De l’omniprésidence au sentiment de toute puissance
Sur tous les fronts en même temps, Nicolas Sarkozy nous ferait presque croire à la réalité du don d’ubiquité tant il multiplie les déplacements, les discours, affirmant même qu’il préfère être un « omniprésident » plutôt qu’un roi fainéant. On retrouve bien ici toute la rhétorique habile du sophiste qu’il demeure, sans toutefois être pourvu du style impeccable des maîtres du genre, sous entendant par là qu’il serait bien incongru de lui reprocher l’immense travail qu’il s’évertue à produire alors que d’autres avant lui se complaisaient dans une oisiveté coupable. Mais, au-delà de son affirmation quelque peu présomptueuse, l’agitation incessante sur tous les fronts de notre premier magistrat n’est-elle pas en fait révélatrice d’une volonté de toute puissance ?

Au sortir d’une présidence européenne dont il a su pleinement profiter, et tout juste rentré de sa tournée express au proche orient, vêtu de la volonté apparente de répandre la sainte paix en ces contrées secouées par un conflit aujourd’hui à nouveau porté à son paroxysme, que le voici discourant lors de l’audience de rentrée solennelle sur la nécessité absolue de moderniser notre procédure pénale en réduisant notamment à néant les pouvoirs ancestraux du juge d’instruction, spécificité française en la matière. Le moment venu, lorsque le dit texte sera abouti et proposé au vote de notre système bicaméral, il sera temps de discuter du fond de cette réforme et de mesurer combien elle colle à la réalité du propos initial. En attendant, à l’éclairage de ce qui a déjà été réalisé, il est toutefois permis de douter de la profonde sincérité des objectifs annoncés. Aussi, il serait bien surprenant que la future loi ne reflète pas en vérité la volonté de contrôler plus avant l’institution justice avec laquelle notre président, tout autant que son ministre de tutelle par ailleurs, est en confrontation constante, si toutefois on veut bien se rappeler certaines de ses déclarations outrageuses du temps ou ce dernier dirigeait le ministère de l’intérieur. En outre, concernant le décalage permanent qui sépare le propos de la pensée sarkozienne profonde, il suffit de relire le discours prononcé au soir de son élection, révélateur pertinent et emblématique d’une personnalité clivée, pour filer la métaphore psychiatrique. Qui n’a pas remarqué qu’il arbore en permanence le petit rictus de satisfaction de celui qui sait qu’il capte toute l’attention, révélant combien le personnage est autocentré.
Après la justice, voici venu le tour de la santé, en prise ces derniers temps à des dysfonctionnements récurrents, mis en avant successivement par certains médias toujours en quête de sensationnalisme racoleur sur fond de dictature de l’audimat à peine masquée. Faut-il rappeler pourtant combien sont rares ce genre d’événements, notamment lorsqu’on les rapporte au nombre de personnes accueillies par nos hôpitaux. Certes, le système demeure perfectible, mais cela relève d’un véritable travail de fond et non d’invectives jetées à la face des acteurs du système qui, au quotidien, mettent le meilleur d’eux même dans leurs pratiques professionnelles. Mais, même s’il a su aussi flatter le personnel hospitalier, il fallait impérativement que notre président fasse encore ses déclarations d’intention à l’ensemble des français, afin de démontrer combien il travaille au dossier, le quidam pouvant même être amené à penser que ce cher président s’attèlera en personne au dit chantier.
Il en va de même pour tous les sujets abordés, le discours et la manœuvre étant si bien rodés, et c’est là que réside le talent du sophiste, dont le raisonnement semble incontestable, toujours justifié, trompant par là même ceux qui tendent l’oreille. Seul le style diffère de celui des antiques philosophes, subtiles et distingués, alors que celui de notre président se situerait plutôt dans le rayon des bonimenteurs qui œuvrent au coin des grands magasins. Sa piètre oralité est pourtant flagrante, le vocabulaire est toujours pauvre, la syntaxe bien creuse, le style quasiment ridicule, mais là encore il sait à merveille faire illusion, d’ailleurs certains observateurs n’hésitent pas à vanter ses prétendus atouts dans cette discipline ! Là encore, tout cela n’est que tromperie sur la marchandise et ce n’est pas parce que le ton est celui de tout un chacun qu’il en est proche. En fait ce ne sont ici que ses propres limites qui lui imposent son style, mais aucunement Nicolas Sarkozy appartient au cercle des humbles, il faut être bien naïf pour le croire.
