De crises en Crise, de dérives en déroute
La crise est dans toutes les têtes. Les médias, chaque jour, nous abreuvent en nouvelles catastrophiques : emplois détruits, entreprises suppliant les banques, banques suppliant l’Etat. Mais qui parle de l’origine de la crise ? Parce qu’il faudra bien en sortir de cette crise, or si nous n’analysons pas ce qui l’a provoquée, comment en sortir réellement et durablement ?
par JP
L’analyse habituelle
1 ) La « mèche » qui a fait exploser cette crise est d’abord financière. Les institutions financières américaines ont créé des produits financiers toxiques (par exemples les « fonds d’investissements à formule », les « crédits hypothécaires »), et distribué du crédit « empoisonné » à des clients aux ressources limitées. Les banques européennes, et notamment françaises, sont allées se promener sur le marché américain pour faire leurs emplettes, sans aucune analyse des risques, en totale imprudence. Aussi, toutes ces institutions financières se retrouvent avec des fonds dont elles ne peuvent à présent distinguer produits toxiques et non toxiques. Dans leurs échanges, chacun s’est diffusé des « virus » qui à présent bloquent la mobilité des capitaux.
Après une longue période d’irresponsabilité des décideurs financiers, ceux-ci, incapables de savoirs l’état réels de leurs ressources, se méfient de tous partenaires financiers et ainsi ont stoppé la création de crédits.
2 ) Le blocage des crédits a mis en périls nombre d’entreprises. De l’économie irréelle nous passons à la crise de l’économie réelle. Sans soutien des banques, de nombreuses entreprises périclitent. De même, les particuliers obtiennent très difficilement des crédits, la consommation, notamment le secteur immobilier, sont aussi bloqués.
3 ) Le chômage explose, conséquence directe de la crise industrielle. Provoquant ainsi baisse de la consommation, coûts sociaux, endettement, etc.
Les causes structurelles
Or, lire la crise par ce seul prisme c’est accepter le message univoque des gouvernants et des « responsables » économiques. On oublie ainsi bien facilement les responsabilités originelles et structurelles de la situation actuelle : la politique de certains gouvernements, l’irresponsabilité des décideurs financiers, l’incompétence d’acteurs industriels. En fait, la crise est équivoque et est le produit de nombreuses dérives.
1 ) La faillite d’un modèle politique
Depuis le début des années 1980, on nous a soulé de la réussite du modèle « néolibéral » des « néoconservateurs » américains (en France nous avions additionné économie administrée et irruption de la droite néolibérale, soient l’addition de leurs déficits, Etat devenu gros amis impotent). On nous parlait même d’une « révolution conservatrice ». De quoi s’agissait-il ? Trois mots clés pour ce courant : dérégulation, désétatisation et globalisation.
Dérégulation en supprimant le plus possible de règles pour les marchés financiers, laissant le particulier en relation directe avec ces marchés, pas de contrôles sur les flux et les produits financiers.
Désétatisation : car l’ennemi, c’est l’Etat, donc l’ensemble des citoyens ; et l’ami c’est l’individu, l’acteur économique, et progressivement l’actionnaire. L’Etat ne doit pas intervenir dans la politique économique, ne pas initier ou réguler, et dépenser le moins possible sur le plan social. La baisse des impôts des « riches » est un leitmotiv permanent, en prétendant que ces « riches » investiraient plus. L’argent pour l’argent, se cannibalisant puisqu’il faut sans cesse « intéresser » cet argent. La finance l’emporte sur l’industrie, les enjeux financiers de l‘entreprise l’emportent sur la création et les savoirs industriels.
Pendant ce temps se crée un fossé avec les catégories populaires et moyennes par la réduction de l’intervention de l’Etat, tout en endettant massivement cet Etat : car la note est payée essentiellement par les classes moyennes grâce aux baisses d’impôts des plus nanties et l’exemption des moins nanties !
Ce choix politique était celui de N. Sarkozy et de l’UMP : « bouclier fiscal », dépénalisation de la délinquance financière, amoindrissement de l’Etat, atlantisme.
Globalisation : l’identité culturelle, des cultures nationales, doit disparaître pour voir émerger des produits « standards ». Les frontières des Etats doivent s’effacer, seul le marché compte. L’Europe fut ainsi l’exemple même de la disparition de l’initiative politique pour créer un marché « pur » avec des produits uniformisés et des délocalisations massives. L’acteur idoine n’est plus le citoyen mais l’actionnaire : faire de chacun un actionnaire, sorte de communisme capitaliste au dépend du citoyen, du travailleur, du créateur.
L’intérêt seul de l’actionnaire compte, parfois à son détriment social. Les délocalisations s’imposent, la rentabilité financière importe plus que la création des produits et l’innovation. Perte des savoirs industriels, dépendance de l’Occident envers les manufactures asiatiques, Maghreb réduit à l’activité d’atelier (tel le Mexique par rapport aux Etats-Unis), Afrique noire réduite à ses matières premières.
2 ) Les décideurs financiers se sont totalement éloignés des réalités économiques, inventant toujours plus de produits inutiles pour soutirer l’argent du client, accroître la richesse des « déjà riches », s’engouffrant dans le « déjà rentable » sans plus jouer le rôle de capitaliste, c’est à dire de financeurs de projets industriels. L’illusion de l’économie tertiaire a rendu illusoire le progrès économique et social.
