De la démocratie : légitimité électorale et corruption
Ne tournons pas autour du pot. L’épine dorsale des démocraties aujourd’hui, ce qui fait qu’elles ont ce label, n’est ni la vertu, ni le bien du peuple. Le traitement infligé au peuple grec est exemplaire à cet égard. Une mafia de corrompus, et l’Union européenne, ainsi que le FMI ne voit pas d’autres solutions que de conduire le pays à une catastrophe annoncée. Ce qui labélise, contre vents et marées l’appellation démocratique, ce sont les élections, et la légitimité qu’elles procurent, légitimité accompagnée d’une quasi-totale irresponsabilité. Prenons le cas de l’Espagne, où chaque semaine les juges apportent les preuves d’une corruption (en particulier d’une double comptabilité) qui dure depuis presque vingt ans.
A quels résultats conduisent ces révélations ? A rien. Les dirigeants s’arcboutent sur leur légitimité électorale, la revendiquent haut et fort, comme pour narguer ceux qui voudraient nettoyer les écuries. Cette situation, banale en soi, pose un problème philosophique majeur. Quelles est la responsabilité des électeurs dans cette histoire ? Elle semble être totale, et définitive, en ce sens que malgré toutes les preuves qu’on peut apporter, l’électeur se rend docilement aux urnes et approuve par son vote, la pérennité du système. En ce sens, on pourrait presque affirmer que les vrais corrompus ne sont pas les dirigeants, mais ceux qui les élisent. Ce ne serait pas faux. On peut cependant remarquer, à la décharge de l’électeur, que le système démocratique a bétonné sa forteresse en érigeant peu à peu des barrières qui empêchent presque tout réel changement. La barrière principale est le bipartisme, qui fige la vie politique dans une fausse alternance, une alternance dans laquelle les électeurs ne votent plus pour, mais contre…
Si l’on prend le cas actuel de la France, un constat s’impose : la différence entre le gouvernement précédent et l’actuel ne saute pas aux yeux. C’est qu’ici, les preuves sont claires. Les français n’ont pas voté pour le PS, ou Hollande, mais contre Sarkozy. Alors, il faut reconsidérer totalement la vacuité d’un système qui mène au pouvoir un homme et un parti arrivés les mains dans les poches après quelques années d’attente. Car il est clair que le PS français n’a jamais procédé à des analyses sérieuses quand il était dans l’opposition. Ce qui a eu lieu, ce sont des batailles d’ego, des luttes pour le pouvoir personnel. Il est admis aujourd’hui que si DSK n’avait pas été mêlé à cette affaire de mœurs aux Etats-Unis, il aurait été certainement élu. Cela aurait-il changé grand-chose ? je ne le pense pas, car il aurait sûrement fait la même politique, avec les mêmes hommes.
Les électeurs avisés auraient pu avoir cependant la puce à l’oreille quand le candidat Hollande a présenté ses « propositions ». Des propositions ne sont pas un vrai programme, et de programme, le PS n’en a pas. L’impression qu’il donne aux français, de lois en reculades continuelles, est celle d’un gouvernement qui navigue au jour le jour, en attendant que ça passe. Et tout ce monde se proclame démocrate et européen (c’est presque un pléonasme…). 150 millions de chômeurs n’agitent pas les peuples européens, ni leurs dirigeants, quand ils ne sont pas ignoblement rayés par des déclarations optimistes ou mensongères. Que faire devant cette situation ? Tout citoyen aujourd’hui est confronté à ce problème. Les analyses sont là, les études également. Tout est connu, et archi-connu. Manque seulement non la volonté, mais la mise en œuvre effective qui découlerait logiquement de celles-ci. Or rien ne se passe, ou à la marge.