Joignant la parole aux déplacements, voilà notre président, tel un zappeur impénitent et compulsif, d’ailleurs n’a-t-il pas confié un jour qu’il était un enfant de la télévision [1], qui s’approprie l’ensemble des sujets avec la ferme volonté d’apporter ses solutions miraculeuses, tel Merlin l’enchanteur aveuglant le peuple de toute cette poudre jetée aux yeux. Il va s’en dire qu’il n’y a là que prestidigitation, et si le roi n’est pas fainéant, il œuvre essentiellement à ériger sa personne au sommet de ce monde, croyant écrire de ses propres mains l’Histoire éternelle que d’autres, demain,s’attacheront à
apprendre, à décrypter et à enseigner.
Mais, le plus inquiétant dans tout cela, derrière toutes les gesticulations dignes du dieu Éole, maître du vent, Nicolas Sarkozy souffle sur la France, l’Europe et le monde, sa volonté de toute puissance qui est tapie au plus profond de sa personnalité depuis l’enfance, et c’est encore ce qui l’alimente aujourd’hui au quotidien. Il est pareil à un adolescent incontrôlable qui agit afin que chacun acquiesce à ses désirs, rayonnant de toute sa personnalité autosatisfaite et mégalomaniaque.
Pétri parfois d’une fausse modestie grossière, il est difficile de ne pas percevoir cette mécanique interne qui habite sa personne qui se situe, de fait, bien au-delà de l’omniprésidence, pénétrant allègrement les frontières du sentiment de toute puissance. Non loin du pathologique nous nous situons ici, l’homme n’étant contenu que par la fonction, elle même encadrée par une constitution qui a tout de même organisé certains mécanismes de contrôles toujours opérants et non négligeables, nous préservant ainsi du pire. En d’autres temps et d’autres lieux, qui peut dire ce qui serait advenu ?
A l’extrême, Nicolas Sarkozy a présidentialisé la constitution de la cinquième république, faisant un bien meilleur usage personnel des potentialités du texte fondateur que ses illustres prédécesseurs. Pour preuve, le premier ministre est quasiment transparent, seul le front du climat perturbateur lui aura été confié ces derniers temps, le président ayant tant à faire par ailleurs, sur une planète qui désormais apparaît bien trop petite tant la personne a su se faire envahissante.
Même le choix de son épouse actuelle est le parfait reflet d’une personnalité qui se vit comme exceptionnelle, elle n’est que l’étendard, et lui le sien, d’une vanité jamais dissimulée. Judicieusement conseillé, heureusement qu’il aura su se « dépeopoliser » mesurant le coût élevé en terme de perte de popularité que l’opinion lui a rapidement facturé.
Enfin, sans vouloir jouer au psychanalyste [2], si Nicolas Sarkozy se situe dans le registre de la toute puissance c’est qu’il y a une faille narcissique non comblée au plus profond de sa personnalité, et il est fort peu probable que l’exercice du pouvoir puisse apporter ici un quelconque apaisement. L’altérité ne figure pas au registre de ses qualités, et l’autre risque bien de demeurer un simple objet, de plaisir ou déplaisir selon le cas, il va s’en dire.
Ainsi, il est d’ores et déjà évident que l’homme n’est pas celui de la situation, il n’apportera ni à la France, et encore moins au monde, les solutions indispensables, même s’il semble pourtant en être parfaitement persuadé. D’ailleurs, fondamentalement, la solution se trouve entre les mains de chaque être humain, comme une infinité de petits rouages essentiels au bon fonctionnement de la mécanique globale. En outre, le peuple peut à tout moment contester et contrecarrer cette volonté hégémonique en manifestant son mécontentement par tous les moyens que notre démocratie permet [3].
[1] « La télé, c’est notre compagne de tous les jours, notre antidote à la solitude. Je suis un enfant de la télé... ». Le Canard enchaîné du 27 février 2008.
[2] Un peu de Mélanie Klein
[3] Hobbes et la toute puissance de Dieu, Luc Foisneau, éditions PUF.
Illustration : "Si je fusse mort sur le trône, dans les nuages de la toute puissance, je serais demeuré un problème pour bien des gens ; aujourd’hui, grâce au malheur, chaque heure me dépouille de ma peau de tyran". Napoléon Bonaparte.
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