Après avoir allumé la mèche du fait de leur inconséquence, ces mêmes financiers vont pleurer auprès des Etats pour être « reconsolidés », eux qui ont fragilisé nos économies, eux qui dénonçaient ces mêmes Etats pour leurs règles… Incompétents et cyniques, ils ne méritent aucunement notre confiance et doivent être surveillés sans ménagement.
3 ) Les industriels portent de lourdes responsabilités dans cette crise. Tout d’abord ils ont préféré délocaliser leurs industries par le calcul à court terme de leurs rentes. Ils ont financé eux-mêmes les industries concurrentes, transférant leurs savoirs industriels, perdant ces savoirs. Ils ont provoqué un chômage structurel de masse parmi les ouvriers qualifiés, les techniciens et ingénieurs. Nous voyons encore nombre de ceux-ci profiter de la crise pour licencier, « rationnaliser », à peu de frais.
Enfin, ces soi-disant grands capitaines d’industries, qui ont vu leurs revenus exploser en 20 ans, ont été souvent incompétents. Qui produit à présent ordinateurs, téléphones mobiles, télévisions, mobiliers, vêtements, jouets, électroménager, etc. ?
Le summum est atteint au sein de la branche automobile. L’augmentation permanente du pétrole, les enjeux environnementaux de plus en plus prégnants pour les populations, auraient dû les inciter depuis au moins 15 ans à s’investir dans de nouveaux types de consommation, donc de moteurs. Or les industriels de l’automobile, notamment américains, ont produit des véhicule toujours plus gros et consommateurs.
Carlos Ghosn, que la presse économique aime vénérer, n’est-il pas ce patron qui dénonçait il y a peu encore (comme les dirigeants de PSA) l’ineptie des moteurs électriques ou à double carburation ? N’est-ce pas sous sa direction que Renault a sorti son premier « tout-terrain » quand d’autres abandonnaient ce segment ?
Aujourd’hui, combien d’Européens se retrouvent au chômage à cause de l’incompétence des dirigeants économiques ?
Bref, c’est la déroute du système.
Des pistes pour s’en sortir
1 ) Adopter une politique économique industrielle. Ce sont la création, l’innovation, la production de produits qui créent les richesses et sont pourvoyeurs d’emplois, donc de pouvoirs d’achats stables et conséquents. S’engager dans cette voie, c’est aussi rééquilibrer les balances commerciales.
2 ) Redonner à l’Etat son rôle d’initiateur et de contrôle
Initier les politiques industrielles par le soutien fort à la recherche, par l’investissement, par la coopération avec la dynamique du privé. Encore une fois, il faut sortir du carcan
« économie administrée » de la gauche et « manne divine du privé » pour la droite. Le retour du « plan », des grands projets associant Etat et entreprises, est la voie de l’efficacité et du progrès économique et social.
L’Etat doit aussi avoir les moyens de contrôler fortement les institutions financières afin qu’elles reviennent aux réalités. De même investir dans « l’inspection du travail » permettrait de reprendre en main les dérives de nombre d’employeurs. L’Etat doit retrouver sa fonction de régulateur, de « tuteur » de la société.
3 ) Imposer l’Europe
Les Etats-nation européens sont dans l’incapacité de vivre isolément. Ce serait pour eux la ruine de quitter le navire européen car le monde continuera de fonctionner, et nombre d’Etats dans ce monde se donnent les moyens pour s’imposer. Il est temps que les politiques européens cessent de mentir sur l’Europe, de la rendre responsable de leurs propres limites et dérives. L’Europe n’est pas une illusion, elle est une réalité culturelle et historique :
- en imposant une politique économique européenne, se basant sur les capacités industrielles et le partenariat Etat/entreprises privées, nous mettrions en place un modèle économique moderne, stable et efficace. Il s’agit donc de mutualiser l’existant de la recherche et industrie européenne (exemple de la Vendée ou du Pays basque espagnol), et promouvoir de nouvelles structures pour de nouvelles productions sur des axes stratégiques de l’Union Européenne
- en mettant en place une harmonisation des politiques fiscales : interdiction des paradis fiscaux, augmentation des tranches élevées, participation de tous les foyers fiscaux à l’impôt sur le revenu
- en défiscalisant les investissements s’inscrivant dans les projets industriels européens
- en mettant en place des projets industriels européens :
- nouvelles énergies (transports, climatisations)
- nouveaux produits écologiques (construction immobilière, agro-industrie)
- politique spatiale (pour de nouveaux systèmes d’information, et recherche de nouvelles énergies) C’est ainsi que les Européens éprouveront à nouveau confiance en l’Europe car elle leur sera devenue utile et réelle.
4 ) Agir sur le court terme
- en contrôlant les institutions financières, l’objectif doit être de fluidifier les échanges, permettre aux entreprises de retrouver des fonds et aux particuliers de consommer
- en permettant aux collectivités territoriales de retrouver des fonds pour initier de nouveaux chantiers
- en contrôlant les licenciements afin d’empêcher les abus
- en instituant un revenu minimum pour tous comme au Danemark, pour empêcher le « déclassement » des classes moyennes et populaires.
Encore une fois, ce sont les Démocrates qui peuvent permettre à nos économies de sortir de la crise. Le réalisme et la responsabilité doivent s’imposer sur une gauche devenue inutile et stérile. Le retour de l’Etat doit aussi mettre fin aux errances d’une droite « néolibérale ».
Raymond Barre se définissait comme un « centriste gaullien », cette définition me paraît plus que jamais « opportune ». Je vois en Jean Peyrelevade la continuation de ce réalisme économique. Et en dehors de François Bayrou, qui aurait le courage de conduire cette politique ?
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