On peut alors envisager plusieurs pistes. La première est que le capitalisme, dont les démocraties (j’emploie volontairement le mot au pluriel, car le singulier n’a qu’une existence fictive) a gagné, et qu’il faut s’en accommoder. La mondialisation va faire d’immenses dégâts, mais tout cela se régularisera dans une ou deux générations. Il y aura eu des millions de victimes, mais cela passera pour profits et pertes nécessaires de la régulation du système. L’Europe sera alors complètement dirigée par une bureaucratie non élue, qui dictera sa loi. Paradoxe d’un système démocratique qui aboutira à une espèce de dictature soft dans laquelle les élections auront été complètement vidées de leur sens. C’est ainsi que l’on comprend les réticences des tribunaux allemands, aux compétences bien plus étendues que les nôtres, devant certaines initiatives. On dit qu’il s’agit de préserver l’Allemagne, ce qui est sans doute vrai, mais s’y ajoute également une défiance viscérale face à la bureaucratie européenne.
Alors que faire ?
Première solution : rentrer dans sa tanière. Ne plus aller voter. Se désintéresser complétement de toute forme de politique. Se désinformer volontairement. Posture que l’on peut qualifier d’égoïste, mais qui évite d’avoir des ulcères ! Mais position qui n’est pas si éloignée de celles de centaines de milliers de jeunes, pour qui la possession d’un Ipad ou d’un Smartphone est plus importante que le régime qui nous gouverne. On pourrait ajouter à cela que chaque élection est le lieu d’un théâtre quasiment surréaliste où une grande majorité des électeurs ne sait pas pourquoi il vote…
Deuxième solution. : Attendre que la situation pourrisse à un point tel que des partis qualifiés de mineurs entrent en scène. Le cas du FN en France est intéressant. Tout a été fait pour que les petits partis n’existent pas, au nom d’une certaine stabilité politique. Mais cette stratégie peut se retourner contre ses auteurs quand la masse des électeurs devient suffisamment importante, et change la règle.
Troisième solution : descendre dans la rue. Des barricades, des grèves générales, éventuellement un changement de régime…
Et après ?
L’Histoire nous apprend que chaque révolution populaire a été confisquée par d’autres (1830, 1848,1871, 1968…) et qu’elle s’est transformée en son contraire. Jamais la chambre n’a été aussi à droite qu’après les événements de mai 68 ! Il ne s’agit pas seulement d’abattre un régime, il faut être capable d’en proposer un autre, et ce n’est pas le plus simple. En fait, une révolution, ce sont des idées, et une personne (ou plusieurs…) qui incarnent fortement ces idées, qui vont être capables, contre vents et marées, de les expliquer, de la mettre en pratique et de rester logiques…On dit que les français ont une mentalité un peu messianique. Ce n’est pas totalement faux, et pas si idiot que l’on voudrait l’entendre. Le cas De Gaulle est exemplaire à cet égard. Malgré des zones d’ombres, ou carrément noires, cet homme se sentait porteur d’une mission, et il a réussi à convaincre les français de la légitimité de celle-ci. Il a été le Jeanne d’Arc moderne, à tel point que comme pour la pucelle, nombreux sont ceux qui se réclament de lui, bien qu’en réalité leurs idées (quand ils en ont) soient aux antipodes de la pensée gaulliste.
Ce qui irrite le plus celui qui voudrait éventuellement changer le monde, c’est qu’il se trouve pris entre plusieurs feux. Il y a d’une part l’idéologie capitaliste qui véhicule avec elle un certain confort, une certaine idée du progrès. La question se pose alors de savoir e que l’on est prêt à perdre, et ce n’est pas une question rhétorique. Toutefois, il est à craindre que le temps choisisse pour nous, et change complètement la donne. Au nom d’une certaine stabilité, et d’un progrès illimité, il se peut qu’un jour tout cela se fissure et finisse par craquer.
