Course de surplace
Il n’aura même pas fallu attendre l’Epiphanie et les Rois Mages pour enregistrer ce que de nombreux commentateurs dénomment l’accélération de la campagne C’est en effet à la Une de Libération que François Hollande délivre dès ce 3 janvier son adresse aux Français associée immédiatement à un droit de suite au 20 heures de France 2. La plume est assez solennelle et ceux qui évoquaient une léthargie du vainqueur de la primaire PS devraient réviser leur jugement. Il y a dans sa manière de mener cette campagne tout sauf de l’improvisation. Au contraire, semble-t-il, un choix délibéré de maîtriser le calendrier. Ce choix est-il le bon, l’avenir nous le dira. François Hollande ne veut pas prêter le flanc à la critique avec un projet trop vite défloré et par ailleurs très difficile à figer tant les conditions économiques et sociales demeurent délicates et fluctuantes à la fois sur le plan intérieur et international. Pour l’instant le candidat articule cette première partie de campagne autour des critiques envers Nicolas Sarkozy, rien de bien nouveau, et sur le maître mot d’un changement nécessaire. Le seul bémol dans cette histoire c’est qu’en matière de changement, pour l’instant il est difficile de distinguer autre chose qu’un changement d’homme. Alors que c’est sans doute d’un changement de « modèle », d’époque qui est plus attendu.
Cette aspiration au changement il la résume d’ailleurs en une phrase assez éclairante _« La dépression économique est là, l’angoisse sociale est partout, la confiance nulle part. Posons d’ores et déjà la bonne question à ce sujet : plutôt que de reconduire un président qui aurait tellement changé, pourquoi ne pas changer de président, tout simplement ? »_ Certes la formule est belle mais il n’y a rien dedans. Dans la même veine on retrouve _ « C’est cette responsabilité qui m’incombe. Celle de permettre le changement. » Ce début de campagne est donc pour l'instant basée _ des deux côtés _ presque uniquement sur le « rejet de l’autre » et a beaucoup de mal à s’engager autour d’une adhésion à un projet politique véritablement neuf. C’est un peu une course de vitesse dans un vélodrome quand les deux adversaires s’observent du haut du virage en équilibre sur le pignon fixe. Pour éviter la première place au moment du lancement final, il est admis que les deux coureurs effectuent du « surplace » dans une zone délimitée pour obliger l'autre à passer devant. C'est pourquoi les analystes vont un peu vite en besogne lorsqu'ils évoquent l'accélération ! Nous n'y sommes pas encore. Ne pas dévoiler son projet sous prétexte d'une phase d’observation du camp d’en face relève aussi davantage du calcul électoral que de la conviction politique.
C’est une phase peut-être nécessaire ? Mais elle ne peut durer sans dommages. François Hollande assure d’ailleurs que sa plateforme électorale sera dévoilée fin janvier ou tout au plus dans les premiers jours de février. Insistant sur la nécessité du « rêve », il faudra bien qu’il lui donne tôt ou tard un contenu. Quand il évoque un devoir de vérité : _« Je ne serai pas le président qui viendra devant vous six mois après son élection pour vous annoncer qu’il doit changer de cap, qui reniera ses promesses faisant mine de découvrir que les caisses sont vides »_ on distingue déjà mieux l’étroitesse de la marge de manœuvre, l'esquisse étriquée du rêve possible. Surtout, nos concitoyens, plus que du rêve désirent du résultat et immédiat. Il faudra donc encore patienter un peu. Cependant certains des axes de la primaire ont été à nouveau repris : la jeunesse, le contrat de génération, le refus de la TVA sociale, la réforme fiscale intégrant CSG et impôt sur le revenu.
A ce petit jeu du surplace les deux protagonistes, qui se croient déjà en finale, ne risquent-ils pas de voir démarrer de très loin un Bayrou qui, c’est un comble, n’a pas de mots assez durs pour condamner le fonctionnement des institutions européennes dont Sarkozy et Hollande se gardent bien de parler. François Bayrou délivre ses vœux sur une estrade ou seul figure le drapeau Français _ pas de drapeau européen_ et l’européen convaincu se transforme tout à coup en eurosceptique haut de gamme. Avec des accents presque souverainistes il défend le « produire en France » et va même jusqu’à prononcer : « Il est un fait essentiel que tous ces esprits négligent : la solidarité est uniquement nationale. Elle n’est financée que par les ressources de notre pays, pas des pays voisins, même européens. ( …) Notre système de santé et de retraite n’est financé que par les cotisations sociales qui ne proviennent que du travail réalisé en France. » Des accents qui feront sourire les « anciens » comme moi, mais qui peuvent abuser les néophytes. Dupont-Aignan n'a plus besoin de chercher des signatures de parrainage !
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