Corinne Lepage, c’est qui ?
Le nom vous dit vaguement quelque chose, mais euh, non vous ne savez pas. Faites le test chez votre buraliste, sur un marché, avec la secrétaire qui squatte la photocopieuse « Corinne Lepage » c’est flou pour tout le monde, ou presque..

Bien-sûr, les gens de CAP 21 et du MODEM la connaissent. Comme tous ceux qui suivent l’actualité politique et se souviennent de son claquage de porte mémorable de la direction du MODEM après qu’elle eut épuisé tout son entourage autour de valses hésitations qui débutèrent officiellement un peu avant les universités de la Grande Motte de 2009 : je fais quoi, je pars, je reste, je fais un putsch ? Ceux qui la croyaient muée par un quelconque pouvoir manichéen en furent pour leur frais. La cuisine politique, ça n’a jamais été son truc.
A l’issue des élections Régionales de 2010, le divorce d’avec le Mouvement Démocrate fut tout de même consommé. Elle critiqua Bayrou, devenu trop dirigiste, trop ceci, trop cela, alors qu’elle-même était au cœur de l’exécutif.
C’est bien là le problème de Corinne Lepage : une image floue dans l’échiquier politique français parce que le personnage se laisse très mal enfermer dans les appareils. Elle apparait sur la Droite, disparaît sur la Gauche, réapparaît au Centre et disparaît à nouveau. Puis on la retrouve mélangée aux militants d’Europe-écologie venus aux universités des Verts pour préparer 2012.
Des va-et-vient qui épuisent celles et ceux qui essaient de la suivre. Et c’est ainsi depuis le début.
A l’origine, Corinne Lepage est avocate et se présente elle-même comme une experte en Environnement. Les professionnels de la profession vous le confirmeront tous : elle possède une profonde connaissance du droit de l’Environnement et a une vision pertinente sur tout ce qui a attrait au développement durable. C’est d’ailleurs l’une des fondatrices de Génération écologie.
Corinne Lepage aime également la politique, qui le lui rend mal : le suffrage universel lui a toujours été fatal. Et ce n’est pas faute d’avoir essayé !
Son engagement politique débute aux législatives de 1993 où elle réalise un assez mauvais score : elle se présentait alors dans la quatrième circonscription du Calvados, contre une candidate UDF soutenue par le baron local Michel d’Ornano. Ce baptême du feu ne la découragea pas. Par la suite, elle tentera sa chance à chaque élection.
Elle se présente à nouveau aux législatives de mai 1997 (après que de Villepin ait convaincu Jacques Chirac de dissoudre l’Assemblée Nationale) sous une bannière Divers Droite (!) et perd de 10 points contre son challenger PS.
Elle conduit une liste indépendante, aux Régionales de 1998, mais n’obtiendra aucun siège.
Elle se présente aux Présidentielles de 2002 mais fera un score confidentiel de 1,88%.
Aux Régionales de 2004, elle misera cette fois-ci sur André Santini et se présentera en tête de liste à Paris où elle arrivera en troisième position. Evidemment, Santini lui annonce qu’il fusionne au deuxième tour avec la liste UMP. Tout le monde sait que la tradition à l’UDF (depuis toujours) est de s’allier à un candidat de droite au second tour. Tout le monde, sauf elle. Elle refuse le deal et disparait. Les Centristes lui en garderont toujours une certaine rancune.
Aux élections européennes de juin de la même année, elle recueille 3,61% de voix en Ile de France.
C’est le paradoxe de Corinne Lepage : la politique est son truc sans l’être véritablement. Elle ne se sent pas à l’aise dans les partis. Ca va à l’encontre de ses idées.
Elle est née en politique au moment où il était beaucoup question de faire entrer aux affaires des personnes de la société civile. Une mode qui est apparue avant la parité et qui s’est poursuivie depuis avec des fortunes diverses.
