiblement, on sentait notre président d’attaque et prêt à en découdre avec une profession qu’il dit respecter mais qu’il méprise au fond et dont il faisait le vœu d’une défaite après ce combat somme toute assez inégal. Quoiqu’un Sarkozy colérique ait quelque peu transparu, à l’oreille fine, sur le final... Les journaux ne manqueront pas de mentionner son développement de sa conception d’une politique de civilisation où l’on apprendra qu’il a reçu la veille Edgar Morin. Mais admettons que son idée de politique de civilisation présentée dans les vœux soit passée inaperçue, aurait-on eu droit à cette longue mise au point de Sarkozy et parlerait-on de Morin dans les journaux ? Tout ceci traduit ce que j’avais appelé la réacratie, un jeu politique où l’opposition, la presse, réagit et inversement pour la présidence qui réagit à ce que commente la presse. Un mécanisme bien huilé et bien rodé. De cet ensemble, conférence ajoutée aux questions, il sera difficile de dégager une synthèse. Juste un avis personnel. Sarkozy aimerait jouer les sénateurs romains, voir l’empereur, mais visiblement, il n’est pas taillé pour habiter le costume de Cicéron.
De cet épisode classique de la vie politique, on retiendra le style et la méthode Sarkozy employés pour « répondre », ou plutôt « répliquer », aux questions des journalistes. Le fait d’avoir écouté sans les images a permis de capter cette ambiance de combat, de mise sous tension, de pression que Sarkozy, en Rocky de la rhétorique, essaie de faire monter, attirant les questions provocatrices pour ensuite en découdre, jouer à déminer le contenu en quelques écrans de sophistique mais aussi d’ironie virant à la moquerie, voire au mépris et même un zeste de plaisir à humilier. On est loin de l’humour gentleman de Chirac ou de l’ironie stylée, discrète et parfois cinglante de Mitterrand. Sarkozy sort ses gros sabots et joue des ficelles du bon sens qu’on aurait dit qu’il avait pris Bigard comme répétiteur !
Un moment à retenir. Quand Laurent Joffrin de Libération demande au président s’il n’a pas fait de la France une monarchie élective. Et Sarkozy d’ironiser en faisant valoir qu’il n’est pas l’héritier d’un quelconque roi, comme dans le cas de l’Ancien Régime, pas plus qu’il n’a été adoubé comme successeur par son prédécesseur Chirac. Et Sarkozy d’y aller carrément et de se moquer de la culture d’un Joffrin qu’il se permet de narguer à la fin en fustigeant une gauche jugée comme politiquement stérile. Le problème, c’est que Sarkozy ferait mieux de réviser ses notions de politique car la monarchie désigne en premier lieu le gouvernement d’un seul. C’est donc un régime parmi d’autres, comme l’aristocratie, gouvernement d’une élite, et la démocratie, gouvernement du peuple. Et chaque type de gouvernement a ses règles de fonctionnement. La monarchie n’est pas uniquement héréditaire, comme l’a clamé Sarkozy et c’est bien l’inculture du président qui s’est affichée car Joffrin a été précis, il a bien évoqué une monarchie élective, autrement dit, la gouvernance d’un seul, mais qui a été élu. Et c’était bien une question de fond au vu des tendances actuelles où notre président décide de tout, donnant des lettres de mission sur les thèmes qu’il choisit, des feuilles de route aux ministres, invitant tout le monde, experts, Nobel, hommes de gauche, de droite, de France et de Navarre, à participer à un grand champ de réflexion au bout duquel c’est lui qui tranche. Si ce n’est pas une tendance monarchique ! Qui transparaîtra avec cette formule.
La présidence de Sarkozy est un perpétuel Grenelle de la réflexion doublé d’un Versailles de la décision !
