Analyse du discours de Jean-François Copé sur les retraites, dans l’émission À vous de juger, sur France 2.
Jean-François Copé était invité d’Arlette Chabot dans l’émission
À vous de juger sur France 2, le jeudi 10 juin 2010. Si le cœur vous en dit, la vidéo est
sur le site de France Télévisions.
Les sujets politiques abordés se sont concentrés sur les retraites. L’occasion pour Jean-François Copé d’user de mensonges, indispensables pour essayer de faire passer la pilule. Comme dirait Libé, désintox.
Au bout d’un peu plus de 24 minutes d’émission, Copé déclare : « Celle [la génération] qui rentre à l’âge de la retraite, c’est les enfants du baby-boom qui sont nés, en 1950 et après. Il est normal, parce qu’ils ont profité du travail de reconstruction de leurs aînés, et que l’espérance de vie a énormément progressé, qu’on remonte l’âge de la retraite. Parce qu’on n’a pas d’autre solution. Sinon ça veut dire qu’il n’y a plus assez d’actifs pour payer les retraités, c’est diviser par 2 par rapport à il y a 30 ou 40 ans ». On passera sur le sous-entendu selon lequel la génération actuelle aurait grassement profité du travail de reconstruction de ses aînés, sans avoir elle-même contribué à quoi que ce soit.
Donc d’après Copé l’espérance de vie aurait « énormément » progressé. Chic, alors ! Certes, mais depuis quand ? Bon supposons, que M. Copé soit un homme raisonnable (ce qui est une hypothèse forte !) et qu’il se réfère à une augmentation dans les 50 dernières années.
Il nous reste alors à consulter les données disponibles. C’est une chance car l’INED a
publié un document retraçant l’historique de l’espérance de vie en France. Intéressons-nous à l’espérance de vie à 60 ans, c’est-à-dire le nombre d’années qu’il reste à vivre une fois atteints les 60 ans (l’espérance de vie à la naissance n’est pas intéressante, pour être concerné par la retraite encore faut-il atteindre les 60 ans, au moins !). Ce document de l’INED nous apprend que l’espérance de vie a atteint en 2004, 26,5 ans pour les femmes et 21,5 ans pour les hommes, soit une augmentation de 7,7 ans et 6 ans, respectivement depuis 1954. Alors pour résumer en 50 ans l’espérance de vie à 60 ans, a crû d’environ 7 ans. Voilà l’«
énorme » progression de l’espérance de vie.
En raison de cette phénoménale progression de l’espérance de vie, Copé propose juste après de repousser l’âge de la retraite à 63 ans en 2020. Génial, non ? On a gagné 7 ans d’espérance de vie en 50 ans, et il faut déjà être prêt à en mettre 3 de côté d’ici 2020 !
Être à la retraite c’est une chose, mais être en mesure d’en profiter en est une autre. Qu’en est-il de l’espérance de vie en bonne santé ? Là c’est
l’INSEE qui nous renseigne et qui nous indique que en France, en 2007, elle est de… 63,1 ans, à la naissance ! Comme il est gentil M. Copé ! Il nous laisse en moyenne 0,1 an à la retraite, en bonne santé. On dit quoi ? Merci, JF !
Mais Jean-François a plus d’un tour dans son sac. Il ne tient pas absolument à reculer l’âge de la retraite, c’est juste qu’on n’a pas le choix…
« Ceux qui vous disent : + On touche pas à l’âge légal de 60 ans +. C’est en réalité d’une hypocrisie insensée. Moi je préfèrerais qu’ils disent la vérité jusqu’au bout. Si vous touchez pas à 60 ans. Ben en fait vous faîtes quoi ? Vous allez tout simplement baisser le niveau des pensions, c’est tout. Parce que ça veut dire que les gens n’auront pas assez d’annuités à 60 ans, donc ils auront une décote énorme. »
Par un magnifique tour de passe-passe, Copé nous explique qu’avec la retraite à 60 ans, on se fait rouler dans la farine ! Heureusement qu’il était là pour nous reculer l’âge de la retraite ! Puisque Jean-François insiste, on va la dire « jusqu’au bout » la vérité. Et la vérité c’est qu’actuellement, à partir de 60 ans, on peut partir à la retraite sans décote si on a cotisé suffisamment longtemps. Cela concerne principalement les personnes ayant commencé à travailler tôt. Mais rien n’impose de partir à 60 ans. Il y a une seconde limite qui est 5 ans plus tard, à 65 ans, et qui permet d’avoir une retraite pleine quel que soit le nombre d’années durant lesquelles on a cotisé. Personne ne serait donc lésé avec un âge légal de départ à la retraite à 60 ans !
En revanche, en repoussant l’âge à 63 ans, on impose à ceux qui ont commencé tôt de cotiser plus que nécessaire ! Et on repousse également l’âge de 65 ans à 68 ans pour partir à la retraite sans pénalité, si le nombre d’annuités n’est pas suffisant. Alors, elle n’est pas belle la vérité ?
Mais un autre problème se pose (pas qu’un seul, mais il faut essayer de ne pas faire trop long !) si on repousse l’âge de la retraite. On sait bien que les « séniors » sont mis à la porte, au bénéfice d’employés plus jeunes. Ainsi
l’âge moyen de sortie du marché du travail est d’environ 59 ans, en France. Si on recule l’âge légal de départ à la retraite, on laisse donc les gens plus longtemps au chômage ce qui n’est pas souhaitable pour eux et ce qui n’arrange en rien les caisses de l’État. Mais heureusement, Jean-François a une solution :
« Il faut maintenant que les entreprises se mettent dans la tête de ne plus regarder un salarié de 52 ans en lui disant + Ah dis donc, t’as 52 ans, faut que tu regardes ta montre tu vas bientôt partir + »
On se demande comment on n’y avait pas pensé avant ! Allez, soyons fous deux secondes et imaginons que la méthode Copé fonctionne pour l’emploi des séniors. Que se passera-t-il ? Hé bien à la place d’employer quelqu’un de plus jeune, on gardera le sénior.
C’est ce qui est en train de se passer. La seule solution à l’emploi des séniors est la lutte contre le chômage, mais encourager seulement l’emploi des séniors augmentera le chômage d’une autre catégorie de la population, ce qui n’est pas plus acceptable.
Allez, encore un effort M. Copé, je suis sûr que vous pouvez encore améliorer un peu vos arguments. Bon, il faut reconnaître que vous n’aviez pas besoin de forcer, vous n’aviez qu’Arlette Chabot en face pour vous passer les plats poser des questions.