Elle y a tout de suite cru. Cela correspondait assez bien avec son engagement sociétal et son tempérament. Elle s’est dit qu’elle pourrait faire bouger les lignes sans le positionnement militaire approprié. Et oui, car dans « militant », il y a le mot « militaire », donc forcément une chapelle, une secte, une ligne de parti qui lui échappe. Un truc un peu trop masculin à son goût, pour cette intellectuelle qui n’aime jamais autant que les femmes. En 2005, elle fait partie des signataires qui appellent à un « nouveau combat féministe » et se rapproche de l’association Ni putes, ni soumises. Elle est comme ça : elle a plutôt tendance à faire confiance aux femmes qu’aux hommes.
Pourtant, c’est Alain Juppé qui sera le premier à lui tendre la main en lui proposant le ministère de l’environnement en mai 1995. Tandis que les Jupettes s’évaporent le temps d’un remaniement, Corinne Lepage tient bon la barre de son ministère et y restera deux ans et un mois.
De son passage au Boulevard Saint-Germain, il restera un projet de Loi sur la pollution urbaine qui sera adopté et mis en place l’année suivante.
Faute de la situer clairement dans une famille politique, on découvre alors la force de ses convictions : la Ministre refuse de signer un décret autorisant le redémarrage de Superphénix, un réacteur nucléaire qui avait cessé de fonctionner trois ans plus tôt et qui avait fait régulièrement controverse dans le débat politique français depuis sa mise en service en 1985. La Gauche et les écologistes applaudissent. La Droite s’étrangle.
Après la dissolution de 1997, elle s’affiche sous une étiquette Divers Droite et s’active dans son Club de réflexion Politique CAP 21 (Citoyenneté, action, participation pour le XXIe siècle) qu’elle a créé un an plus tôt. Sans doute sa meilleure contribution jusqu’ici, au débat politique français. On y parle environnement, laïcité, réchauffement climatique et développement durable, loin des gesticulations des Verts et du versant people d’un Nicolas Hulot.
Quinze ans plus tard, elle a toujours le même mode opératoire en politique, qui la confine à la marge, à la confidentialité, au parcours erratique.
En 2007 elle a rejoint le MODEM. D’abord parce qu’elle été un temps sous le charme intellectuel de François Bayrou. Elle apprécie l’homme de lettres cultivé, à des années lumières de Nicolas Sarkozy. Ensuite, parce qu’elle le connait bien : ils se sont rencontrés en 1995 dans le gouvernement d’Alain Juppé.
Elle rejoint le Mouvement Démocrate, également persuadée que Bayrou donnera à l’écologie « toute l’importance qui lui revient ».
Elle en sera vice-présidente, et mettra en place des commissions de réflexion et décrochera son premier mandat de député européen.
On connait la suite. Elle était venue avec les adhérents de son club politique Cap 21 et repartira avec ; après qu’une large majorité d’entre eux se soient prononcés pour son retrait du Mouvement Démocrate.
Ceux qui affirment qu’elle s’est servie du MODEM pour s’offrir un poste de député et faire fructifier son club politique se plantent ou sont de mauvaise foi. Elle y a bossé et y a cru vraiment… au moins pendant un an et demi.
Personnellement, je suis de ceux qui pensent que le MODEM a perdu un œil avec son départ.
Corinne Lepage est atypique. Son parcours, elle l’a bâtit à la faveur de rencontres. C’est une cérébrale ; une femme de dossier aux discours bien écrits, souvent très justes.
Son engagement et sa vision cohérente d’une approche globale mêlant économie et environnement sont ses deux principaux atouts ; son éclectisme et son instabilité constante sont ses deux principaux points faibles.
C’est une femme qui comme en amour, n’aime que les préliminaires. Mais lorsque les choses s’installent, se construisent et avancent, elle commence à s’ennuyer discrètement.
Elle commence par déléguer activement les tâches qui l’emmerdent, puis l’ensemble des dossiers, jusqu’à finir par disparaître et ne plus répondre au téléphone.
Lorsqu’on commence à lui courir après, c’est assez mauvais signe.