Quant au discours de Sarkozy, ce fut un discours de politique générale qui aurait fait bonne figure à l’Assemblée nationale mais n’est-ce pas le lieu où rêve de s’exprimer notre président ? Au niveau du contenu, il ne fait aucun doute que la notion de politique de civilisation a fait l’objet d’un soin particulier, sans qu’on sache s’il y a une authentique sincérité de la part du président ou bien une astuce médiatique visant à donner un os à ronger à une presse qui a montré son intérêt pour jouer à la baballe après les vœux du 31 décembre. Terrible à dire mais les journalistes sont allés chercher la baballe logée dans un coin de Morin ; alors notre président, en bon maître, a renvoyé la balle. Sur le fond, la notion de politique de civilisation apparaît vide de contenu et même, c’est une manière d’enrober sous du papier scintillant quelques règles de gouvernance des plus prosaïques qui soient. Sarkozy met dans la politique de civilisation le bien-être, la politesse, le respect, le pouvoir d’achat, la réorganisation des services de l’Etat, bref, aucun lien avec la transcendance. Du prosaïque, des évidences du sens commun, sorte d’épicurisme post-moderne et technoscientifique. Mais sur le principe, une vieille recette sur la bonne gouvernance dont on trouverait l’origine dans un traité de Guillaume de la Perrière paru en 1567 (Foucault, cours du 1er février 1978 au Collège de France). Autant clore le débat sur ce gadget bien trop ordinaire pour en faire un thème de réflexion philosophique. A noter également l’importance de l’architecture pour Sarkozy. Ce n’est pas avec des bâtiments qu’on fonde une civilisation. Un peu court, surfait, déjà appliqué par les mairies qui se sont penchées sur la question et c’est leur domaine sur lequel Sarkozy affiche des prétentions bien mégalopathes (j’emprunte le terme à Sloterdijk). L’essentiel étant de savoir comment on vit et existe dans une ville (à Bordeaux on attend un Zénith). A noter aussi cette réflexion sur le Grand Paris, comme si c’était une priorité et que cette mégalopole représentait l’archétype de la civilisation et le terreau de son progrès, et en plus, cette sollicitude ne colle pas à un président qui se clame comme serviteur de tous les Français à égalité, mais comme dirait Coluche, les Franciliens sont plus égaux que les autres.
Examinons d’autres propositions pour le moins inconséquentes, pour ne pas dire absurdes. Comme l’interdiction de la publicité sur les chaînes publiques et un financement par des taxes sur la publicité des chaînes privées. D’un point de vue comptable, c’est irréalisable. Un simple collégien verrait ce qui cloche. Quant à faire financer les chaînes publiques par une taxe sur l’Internet, ce n’est pas très intelligent et injuste. Un lycéen comprendrait pourquoi. Et cette allusion à des hôpitaux qu’il faudrait utiliser pour accueillir des personnes âgées, alors qu’il faudrait d’autres dispositifs d’accompagnement, la vieillesse n’étant pas une maladie, monsieur Sarkozy ! Que dire de ces gadgets constitutionnels visant à ajouter quelques bonnes formules dans une Constitution déjà bien fournie tout en mobilisant une ancienne grande dame de la politique ? Et cette mission confiée à des prix Nobel d’économie pour redéfinir les critères de la croissance. Comme si ce type de réflexion n’existait pas déjà. Sarkozy n’a rien d’un visionnaire. Il a juste une vision quelque peu troublée des réalités, comme quand il s’imagine qu’en France, on vénère l’échec et on n’aime pas la réussite. Sarkozy se trompe de cible. Ce que certains n’apprécient pas en France, c’est plutôt la réussite ostentatoire le plus souvent acquise à la faveur de réseaux, en affichant de plus un luxe de parvenu.
Revenons quand même sur cette idée de réunir Amartya Sen et Joseph Stieglitz, deux Nobel d’économie, pour réfléchir à des critères plus qualitatifs permettant d’apprécier la croissance. Encore la lubie de l’évaluation qui transparaît, comme pour les ministres. Culture du résultat, tout mesurer, jauger, évaluer. Pour quoi faire ? Parvenir à trouver un indice montrant que la qualité de croissance est convenable et mesurer l’économie française avec un système de règles qui pourrait la rendre plus présentable ? Ne serait-il pas plus raisonnable de trouver les causes de l’inégalité et de penser des alternatives économiques ? Les chiffres sont connus. Certains ont très peu dans l’assiette et dans la poche. Mais c’est sûr qu’avec quelques chiffres bien interprétés, les pauvres pourraient être évalués au paradis, ici en France ! Alors que se dessine l’image d’un Sarkozy manipulateur qui par on ne sait quel magnétisme parvient à attirer force personnalités des mondes médiatique, politique, scientifique, et même de stature internationale, pour les insérer dans un jeu dont on ne sait si la civilisation, au moins la française, sera gagnante ou perdante. Pour l’instant, les médias et même les intellectuels se font blouser et la France broie du blues.
Au final, l’aisance d’un président habile à l’oral se traduit par une impression plus que mitigée si on passe la totalité de la prestation au crible de la critique. Tout n’est pas à jeter. De bonnes intentions ont été formulées. Des résolutions sincères, notamment sur la place de l’éducation. Mais trop d’incohérences, de gadgets et d’approximations sur la civilisation font de cette prestation un moment de trompe-l’œil, doublé d’une défaite des journalistes (d’ailleurs J-M Aphatie l’a reconnu sur Canal+), tout en dévoilant Sarkozy comme préoccupé par les résultats et l’image de la France.
Un certain Roi-Soleil aurait déclaré en réponse aux Parlementaires, l’Etat c’est moi ! Et si Sarkozy était notre Roi-Paillettes, auquel on attribuera une phrase apocryphe : l’Image (de la France) c’est moi ! Prière aux projecteurs de venir éclairer notre Roi-Paillettes dans tous ses déplacements, mais cela ne fera pas de Bigard et Johnny des Corneille et Racine.
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