De l’autre côté, il y a l’Etat. Ce dernier est une sorte de Janus. A la fois Garant d’une certaine unité, et en fin de compte auteur des errements quotidiens de la vie politique. L’Etat est un monstre, dit-on, et il est vrai qu’on peut se poser des questions importantes à son sujet. Ainsi, lorsque celui-ci commence à ne plus être capable, comme en France, de maintenir une certaine éthique républicaine, on peut se demander à quoi, ou qui il sert. En fait, il semble bien que la notion même d’Etat soit aujourd’hui mise à mal. Sommes-nous en train de revenir à une balkanisation de l’Europe ? C’est possible, d’autant que l’idéologie de l’Union européenne est férocement antiétatique. Pour elle, les Etats sont les ennemis à abattre. Ce dont elle rêve, c’est d’une Europe des régions, bien plus dociles, et tournées presque exclusivement vers le profit. Les années à venir vont voir le conflit entre l’Espagne et la Catalogne se concrétiser peut-être par un référendum d’autodétermination, L’Ecosse va aussi voter en ce sens, et que dire de la Belgique ?. Si les résultats des élections aboutissent à une séparation, il est à prévoir que l’effet domino jouera. Est-ce mieux, est-ce pire ? Difficile de trancher. Chacun juge selon ses intérêts, toujours contradictoires. L’Etat s’est construit sur la destruction patiente de l’ordre féodal, qui reposait sur une illusion : je te protège, et tu travailles pour moi. Le jeu n’était pas équitable, et a fini par ne plus pouvoir être joué. Aujourd’hui, force est de constater que l’idée d’Etat n’a pas bonne presse, et pour de bonnes raisons. Droite et Gauche se sont évertuées, depuis Mitterrand à détricoter patiemment les domaines régaliens pour les vendre à bas prix au privé, privant de fait l’Etat de ressources. L’exemple des autoroutes est exemplaire..
Autre possibilité, fonder un nouveau parti. Selon la Commission nationale des comptes, plus de 230 organisations ont le statut de partis politiques. C'est le Canard enchaîné qui ressort l'information dans son édition 2 décembre 2008. Pourquoi tant de partis ? L’explication est simple : Les financements des partis et des campagnes électorales sont plafonnés. En revanche, un particulier peut donner à plusieurs partis politiques. Et des partis politiques peuvent également financer d'autres partis, sans aucune limite cette fois-ci. Voilà pourquoi la France compte près de 230 partis politiques comme l'explique le Canard enchaîné : "Si une entreprise ne peut en aucun cas financer un parti, un autre parti est en droit de le faire. D'où l'avantage de créer plusieurs formations politiques. Soit pour permettre de savants mouvements de vases communicants. Soit pour permettre à une même personne de verser plusieurs contributions". Rue89, dans son édition du 23 décembre 2013, explique la création d’un nouveau parti, le parti « nouvelle donne » qui doit « créer la surprise » aux européennes. Avec quelques personnalités (l’humoriste Bruno Gaccio, la sociologue Dominique Meda, le philosophe Edgar Morin, l’urgentiste Patrick Pelloux...C'est un peu un inventaire à la Prévert...), l’économiste Pierre Larrouturou, 49 ans, conseiller régional d’Ile-de-France, vient de lancer Nouvelle Donne, un nouveau parti politique qui entend « créer la surprise » lors des prochaines élections européennes. Nouvelle Donne est issu du Collectif Roosevelt 2012, un club de réflexion animé par Larrouturou, qui tente de diffuser ses idées en Europe. Inutile de dire que ce parti, dans l’état actuel des rapports de forces politiques, n’aura jamais qu’une existence croupion, et très peu d’influence sur les grands choix politiques. Il est à craindre qu’aujourd’hui, un parti ne soit pas la bonne solution pour changer la donne !
Investir les mass-médias, par où tout passe désormais ? Travail à long terme et vraisemblablement utopique tant ceux qui font la télé ont intérêt à la pérennité du système ! C’est un peu comme espérer des fonctionnaires européens autre chose qu’une attitude férocement arcboutée sur leurs privilèges ! Sartre y avait pensé, en son temps, dans la conclusion de « Qu’est-ce que la littérature ? » en 1947 : « Comment agréger à notre public en acte quelques-uns de ces lecteurs en puissance » ? « Recourir à de nouveaux moyens : ils existent déjà ; déjà les Américains les ont décorés du nom de « mass média » ; ce sont les vraies ressources dont nous disposons pour conquérir le public virtuel : journal, radio, cinéma.
Il est cependant inutile de rêver. La presse, qu’elle soit télévisuelle ou de papier, est possédée par des grands groupes financiers peu enclins eux aussi, à ceux que les choses changent.
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