Dans une entreprise, elle aurait été une excellente Chef de projet. Mais ne lui demandez pas de mettre les mains dans le cambouis ; elle a horreur de ça.
Elle aime les rencontres qui la séduisent et l’éblouissent. Dans une autre vie, elle se serait bien vue suffragette, amie de Simone de Beauvoir, ou signant Le manifeste des 343 salopes en 1971. Mais elle n’était pas née, ou beaucoup trop jeune. Les années 80 sont plus pragmatiques, le principe de réalité a détrôné les luttes d’avant les Grands soirs.
On préfère aux visionnaires humanistes, les gens qui possèdent une véritable expertise. En cela, sa double-casquette d’avocat et d’environnementaliste, lui va comme un gant. Elle fait d’une pierre deux coups : choisir les affaires qu’elle veut défendre, à l’ombre de son mari qui s’occupe du reste, et défendre les causes qui l’intéressent (L’Amoco Cadiz, les victimes du passage de la tempête Xynthia).
Sa caste est celle de la bourgeoisie intellectuelle plutôt que celle de l’argent. Mais vous savez tous comme moi que pour penser, écrire et se bâtir une éthique au quotidien, mieux vaut ne pas avoir de soucis de fin de mois. Ses positions sociales et sur la santé notamment, sont nettement moins engagées et renvoient plus au discours politique et rhétorique habituel.
Affirmer qu’elle aurait le goût des autres, serait un peu exagérer. Si elle aime les gens qui l’enrichissent intellectuellement, elle n’aime pas trop le morne quotidien des relations amicales ou politiques. Ces relations du second type sont toujours d’ordre utilitaire et tournent vite à l’aliénation. Elle s’entoure d’un aéropage de collaborateurs, piqués ici ou là, dont elle tire un maximum, très souvent à peu de frais. Elle pêche ses victimes dans le marécage politique où on trouve aisément les compétences, les diplômes et une certaine forme de désœuvrement social qui rime avec disponibilité et abattage massif de travaux en tout genre.
Lorsqu’on lui fait la remarque, elle répond benoitement qu’elle est une « petite candidate », ayant peu de moyens mais qu’elle donne en contrepartie facilement sa confiance à l’autre et sa simplicité d’approche qui séduisent d’emblée, les militants habitués à ce qu’une barrière invisible les sépare de leur leader. En ceci, elle est tout l’inverse d’un François Bayrou.
En 2012, Corinne Lepage aura soixante et un an. Sans doute réintégrera-t-elle une fonction de ministre si on lui demande. Si la couleur politique n’est pas trop prononcée. Elle ne fera rien de mieux, ni de moins bien, ni même de différent de ce qu’elle n’a déjà accompli.
Et même si ses amis la poussent à quelques aspirations électorales, il y a très peu de probabilité qu’elle réitère des scores distincts de ceux réalisés antérieurement.
Corinne Lepage restera une femme de dossier, aux engagements personnels. Une intellectuelle dont la bonne idée restera la création de CAP21. D’ailleurs Terre Démocrate est à ce jour toujours une coquille vide qui semble faire double emploi avec son club politique originel et qui n’existe que comme outil politique mis à sa disposition, à la faveur d’un accord improbable du côté des Verts et d’Europe-Ecologie.
Bien entendu, il n’y aura jamais d’accord, ni de partenariat avec les Verts, car là-bas personne ne l’attend, lorsque d’autres vont jusqu’à s’en méfier ouvertement. Et puis de toute façon, ces gens-là ne s’entendent pas eux-mêmes.
Au fond je soupçonne Corinne Lepage d’être un peu comme moi : de ne pas aimer les écologistes militants et leur appareil. Mais préférer travailler dans l’ombre, avec de véritables moyens politique qui lui évitent l’écueil des grosses machines guerrières qui sont peu efficaces, qui font beaucoup de bruit et auxquelles elle ne comprend rien.
Crédit photo : Courtesy Sylvie Brenez. Tout droit réservé
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