Créons un groupe de travail
A ma grande honte, la création de la RGPP m’avait totalement échappé en 2007. Des déclarations gouvernementales récentes, à l’issue de la tenue du deuxième Conseil, comme quoi la réduction des dépenses publiques s’appuierait sur les travaux du CMPP, ont ressuscité mon attention défaillante. De grands mots comme « rigueur » ont fusé. Pour comprendre de quoi il s’agissait, je me suis tapé les 180 pages du premier rapport d’avancement. Le lecteur trouvera ici quelques notes et impressions de lecture disparates.
Résumons d’abord le projet. La « révision générale des politiques publiques » est une démarche interministérielle de rationalisation de l’Etat. Elle est décrite sur un site particulier, dont toutes les informations présentées ici sont extraites. Elle est pilotée par un Conseil de la modernisation des politiques publiques, présidé par le président de la République, et suivie par un Comité de suivi constitué d’une brochette de hauts fonctionnaires et singulièrement d’un représentant de la « société civile », M. Pébereau.
Le premier Conseil a eu lieu le 12 décembre 2007 et a pris une première série de décisions. Le deuxième Conseil a eu lieu le 4 avril 2008, et a pris une deuxième série de décisions, et également évalué l’avancement de la première série. Le troisième aura lieu en mai 2008.
C’est l’annonce de certains éléments de la deuxième série, comme la fin des cartes de famille nombreuse SNCF, qui a provoqué quelques remous. Il me semble toutefois prudent de se méfier des effets d’annonce, au vu de la polémique qui a suivi cette décision. Cet article est donc consacré uniquement à la première série de décisions.
Pour que le lecteur qui n’a pas lu ce rapport puisse s’en faire une idée sommaire, je vais citer ici les décisions considérées par le rapport comme les principales par ministère, avec pour chacune un énoncé lapidaire, puis éventuellement en italique des extraits cocasses concernant l’état d’avancement.
Equipement
Restructuration du ministère
Fusion des directions régionales et des directions départementales
Agriculture
Restructuration du ministère
Fusion de l’AUP et du CNASEA, des établissements d’intervention agricole, des directions départementales, des organismes de suivi
Création de directions régionales
Immigration
Une seule instruction des demandes de naturalisation et de visas : un groupe de travail a été installé le 8 janvier, il s’est réuni à nouveau le 11 février. Une série de contacts a été établie avec la Commission européenne, et une réunion s’est tenue le 13 mars à Bruxelles
Intérieur
Informatisation de la délivrance de titres
Diminution du contrôle des collectivités territoriales
Justice
Restructuration du ministère
Regroupement des services territoriaux
Obligation du recours-précontentieux : une mission a été confiée à un groupe de travail
Allègement des procédures pénales : pas débuté
Etudes d’impact des lois : une première réflexion a été menée
Suppression du traitement du divorce par consentement et de contentieux routiers : la ministre de la Justice a installé le 18 janvier 2008 une commission
Premier ministre
Suppression de trois "Hauts Conseils" : le Haut Conseil du secteur public ne s’est pas réuni depuis 2002
Informatisation de renseignements et de publications
Culture
Restructuration du ministère
Regroupement des services d’inspection
Fusion de RFI, France 24 et TV5
Restructuration du CNC
Réorganisation de la gestion des musées, fusion de deux, transfert d’autres aux collectivités locales : au terme de plus d’une vingtaine de réunions, ayant associé tous les acteurs, la DMF, avec l’assistance méthodologique de Cap Gemini, a transmis à la ministre ses premières conclusions le 3 mars dans un cas, et dans un autre : les études de faisabilité sont toujours en cours
Défense
Vente d’immeubles
Fusion DSPRS/Onac : une équipe de projet, un comité de pilotage et une commission de suivi ont été créés
Economie
Fusion AII/OSEO
Budget
Informatisation des contrôles de fraude : Éric Woerth a entamé une série de déplacements sur le terrain en France afin de mobiliser les différents acteurs
Santé
Conditionnement de relèvements de tarifs conventionnés à la tenue d’objectifs globaux
Plusieurs points frappent à la lecture. Ils sont énumérés ci-dessous en vrac.
Les décisions ressortent pour la plupart du travail normal d’un cabinet ministériel. Les remonter à un Conseil interministériel public est sans doute à la fois leur faire trop d’honneur et ne pas leur faciliter la vie. Cela oblige à se demander si le Premier ministre délègue suffisamment ses responsabilités. Si tant est qu’il en ait, car on peut noter que Matignon est mentionné comme un ministère parmi d’autres. Tant qu’à faire, pourquoi pas l’Elysée ? Qui décide de quoi dans ce gouvernement ?
La langue de bois est un peu plus pompière que d’habitude. Il y a plein de bonnes intentions, une ambition mesurée, mais une déclinaison entre Courteline et Grand Cabinet de Conseil, ce qui est proche, mais avec un style moins percutant dans le deuxième cas. Le lecteur aura remarqué qu’un Grand Cabinet est explicitement cité dans le rapport, et le rédacteur ne peut s’empêcher de se demander combien la RGPP coûtera, et si l’on n’avait pas pu arriver plus directement à un résultat pareil, en s’appuyant sur des compétences existant et une organisation plus traditionnelle.
