Contre la fraude, une nécessaire révolution fiscale
Le conseil des prélèvements obligatoires (CPO) vient d’estimer le montant annuel des fraudes aux taxes et cotisations sociales entre 30 et 40 milliards d’euros. Malheureusement, ni le CPO ni la classe politique n’en tirent les bonnes conclusions.
Le conseil des prélèvements obligatoires (CPO) vient d’estimer le montant annuel des fraudes aux taxes et cotisations sociales entre 30 et 40 milliards d’euros, environ 4 à 5,5% du montant total des prélèvements, soit pratiquement le déficit cumulé des administrations publiques en 2006.
Il n’en faut pas plus pour que divers commentateurs politiques affirment que « si la fraude était combattue, le déficit de l’Etat serait résorbé ». Cette assertion est risible : l’Etat français a la très mauvaise habitude d’ajuster son déficit, et donc ses dépenses, en fonction de ses recettes prévisibles, au moment du vote du budget. Gageons que si, par magie, le montant de la fraude tombait à zéro, l’Etat trouverait 30 à 40 milliards de prétextes pour dépenser la différence.
Ajoutons qu’une lutte efficace contre la fraude reviendrait à ôter du capital des poches d’agents économiques certes peu civiques, mais normalement efficients car soucieux du bon emploi de leurs propres deniers, pour le transférer dans les caisses d’organismes publics les plus inefficaces qui soient, experts en gaspillages, et dont les résultats en matière de chômage, de sécurité ou d’éducation sont inversement proportionnels aux sommes engagées. Pas sûr que l’économie s’en porte mieux !
Ces deux remarques liminaires ne sauraient constituer une justification morale de la fraude. En effet, l’Etat compense le manque à gagner qui en résulte par des taux d’imposition plus élevés sur ceux qui, par civisme ou par manque d’opportunité de contourner le code des impôts, paient le plein tarif. L’équité vis-à-vis de ces contribuables honnêtes impose donc que des dispositions concrètes soient prises pour limiter la fraude.
Aussi le CPO préconise-t-il un renforcement des contrôles visant à dissuader les candidats tricheurs, via une meilleure interconnexion entre fichiers des différentes administrations et plus de coopération internationale.
On peut toutefois douter qu’un surcroît de coercition produise le moindre résultat tangible. En effet, les services du Trésor public entretiennent déjà une relation quasi inquisitoriale avec des contribuables qu’ils peuvent soumettre à des investigations hors de tout contrôle judiciaire. Ils peuvent renverser aisément la charge de la preuve au détriment des justiciables, et n’engagent pas leur responsabilité civile lorsqu’ils émettent des redressements abusifs, ce qui arrive hélas souvent, afin de pousser des contribuables de bonne foi à accepter des transactions iniques pour en finir avec des contrôles qui relèvent parfois de la persécution.
Malgré cet arsenal répressif, que d’aucuns jugent indigne d’une nation qui se veut démocratique et aime à se dépeindre comme le berceau des droits de l’homme, l’administration fiscale ne parvient déjà pas à éviter que de très nombreux contribuables tentent de fuir un impôt qu’il jugent excessif. Lutter contre la fraude par la seule augmentation de la répression est voué à l’échec tant que les Français les plus taxés se sentiront spoliés par l’impôt. Cela favorisera les montages financiers offshore et le mal-investissement dans les niches fiscales légales, découragera un peu plus l’esprit d’entreprise, tout en détériorant la relation déjà fort mal en point entre l’Etat et les citoyens.
Or, il existe bien un moyen bien plus efficace de lutter contre la fraude. Il s’agit d’en réduire les incitations. Notre système fiscal doit se transformer, en réduisant considérablement sa progressivité et en adoptant des impôts à taux marginaux faibles, voire des taxes à taux uniques (souvent appelées « flat tax »), sans la moindre exemption ni échappatoire, en remplacement de nombreuses usines à gaz fiscales actuelles. A ceux qui affirmeraient que de tels impôts sont injustes - mais qu’est-ce que la justice, concept ô combien subjectif, en matière fiscale ? -, l’on peut répondre qu’ils sont efficaces : tous les pays qui ont adopté des réformes similaires ont vu leur croissance et leurs recettes fiscales exploser, avec une participation accrue des plus riches au produit fiscal total.
En effet, de tels impôts sont non seulement difficiles à contourner, faute de niches fiscales, mais les contribuables les plus aisés ne trouvent plus d’intérêt à risquer d’affronter la justice de leur pays pour échapper à un taux d’imposition généralement inférieur à 20%. La croissance résultant de cette incitation au succès économique s’est en outre traduite favorablement par une réduction du chômage et donc une augmentation des revenus des plus modestes. Ces « flat tax » sont donc reconnues comme socialement positives par les pays qui l’ont testée, notamment presque tous les ex-pays de l’Est.
Irréaliste ? Voire ! Peu de français savent que le produit de l’impôt sur le revenu ne représente que 7,5% des sommes déclarées, ou 9,5% des sommes déclarées et considérées imposables. Une CSG à 10% rapporte aujourd’hui bien plus que l’IRPP. Un impôt sur tous les revenus à taux unique d’environ 18% - au dessus d’un seuil de revenu totalement exempté correspondant aux ménages modestes - sans aucune niche fiscale, permettrait de rapporter au budget de l’Etat au moins autant que la somme de l’actuel impôt sur le revenu, de l’ISF, des droits de succession, et surtout des impôts locaux. Or, bien que ce fait soit peu rapporté aux Français, ces prélèvements locaux sont les plus injustes qui soient puisqu’ils engloutissent une fraction du revenu des ménages modestes plus élevée que celle demandée aux ménages aisés : des impôts régressifs, en quelque sorte.
Cette proposition de réforme, pour être politiquement acceptable, devrait s’accompagner d’une baisse drastique des dépenses publiques, qui pourrait être répercutée sur le taux de TVA. Elle permettrait de substituer un impôt proportionnel à d’autres taxes, l’une progressive et les autres régressives, tout en réduisant les taxes à la consommation qui obèrent le pouvoir d’achat des plus modestes, tout en créant plus de croissance, ce qui combattrait efficacement le chômage. Ceci devrait pouvoir être expliqué aux Français, avec un peu de courage politique.
Mais non : les candidats à la présidentielle - à la notable exception du, hélas, peu médiatisé Edouard Fillias - se contentent d’ignorer le rapport du Conseil des prélèvements obligatoires, ou alors en tirent comme seule conclusion qu’il faut renforcer la lutte contre la fraude. Il est éminemment regrettable qu’une classe de politiciens incapable d’innovation ne saisisse pas l’occasion du débat présidentiel et de la parution d’un tel rapport pour proposer un changement radical de paradigme fiscal.
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