De Gaulle, combien de divisions ?
A Colombey les deux Eglises, devant la tombe du Général, les barons du gaullisme affichaient une belle unité. A l’UMP-Les-deux-Eglises, c’est une tout autre ambiance qui règne ! Car Jacques Chirac et Nicolas Sarkozy défendirent ce jour-là, à des centaines de kilomètres de distance, deux interprétations radicalement opposées du gaullisme. Mais sont-elles vraiment si opposées ? C’est ce que nous allons examiner.
Le gaullisme : rupture ou continuité ? - Les deux, mon Général !
Le trait dominant dans l’histoire du gaullisme est la continuité des hommes et des idées que symbolise la croix de Lorraine, emblème des FFI et des FFL repris par tous les mouvements gaullistes d’après-guerre. Cependant dans les années 1960, de « jeunes loups » encouragés par Georges Pompidou forment une nouvelle génération. Ils prônent le pragmatisme et l’efficacité. En décembre1974, c’est un certain Jacques Chirac qui prend la tête de ce mouvement de rupture en faisant le coup de force : il prend en main le parti dénommé UDR et très vite, galvanisé par son succès spectaculaire, critique Valery Giscard d’Estaing. La vieille garde gaulliste se trouve aussitôt noyée sous le flot de nouveaux militants et ringardisée par cette nouvelle méthode. La rupture est consommée en décembre 1976 par la création du RPR. Ainsi Jacques Chirac incarna-t-il avant Sarkozy ce que ce dernier nomme la « rupture ».
« Le roi est mort ! Vive l’empereur ! »
« Le gaullisme, a dit un jour André Malraux, c’est comme le métro : on y rencontre tout le monde. » Pour Jean Charlot, le gaullisme est un mouvement qui repose sur un parti d’électeurs, de masse. Un parti attrape-tout, dirait-on aussi. Ne reconnaît-on pas ici la vocation de Sarkozy dans son action populaire de précampagne présidentielle ? La tendance dominante du gaullisme est de combattre tout dogmatisme pour privilégier le pragmatisme. Sarkozy ne se réclame-t-il pas de cette démarche, comme Balladur avant lui ? On trouve enfin dans le gaullisme une dose de bonapartisme. Là encore, ne voit-on pas se profiler la silhouette de Nicolas ? Sauf que ce dernier semble être passé à la vitesse supérieure en se sacrant tel Napoléon empereur de son parti dans une débauche festive et médiatique dont on se souvient encore. Depuis 1962, on reprochait à la Ve République d’avoir dévié en un système de république monarchique, voici que le nouveau postulant gaulliste à la fonction suprême se prend pour un empereur. « Le roi est mort ! Vive l’empereur ! »
Chacun porte sa croix... de Lorraine
Comme action politique, le gaullisme se caractérise par les institutions de la Ve République, le pragmatisme économique et social, la décolonisation passée, la réconciliation franco-allemande et la construction européenne. Chirac défend manifestement bien ces principes. Sur le plan des institutions, Jacques Chirac reproche à Sarkozy sa volonté de les rapprocher du système présidentiel. Les Etats-Unis ont un régime présidentiel...
Comme philosophie, le gaullisme est représenté dans sa forme épique par des auteurs comme André Malraux, Maurice Druon... Le gaullisme philosophique se caractérise plus prosaïquement par le volontarisme contre le fatalisme, l’action contre la contemplation : Sarkozy l’entend bien de cette oreille en déclarant à Saint-Etienne le 9 novembre : « Face au déclin de la France, on n’a jamais le droit de répondre : je n’y peux rien’’, a dit le président de l’UMP, citant un discours prononcé le 4 janvier 1948 par le Général à Saint-Etienne. La philosophie gaulliste fait prévaloir aussi la légitimité supérieure sur la légalité...
On le voit, le gaullisme est double, sinon multiple. Il n’y a donc aucune raison qui tienne pour qu’un camp de l’UMP s’en arroge le monopole, le « monopole du cœur » gaullien en quelque sorte. Et pourtant, Nicolas Sarkozy confiait dans Le Figaro « ne pas avoir été invité » aux commémorations du 36e anniversaire de la mort de l’homme du 18 juin.
De Gaulle et les deux Gaules
Dans la Gaule scindée selon le clivage traditionnel, il existe des gaullismes de droite et des gaullismes de gauche : A droite : Le gaullisme selon Pompidou et Chirac, qui défend l’idée d’une Europe comme puissance indépendante des Etats-Unis. Le gaullisme social et patriotique (Philippe Séguin, Nicolas Dupont-Aignan), plus orthodoxe. Le gaullisme « de gauche » (Louis Vallon, René Capitant).
Ode à la Ve République, par Jacques Chirac
Alors que François Bayrou plaide pour une réforme profonde des institutions, dans un sens plus parlementaire, que Nicolas Sarkozy réclame aussi leur toilettage, pour leur donner « un peu plus de souffle démocratique », le chef de l’Etat oppose sa force d’inertie à ces deux hommes pourtant chefs de partis. « Jamais la Constitution de la Ve République ne fut un obstacle à la modernisation de la France : depuis 1958, c’est elle qui la rend possible, face au conservatisme et aux extrémismes », dit-il. « Il faut à la France des institutions fortes et stables. » On pourrait se laisser convaincre si cette manœuvre n’avait pour but de conforter un système qui s’essouffle en réalité et que Chirac défend essentiellement pour renforcer son assise ou préparer celle du successeur qu’il se choisira.
Tout le monde (sauf Chirac) s’accorde à dire aujourd’hui que les institutions ont besoin d’être rénovées. Plusieurs pistes sont dessinées par les experts et les partis : introduire ou renforcer des procédés existants de démocratie directe (référendum, droit de pétition, réforme du Conseil économique et social, réduction des mandats et de leurs cumuls...), mieux respecter le rôle des parlementaires, associer les citoyens à l’action politique, réformer le statut pénal du chef de l’Etat, etc.
Alors, je vous pose la question : faut-il s’en tenir à la lettre de la Constitution et n’y rien toucher, ou convient-il de prendre en compte l’évolution du contexte politique par l’approche pragmatique gaullienne de droite ou de gauche ?
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