Ce texte n’a pas le niveau de maturité ni de synthèse pour une communication publique. C’est un texte de cuisine administrative interne. Si certaines de ces actions débouchent, voire produisent des résultats, il sera bien temps de s’en vanter, mais ce n’est visiblement pas mûr. Il est imprudent de dire au grand public que l’on s’agite en commissions et groupes de travail. Le souci de communication semble l’avoir emporté sur le souci de gestion.
Cette démarche semble beaucoup consister en un rebrassage des structures ministérielles. Il est logique que, par exemple, l’Equipement nouveau, le MEEDDAT, qui est la fusion de plusieurs ministères existant, ait besoin de se réorganiser en conséquence. Mais n’aurait-il pas mieux valu se poser la question avant de les fusionner, et le changement permanent des périmètres est-il bien rentable ? Pourquoi avoir alors, par exemple, séparé Finances et Budget et créé un ministère de l’Immigration ?
Sur le fond, la démarche suivie semble, malgré son jargon consultocratique, saine et de bon sens sur le principe. Mais il semble dangereux de vouloir rapprocher prématurément ce genre d’actions de la réduction de la dépense publique de fonctionnement. En effet, une restructuration d’administration ne diminue pas le nombre de postes. Au mieux, elle peut permettre de créer une structure favorable à une diminution future. Mais cette dernière ne proviendra que d’un décalage lent retraites/embauches. Et ceci ne crée une diminution de dépenses de fonctionnement que si les postes ne sont pas remplacés par une sous-traitance au même prix. Or, le rapport est sur ce point honnête : il précise bien que la moitié des postes dépendent de l’Education, mais ce ministère n’y figure pas, et les premières décisions le concernant ne sont pas censées y apparaître avant le Conseil de mai 2008. Les objectifs le concernant sont d’améliorer les résultats de l’enseignement. Il est difficile de faire un lien direct avec une baisse d’effectifs.
Quant au deuxième employeur, la Défense, on voit bien apparaître dans la deuxième série de décisions une notion de « mutualisation » de fonctions, et « d’externalisations » dont il reste à démontrer qu’elles coûteront ainsi moins cher (rappelons-nous le Walter Reed), mais la principale piste d’économies semble être la réduction du nombre de sites. Ca a été le cas aussi pour la Justice, avant la RGPP. Cela demanderait une reformulation de la doctrine de Défense que ce genre de démarche gestionnaire ne semble pas envisager.
Les choix significatifs en matière budgétaire, et donc politiquement difficiles, semblent pour la plupart reportés. Mais ressortent-ils vraiment de l’exécutif ?
Le rédacteur ne peut s’empêcher de rebondir sur le point d’apparence ridicule qu’est, dans le domaine de la Justice, « l’étude d’impact des lois ». Il s’agit d’obliger l’Assemblée à se poser la question, avant de voter une nouvelle loi pénale, de savoir quelle surcharge elle risque d’induire pour les tribunaux. De la part d’un parti gouvernemental qui a fait voter tous les six mois depuis 2002 une nouvelle loi pénale inutile après chaque fait divers, c’est de l’humour noir. Je serais très curieux de connaître aussi l’estimation du coût de traitement induit par la loi DADVSI.
Mais, tant qu’à faire, la question du coût des nouvelles lois devrait se poser et être traitée pour chacune. La quasi-totalité des lois sont d’initiative gouvernementale, mais ne sont accompagnées d’aucun devis sérieux, et l’on demande ensuite aux députés de voter un budget sans faire le bilan économique de l’action législative passée. Si la RGPP implique une révision des missions de l’Etat, sera-telle soumise à l’Assemblée ? Comment se fait-il que la LOLF ne soit presque jamais citée dans une démarche de « modernisation des politiques publiques » ? (Elle n’est citée que quatre fois sur l’ensemble du site dans des textes de détail.) Est-elle officiellement enterrée ? Combien a-t-elle coûté ? Ce détail du rapport illustre encore une fois l’état de subordination du législatif à l’exécutif.
Enfin, de manière plus anecdotique, le choix de M. Pébereau comme seul représentant de la « société civile » à haut niveau du projet me semble sujet à caution. Il est vrai qu’il a été le maître d’œuvre d’un rapport sur les finances publiques, mais qui n’a consisté finalement qu’en un plaidoyer pour la privatisation des assurances « santé » et « retraite ». Et ses fonctions de président du Conseil de surveillance de BNP, membre du Conseil d’AXA, administrateur de Pargesa (principal actionnaire de Suez), de Total, sans parler de Lafarge, Saint-Gobain et EADS, ne plaident pas entièrement pour un jugement serein. A moins qu’il ne s’agisse d’importer dans l’administration toute la compétence des banques pour la gestion saine et prudente ?
Bon, mais ce n’est pas tout, j’ai bientôt une réunion du Comité de pilotage de suivi de la simplification des Commissions de simplification des structures administratives, et il faut que je ponde encore une centaine de slides.
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