Coup de force à l’Agence de biomédecine ?
Y a-t-il eu un coup de force dans le monde feutré de la recherche ? C’est sous un titre particulièrement doucereux : « l’Agence de la biomédecine change de directrice », que le Figaro annonçait le 22 novembre 2005 la mutation forcée et inattendue de Carine Camby, actuelle directrice de la toute nouvelle Agence de biomédecine. Ce coup de force est d’autant plus remarquable que cette spécialiste particulièrement reconnue et appréciée pour ses compétences sera remplacée par Claire Legras, conseillère technique, sur les questions de santé, assurance maladie, famille et dépendance, du Premier ministre, Dominique de Villepin lui-même. Beaucoup craignent l’arrivée de cette « idéologue féroce », selon le mot de Marc Pechanski (Inserm Paris). D’autres y voient un message fort à l’adresse des chercheurs. La question est : quelle est la nature de ce message ?
C’est le 10 mai 2005 que cette agence a été officiellement installée après la parution d’un décret, le 4 mai 2005. Cette création était prévue par la « loi de bioéthique » du 6 août 2004. La surprise a été totale, surtout pour la principale intéressée : « Je ne l’ai pas senti venir », reconnaît Carine Camby.
On est en droit de se demander ce qui justifie une telle décision. On nous répondra que de telles nominations n’ont pas à être justifiées. Néanmoins, alors que le milieu de la recherche français sort à peine d’une crise profonde, alors que nos dirigeants politiques font de la rhétorique sur la nécessité de continuer à assurer une place de leader mondial à la France dans le domaine de la recherche médicale, une telle décision ne peut que constituer un coup de tonnerre dans un monde feutré. Elle montre en effet qu’il n’y a aucune cohérence entre les discours et les actes, et que ces derniers font la part belle aux intérêts particuliers.
C’est ainsi que plusieurs spécialistes de la recherche sur l’embryon ou sur les cellules souches et la thérapie cellulaire se sont dits, mardi matin, choqués et inquiets d’ apprendre le probable remplacement de la directrice générale de l’Agence de biomédecine.
Il faut dire qu’au-delà de l’acte lui-même, la manière dont cette décision a été prise et annoncée a de quoi surprendre. Ainsi, alors que Carine Camby devait s’exprimer mardi lors d’un colloque de l’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques sur les cellules souches, elle a fait savoir qu’elle ne serait pas présente, selon le député Alain Claeys (PS, Vienne).
Plusieurs spécialistes présents à ce colloque se sont exprimés sur ce sujet, durant le colloque et devant la presse. "C’est scandaleux", a affirmé le Pr. Philippe Ménasché, de l’Hôpital européen Georges Pompidou à Paris, sortant de sa réserve de chargé de mission ministériel sur les cellules souches. Selon lui, « c’est un coup d’arrêt de six mois à un an" et "c’est un coup porté à la recherche sur les cellules souches » alors que « Carine Camby avait une compétence reconnue par tout le monde et était très impliquée »
Marc Peschanski de l’Inserm estime que cette affaire constitue une "nouvelle démonstration d’une dysfonction grave du gouvernement, digne d’une république bananière". "On décide de placer quelqu’un qui faisait partie d’un cabinet ministériel en le nommant à la tête d’une agence sans savoir s’il a des compétences".
Beaucoup s’inquiètent en effet de la réelle compétence technique et des positions de la nouvelle Directrice, Claire Legras. Pourtant son parcours n’est-il pas exemplaire ? D’abord au Conseil d’État (avril 1999-juin 2003) puis au cabinet de Jean-François Mattei (juillet 2003-mars 2004), elle a pris des positions marquées face aux ouvertures de la loi de bioéthique votée en août 2004.
Le Pr. René Frydman - qui a réalisé la fécondation in vitro du premier bébé éprouvette français - se montre lui-même particulièrement inquiet, en raison « des positions rétrogrades au sujet du progrès scientifique » de Claire Legras.
Le milieu associatif s’est également montré inquiet, par le biais de Roger Picard, porte-parole de la Fédération d’associations de malades atteints de maladies rares, Alliance, qui siège actuellement au comité ad hoc qui autorise les importations de cellules souches, a dit lui aussi son inquiétude quant à l’avenir des recherches sur ce sujet.
En compensation de cette destitution, Carine Camby aurait reçu la proposition de prendre la présidence de l’Etablissement français du sang, nomination qui pourrait intervenir fin novembre ou début décembre.
Triste consolation, pour une triste décision, pour cette personne de valeur qui doit entendre résonner les propos que le ministre de la santé avait tenus lors de l’inauguration de l’Agence de la biomédecine, le 10 mai dernier : « Les progrès de la biologie ont permis d’améliorer considérablement les techniques diagnostiques et thérapeutiques. Mais leurs applications médicales de plus en plus complexes doivent être mises en œuvre dans des conditions qui garantissent à la fois leur qualité, la sécurité sanitaire et le respect de la personne », comme l’annonce du glas qui vient de sonner pour elle. Carine Camby espère juste « ... que dans ce changement envisagé, il n’y a pas de reproche adressé à l’Agence et à sa direction ... » et d’ajouter : « Je regrette que ce changement intervienne à un moment où l’agence n’a pas encore été stabilisée ».
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