Confucius présent dans la campagne présidentielle de 2012 ?

Le développement des sociétés dépend fortement des innovations techniques. Depuis deux siècles, l’Occident a connu une progression et une transformation industrielle sans précédent. Si bien que des crises, des guerres mais aussi des évolutions sociales et culturelles en ont résulté. Plus la société devient avancée, plus elle se diversifie, innove, parfois décline. Les aspirations et les désirs engendrent des tensions et le politique peine à organiser ces sociétés de plus en plus complexes, dont on peut dire qu’elles suivent plus la pente du chaos que celle de l’harmonie. Leo Strauss était conscient des limites de la politique moderne. Il tenta de trouver quelques ressources dans la philosophie classique des Grecs, afin de remettre la politique moderne sur un « droit chemin ». L’Occident ayant été secoué par deux guerres dévastatrices, puis inquiété par l’avènement de la massification consécutive à l’inondation de la société par des produits industriels doté d’un fort impact sur les modes de vie. Les médias influant sur le psychisme et l’énergie sur les forces mécaniques disponibles, alors que la médecine transformait les conditions démographiques. Sans doute pourrions-nous interroger la Chine ancienne et son modèle.
Si la Grèce a connu son siècle de Périclès, prolongé par la philosophie hellène et la chute d’Alexandre, la Chine a elle aussi connu une période riche, marquée non pas par un siècle mais carrément un millénaire, ou presque, pendant la dynastie des Zhou (Tcheou en transcription EFEO), datée entre 1050 et 256 avant notre ère. Cette période fut riche en innovations techniques mais aussi en inventions sociales, politiques et philosophiques. Cette époque était régie par le mandat du Ciel. Ce concept fut invoqué par les Zhou pour renverser les Shang. Le mandat du Ciel est un principe de sagesse politique d’une sobriété éclatante. Il légitime le pouvoir d’un gouvernant dont le règne doit être assorti de mesure, de prévenance à l’égard de son peuple, de vertu. On peut le comparer à la monarchie de droit divin sauf que le roi est légitimé de manière inconditionnelle alors que le monarque chinois peut et doit être renversé s’il a fait preuve de légèreté ou d’injustice dans ses actions politiques. Ce principe a accompagné pendant plus de 8 siècles le règne des Zhou avant que d’autres dynasties ne règnent, elles aussi soumises à ce principe qui légitime le renversement d’un souverain, contrairement à la monarchie divine occidentale interdisant toute révolution. La Chine paraît bien étrange à nos yeux d’occidentaux et démocrates, habitués à débarquer les dirigeants quand ils ne conviennent plus, indépendamment de tout mandat contracté avec le Ciel, l’Etre suprême ou je ne sais quel ordre divin.
Cette période a été riche en innovations techniques. La Chine antique s’est rendue maître de la fabrication du fer, métal présentant beaucoup plus de « facultés techniques » que le bronze, notamment en raison de sa robustesse qui en fait un matériau adéquat pour faire des armes mais aussi tailler dans le bois ou encore labourer un terrain agricole lorsqu’il présente la forme du soc et que la charrue est tirée par une bête de somme. Le sort de l’agriculture est déterminant dans une société dont la démographie peut être transformée dans des proportions considérables. C’est ce qui se passa dans la Chine ancienne à l’ère des Zhou et plus spécialement dans la province dirigée par les Qin. Le fer a modifié également les techniques de combat, fournissant à la cavalerie des armements permettant d’étendre la puissance d’action bien plus que celle obtenue avec les anciens chars. Vers 500 av. J.C. la technique de fabrication de la fonte est opérationnelle. C’est la fin de l’âge de bronze et le début d’une ère nouvelle qui se dessine dans un contexte de conflits, de rivalités féodales, de décadence des élites au pouvoir. La longue fin de l’époque des Zhou est amorcée. Les historiens font commencer vers 476 la période des royaumes combattants pendant laquelle se déroule le long déclin du pouvoir assuré par les Zhou alors que sept royaumes se livrent des batailles permanentes, liées notamment aux nouveaux armements. En 246, un souverain Qin (T’sin) s’empare des royaumes, unifiant les provinces chinoises après que la déchéance dernier souverain Tcheou fut prononcée et que des centaines de milliers de guerriers furent décapités. Un régime féroce et qu’on peut qualifier de totalitaire fut installé. La Chine devient centralisée et unifiée, dotée d’un empereur, mais les Qin doivent renoncer au pouvoir au profit de la dynastie des Han qui règnera pendant 4 siècles, faisant de la Chine une civilisation classique et unifiée, comme le fut à la même époque l’Empire romain.
Confucius a vécu entre 551 et 479, soit un peu avant les royaumes combattants mais déjà dans un contexte de crise des pouvoirs. Il établit des principes permettant aux dirigeants et plus généralement aux hommes du monde de s’élever en pratiquant la vertu, en s’instruisant, bref, avec Confucius, la république la mieux dirigée est celle des lettrés, des gens pas seulement cultivé mais sachant pratiquer les lettres, ou le verbe, mais sans verbiage, avec simplicité, sobriété, authenticité, efficacité. Le sage lettré a compris que le chaos engendré par les actions humaines ne peut être maîtrisé que grâce au travail sur soi et sur sa pensée. Le confucianisme, même s’il a été souvent altéré, voire dévoyé pour des desseins de pouvoir, est une doctrine incitant l’homme à se construire. On n’est pas très loin de l’homme politique vertueux conçu par Platon ou Aristote, ou de l’honnête homme français du 17ème siècle, pénétré de culture, de savoir agir et savoir être, ou encore du gentleman à l’anglaise, aristocrate soucieux de son environnement social. Pour Confucius, l’homme possède un sens moral inné qu’il tend à altérer dans le jeu social. L’homme peut néanmoins retrouver et perfectionner ses vertus innées en pratiquant les arts du savoir, en cultivant l’exercice des lettres, en suivant la voie guidée par le Ciel.
L’opposition entre les lettrés et les dignitaires guerriers est un schéma récurrent dans la Chine, depuis l’époque de Confucius jusqu’à l’ère moderne où Mao souhaita prendre ses distances avec la tradition afin de « tailler » la population chinoise d’un seul tenant, celui du travailleur communiste. Mieux encore, l’antagonisme entre gens d’esprit et gens du combat s’avère être un schéma universel et sans doute, le centre de toute réflexion politique. Avec une question centrale, comment gouverner ? Question à laquelle ont répondu diversement Platon, Confucius, Hobbes, Schmitt… L’Histoire nous instruit sur les guerres menées et les ressorts essentiels. Pour mener un combat, il faut des hommes et donc, de bonnes conditions démographiques, des outils et des techniques, une intendance efficace, un Etat bien organisé, enfin, des chefs déterminés et bons stratèges. C’est ce qui s’est passé au IVe siècle av J.-C. dans la province dirigée par les Qin dont l’organisation fut assurée par Wei yang, surnommé le Richelieu chinois, qui a doté ce royaume d’un Etat performant avec une administration et une excellente agriculture. Cet Etat étant conçu afin que le souverain y trouve son avantage.
L’enseignement qu’on peut tirer de Confucius, c’est que la culture est l’antidote à la tyrannie, un remède aux bassesses humaines, une solution pour combattre les turpitudes des puissants gouvernants pour leur compte et celui de leurs complices. Confucius est-il d’actualité en France en 2010 ? Cette question laisse entendre que celui qui la pose a des éléments de réponse. Car les évolutions techniques récentes ont engendré des dérives politiques et une crise du pouvoir nécessitant qu’on se demande comment l’instruction, la culture, le travail sur les valeurs et vertus, pourraient créer les conditions d’un monde nouveau bâti à partir des sociétés contemporaines. A suivre ? Cette piste ici évoquée peut se révéler une impasse tant les siècles et la culture nous éloignent de la Chine classique. Question fondamentale. Travail sur l’esprit ou bien techniques pour résoudre les pathologies sociales contemporaines ?
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